Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Me B...et MeA..., en qualité de mandataires liquidateurs de la société d'exploitation AOM Air Liberté, ont demandé au Tribunal administratif de Melun :
- d'annuler la décision par laquelle l'Etat a implicitement rejeté leur demande indemnitaire présentée le 20 décembre 2007 ;
- de condamner l'Etat à leur verser la somme de 200 000 000 euros, à parfaire, avec intérêts de droit à compter du 20 décembre 2007 et capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement n° 0809539 du 25 juin 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 août 2014, et un mémoire enregistré le 2 juin 2016, Me B..., en qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation AOM Air Liberté, représenté par Me Sénac de Monsembernard, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0809539 en date du 25 juin 2014 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision par laquelle l'Etat a implicitement rejeté la demande indemnitaire présentée le 20 décembre 2007 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 163 701 802 euros, avec intérêts de droit à compter du 20 décembre 2007 et capitalisation de ces intérêts ;
4°) de condamner l'Etat à payer les frais de l'expertise ordonnée par des ordonnances du juge des référés des 20 février 2009 et 8 avril 2013 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du Tribunal administratif de Melun est insuffisamment motivé, d'une part, au regard de l'argumentation développée par le requérant, d'autre part, en ce que ce jugement se borne à énoncer qu'il n'existe pas de lien de causalité entre l'absence de notification à la Commission européenne des mesures de soutien apporté par l'Etat à la société d'exploitation AOM Air Liberté et l'incompatibilité éventuelle d'un tel soutien avec le droit de l'Union, et, enfin, en ce qu'il se borne à affirmer que l'aggravation du passif de la société n'était pas établie et ne fournit aucun élément de fait pour juger que la situation financière et comptable de la société d'exploitation AOM Air Liberté pouvait être considérée comme sérieusement compromise à compter de la fin du mois de janvier 2002 ;
- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en se référant à deux rapports réalisés à la demande de l'Etat au mois de juillet 2002 ;
- la créance revendiquée n'est pas prescrite ;
- l'illégalité commise par l'Etat, qui n'a pas notifié à la Commission européenne l'aide apportée à AOM Air Liberté, est susceptible d'engager sa responsabilité dès lors qu'en l'absence de mise en oeuvre illégale de l'aide, le préjudice constitué par l'aggravation du passif ne se serait pas produit ;
- en exigeant l'existence d'une faute lourde pour engager la responsabilité de l'Etat dans l'octroi d'une aide, les premiers juges ont commis une erreur de droit ;
- l'Etat a commis une faute en accordant une aide à la société à compter du mois de janvier 2012 dès lors que la situation de celle-ci était irrémédiablement compromise dès la fin du mois de décembre 2011, le soutien de l'Etat n'ayant d'autre finalité que de retarder la cessation de paiement sans qu'existe une possibilité de redressement de l'entreprise ;
- l'aggravation du passif de la société du fait de l'aide apportée par l'Etat est constitutive d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques.
Par des mémoires enregistrés les 19 mai et 30 juin 2016, le ministre des finances et des comptes publics et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, représentés par Me Grelon, avocat, concluent au rejet de la requête, à titre principal, du fait de la prescription de la créance invoquée ou, à titre subsidiaire, du fait que le jugement du Tribunal administratif de Melun ne peut qu'être confirmé, et à ce que la Cour mette à la charge de Me B... la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- la créance est prescrite ;
- aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lapouzade,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- et les observations de Me de Monsembernard, avocat, pour MeB..., et de Me Grelon, avocat, pour le ministre de l'économie et des finances.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 19 juin 2001, le Tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre des sociétés AOM Air Liberté, Air Liberté, Minerve Antilles Guyane, TAT European Airlines, Hotavia Restauration Services HRS et Air Liberté industrie. Par un jugement du 27 juillet 2001, ce même tribunal a arrêté le plan de cession de ces sociétés au profit de la société Holco, avant de décider, par un jugement du 1er août 2001, d'homologuer le protocole transactionnel signé les 31 juillet et 1er août 2001 par les sociétés Holco et Swissair. La société Holco a créé la société d'exploitation AOM Air Liberté pour assurer la reprise des activités des sociétés qu'elle détenait. Confrontée à la défaillance du groupe Swissair à lui verser l'intégralité des fonds dont le versement avait été prévu par le protocole transactionnel conclu entre la société Holoco et Swissair, la société d'exploitation AOM Air Liberté a sollicité l'aide des pouvoirs publics afin de réunir les sommes nécessaires au financement de son plan de restructuration.
2. L'Etat est intervenu au soutien de la société d'exploitation AOM Air Liberté en lui octroyant, par une convention en date du 9 janvier 2002, un prêt d'une durée de six mois, d'un montant de 16 500 000 euros, à partir de ressources de l'Etat gérées par la société Natexis Banques Populaires dans le cadre du Fonds de développement économique et social (FDES). Par une convention signée le 28 février 2002, le montant de ce prêt a été porté à 30 500 000 euros. La durée de ce prêt a été prolongée de quatre mois par une convention du 25 septembre 2002, puis jusqu'au 9 janvier 2003 par une décision du 13 novembre 2002 du ministre chargé des transports. La société d'exploitation AOM Air Liberté a également bénéficié d'un moratoire sur le passif constitué par les cotisations sociales à verser aux URSSAF à la date du 31 juillet 2002, lequel s'est élevé à la somme de 4 260 000 euros au 31 décembre de la même année, ainsi que d'un moratoire sur les taxes et redevances aéroportuaires en vertu d'une décision du secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle, confirmée en août 2002 par les organismes concernés, sachant que ce dernier moratoire sera prolongé pour les mois de novembre et décembre 2002 par une décision émanant du ministère des transports en date du 13 novembre 2012.
3. Les difficultés financières de la société AOM Air Liberté persistant, sa licence d'exploitation de transporteur aérien lui fut retirée à compter du 6 février 2003 par une décision du directeur général de l'aviation civile, en raison de l'incertitude quant à la capacité de la société d'exploitation AOM Air Liberté de faire face à ses obligations et d'assumer les frais fixes et les dépenses d'exploitation découlant de ses activités de transporteur aérien. Par un jugement du 17 février 2003, le Tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société d'exploitation AOM Air Liberté et a désigné Me B... et Me A...comme mandataires liquidateurs.
4. Par un jugement en date du 25 juin 2014, dont il est régulièrement interjeté appel par Me B..., le Tribunal administratif de Melun a rejeté la requête présentée par les mandataires liquidateurs de la société d'exploitation AOM Air Liberté, agissant au nom et pour le compte des créanciers de la société, aux fins de condamnation de l'Etat à les indemniser en raison du préjudice qu'ils subissent du fait que les aides accordées par l'Etat ont eu pour effet de prolonger l'activité de la société d'exploitation AOM Air Liberté et, ainsi, d'aggraver son passif, alors que la situation de la société était irrémédiablement compromise aux dates d'attribution de ces aides.
I - Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne les moyens tirés d'une insuffisance de motivation du jugement attaqué :
5. En premier lieu, Me B...soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il n'indique pas les raisons de fait et/ou de droit pour lesquelles l'illégalité du prêt, du fait du défaut de notification préalable à la Commission européenne de l'aide apportée par l'Etat et de l'incompatibilité de cette aide avec le droit de l'Union, n'est pas directement à l'origine du préjudice.
6. Toutefois, les premiers juges ont relevé, sur ce point, " qu'à supposer que l'octroi du prêt contesté constituait une aide d'Etat au sens de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, ni son illégalité du fait de son défaut de notification préalable à la Commission européenne, ni son incompatibilité alléguée avec le droit communautaire, ne sont directement à l'origine du préjudice invoqué (...), constitué par l'aggravation du passif de la société d'exploitation AOM Air Liberté du fait de l'octroi de cette aide, dont il ne résulte au surplus pas de l'instruction que l'Etat en ait demandé la récupération ; qu'ainsi, en l'absence de lien de causalité directe entre la faute alléguée et le préjudice invoqué, le requérant n'est pas fondé à solliciter l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat pour ce motif ". En faisant état de ces considérations, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement, le constat de l'absence de lien de causalité directe entre l'illégalité de l'octroi de l'aide au regard du droit de l'Union européenne et le préjudice dont se prévaut Me B... n'appelant pas de précisions supplémentaires.
7. En deuxième lieu, Me B...soutient que les premiers juges, en ne mentionnant aucun élément de fait pour juger que la situation financière et comptable de la société pouvait être considérée comme sérieusement compromise à partir de la fin du mois de janvier 2002, ont insuffisamment motivé leur jugement.
8. Toutefois, il n'appartenait pas aux premiers juges, qui, au demeurant, se sont fondés explicitement sur les conclusions du rapport remis dans le cadre d'une expertise ordonnée par le Tribunal, d'entrer plus avant dans les motifs qui leur ont fait considérer que la situation de la société d'exploitation AOM Air Liberté était sérieusement compromise, dès lors que ce constat ne constitue que l'une des étapes du raisonnement, parfaitement exposé, qui les a amenés à juger qu'en l'absence d'une faute lourde commise lors de l'octroi des aides, la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée.
En ce qui concerne le moyen tiré du non-respect de la procédure contradictoire :
9. Me B...soutient que les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en se référant à deux rapports réalisés à la demande de l'Etat au mois de juillet 2002 et portant, l'un sur la trésorerie de la société, l'autre sur la stratégie de l'entreprise, pour estimer, au point 13 des motifs de leur jugement, que " si l'état de la trésorerie de la société était très préoccupant, des perspectives de rétablissement et de redressement de l'entreprise existaient ".
10. Toutefois, ainsi que le reconnaît MeB..., l'un des deux rapports, celui établi par le cabinet Mazars à la demande de la Direction du Trésor, a été produit au cours de l'instruction. Si, en revanche, le rapport réalisé par le cabinet KPMG à la demande de la Direction générale de l'aviation civile n'a pas été produit dans le cadre de la procédure contradictoire, seule en ayant été fournie une synthèse dont Me B...soutient qu'elle ne restituerait pas le contenu réel de ce rapport, cette circonstance n'est pas de nature à entacher la régularité du jugement attaqué dès lors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que les premiers juges auraient été en possession de l'intégralité du rapport en cause et auraient ainsi fondé leur jugement sur des documents qui n'auraient pas été soumis à la procédure contradictoire.
II - Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
A - En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :
11. En premier lieu, Me B...soutient, devant la Cour, que l'aide apportée par l'Etat à la société d'exploitation AOM Air Liberté constituerait une aide d'Etat illégale, parce que contraire au règlement CE n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité instituant la Communauté européenne, en ce qu'elle n'a pas été notifiée à la Commission préalablement à sa mise à exécution, et que la faute ainsi commise est de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
12. Toutefois, ainsi que l'a jugé le Tribunal, le préjudice allégué par MeB..., consistant en l'aggravation du passif de la société au détriment des créanciers de cette dernière, n'est pas en lien direct avec la faute qui a consisté à mettre en oeuvre les aides en cause sans les avoir préalablement notifiées à la Commission, mais résulterait de la faute qui, le cas échéant, aurait consisté, ainsi que le soutient par ailleurs MeB..., à accorder des aides à une société dont la situation était irrémédiablement compromise.
13. En second lieu, Me B...soutient, ainsi qu'il a été dit, que l'Etat aurait, en octroyant des aides à la société d'exploitation AOM Air Liberté alors qu'aux dates d'octroi de ces aides la situation de la société était irrémédiablement compromise, apporté un soutien abusif à cette société, de nature à engager sa responsabilité.
14. Les aides, notamment de nature financière, apportées à une entreprise privée par une personne publique ne sont susceptibles d'engager la responsabilité pour faute de la puissance publique, du fait que ces aides ont, en permettant à l'entreprise de poursuivre son activité, alors même que sa situation économique aurait été irrémédiablement compromise au moment où les aides lui ont été accordées, contribué à creuser le passif de l'entreprise, que dans l'hypothèse où l'entreprise n'était pas à même de refuser ces aides, en raison notamment d'une contrainte exercée à son encontre, d'un dol ou d'une immixtion caractérisée dans sa gestion, ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours étaient disproportionnées à ceux-ci.
15. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est au demeurant nullement soutenu par Me B..., que la société AOM Air Liberté n'était pas à même de refuser les aides en cause, du fait qu'elle aurait subi une contrainte de la part des autorités publiques, qu'elle aurait été victime d'un dol ou qu'elle aurait fait l'objet d'une immixtion dans sa gestion, ni que des garanties disproportionnées, de nature à compromettre sa survie financière, auraient été prises en contrepartie de ces aides.
16. Par suite, les conclusions de la requête tendant à ce que l'Etat soit condamné, sur le terrain de la responsabilité pour faute, à raison du soutien qu'il a apporté à la société d'exploitation AOM Air Liberté doivent être rejetées.
B - En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :
17. La responsabilité d'une personne publique ne peut être engagée sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, du fait de l'octroi d'une aide à une société mise en liquidation et des conséquences qui en ont résulté, notamment l'aggravation du passif de la société, dès lors que l'octroi de l'aide n'a pas, par lui-même, pour effet de faire supporter une charge à la société ni, en tout état de cause, aux créanciers de cette société.
18. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Me B...tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée sur le terrain de la responsabilité sans faute, du fait de la rupture de l'égalité devant les charges publiques qui résulterait pour les créanciers de la charge qu'ils supportent à raison de l'aggravation du passif de la société d'exploitation AOM Air Liberté consécutive à l'octroi des aides litigieuses, doivent être rejetées.
19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin pour la Cour de se prononcer sur l'exception de prescription quadriennale opposée par l'Etat, que Me B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que le Tribunal a rejeté sa demande et a mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 107 568,84 euros, toutes taxes comprises, à sa charge en sa qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation AOM Air Liberté.
III - Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Me B...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de MeB..., en sa qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation AOM Air Liberté, la somme de 3 000 euros à verser à l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Me B...est rejetée.
Article 2 : MeB..., en sa qualité de mandataire liquidateur de la société d'exploitation AOM Air Liberté, versera à l'Etat (ministre de l'économie et des finances) la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Me B...et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Bernard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 novembre 2017.
Le président rapporteur,
J. LAPOUZADELe président assesseur,
I. LUBEN
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA03744