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22/03/2016 | FRANCE | N°14NT01446

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 22 mars 2016, 14NT01446


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la délibération du 21 octobre 2010 par laquelle le conseil d'administration de l'École nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM) lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 19 avril 2011, et de condamner l'ENSAM à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices résultan

t de l'illégalité de ce refus.

Par un jugement n° 1105850 du 25 mars 2014, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... F...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la délibération du 21 octobre 2010 par laquelle le conseil d'administration de l'École nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM) lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 19 avril 2011, et de condamner l'ENSAM à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de ce refus.

Par un jugement n° 1105850 du 25 mars 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 mai 2014 et 5 mai 2015, Mme F..., représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 mars 2014 ;

2°) d'annuler le refus de l'ENSAM de lui accorder la protection fonctionnelle sollicitée et la délibération du 21 octobre 2010 ;

3°) d'admettre la responsabilité pour faute de l'ENSAM en raison des faits de harcèlement moral dont elle a été victime et de la condamner à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

4°) d'enjoindre à l'ENSAM de lui accorder sa protection fonctionnelle, d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre des auteurs de ces faits de harcèlement moral et de prendre à sa charge l'ensemble des frais de procédure ;

5°) de mettre à la charge de l'ENSAM le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal administratif n'a statué que sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation et a omis de statuer sur les autres moyens de légalité interne qu'elle avait soulevés, notamment sur l'erreur de droit concernant la charge de la preuve du harcèlement moral ;

- le tribunal administratif a donné aux décisions du juge pénal une autorité qu'elles n'avaient pas ;

- le jugement est encore insuffisamment motivé : sur le motif d'intérêt général invoqué par l'ENSAM pour justifier le refus de protection fonctionnelle et sur les modalités d'application des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 17 juillet1983 ;

En ce qui concerne le bien-fondé :

Sur les conclusions tendant à l'annulation du refus de protection fonctionnelle :

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit sur la charge de la preuve des faits de harcèlement moral et sur l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

- il a commis une erreur d'appréciation sur l'existence d'un harcèlement moral, qui doit être appréciée au regard des conséquences et non des agissements invoqués, qui créent une présomption de harcèlement qu'il appartient à l'administration de combattre ;

- en l'absence de motif tiré de l'intérêt du service et de faute personnelle détachable, l'administration ne pouvait se prévaloir d'un motif d'intérêt général pour refuser la protection fonctionnelle qu'elle sollicitait ;

Sur la responsabilité pour faute de l'ENSAM ;

- le refus de lui accorder la protection fonctionnelle qu'elle sollicitait en raison du harcèlement moral subi constitue une faute engageant la responsabilité de l'ENSAM ;

- elle est fondée à demander réparation des préjudices subis, soit la dégradation de son état de santé, dont l'imputabilité au service a été établie, et la compromission de sa carrière ; elle estime le préjudice moral ainsi causé à la somme de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2014, l'Ecole nationale supérieure des arts et métiers d'Angers, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de Mme F...le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme F...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 12 octobre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 12 novembre 2015 en application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant MmeF..., et de Me B..., représentant l'école nationale supérieure d'arts et métiers (ENSAM).

1. Considérant que MmeF..., professeur de l'école nationale supérieure d'arts et métiers (ENSAM), exerçant ses fonctions au centre d'enseignement et de recherche d'Angers, a sollicité, par un courrier du 26 mars 2010, le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès du directeur général de l'établissement en raison de faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime ; que par une délibération du 21 octobre 2010, le conseil d'administration de l'ENSAM a refusé de lui accorder la protection sollicitée ; que l'intéressée a formé un recours gracieux contre cette décision par un courrier du 9 février 2011 et a également sollicité la réparation de son préjudice résultant de ce refus ; que ce pli lui ayant fait retour, elle a formé un second recours administratif par courrier du 7 mars 2011, notifié le lendemain ; que par un courrier du 3 mai 2011, le directeur général de l'ENSAM a rejeté son recours ; que Mme F...a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de la délibération précitée du conseil d'administration de l'ENSAM du 21 octobre 2010 ainsi qu'à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'illégalité de ce refus ; que par la présente requête, elle relève appel du jugement n° 1105850 du 25 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel./ Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. " ; qu'aux termes de l'article 11 de cette même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. (...) / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) / La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires " ; que ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général ; que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; que la mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; qu'il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

3. Considérant, d'autre part, qu'il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; que pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ;

4. Considérant que Mme F...s'est prévalue, à l'appui de sa demande de protection fonctionnelle par l'ENSAM, de ce qu'elle a, après le classement sans suite le 29 novembre 2007 d'une précédente plainte ayant le même objet, saisi à nouveau le tribunal de grande instance d'Angers d'une plainte concernant des faits de harcèlement moral perpétrés à son encontre par plusieurs de ses collègues enseignants au centre d'enseignement et de recherche d'Angers ; qu'elle s'est prévalue, en outre, de discriminations liées à son état de santé depuis sa longue maladie survenue en 1993 avec récidive en 2009, de son isolement provoqué au sein du laboratoire de recherche dirigé par M. D...et de son exclusion des réunions de service, de coalitions des autres professeurs à l'effet de l'évincer et de l'instrumentalisation par eux des élèves, expliquant que plusieurs pétitions rédigées par ceux-ci ont à plusieurs reprises porté gravement atteinte à sa réputation personnelle et professionnelle ; qu'elle dénonce également les dysfonctionnements du service et l'absence de mise à sa disposition des moyens matériels adéquats pour exercer ses fonctions, la dépossession de ses travaux de recherche, la dévalorisation de son travail de publication et l'absence de mention de ses publications internationales ;

5. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier, et particulièrement des faits constatés par le juge d'instruction du tribunal de grande instance d'Angers, dont la décision de non-lieu à poursuivre du 23 avril 2014 est revêtue sur ce point de l'autorité de la chose jugée, qu'aucune discrimination à l'encontre de Mme F...dans les attributions des enseignements ou des moyens n'a pu être mise en évidence et que les autres griefs précités de l'intéressée, notamment celui d'usurpation ou non reconnaissance de ses travaux, n'étaient pas davantage établis ; que ces faits corroborent les conclusions du 28 septembre 2010 de l'enquête administrative diligentée par le secrétaire général de l'ENSAM, dont Mme F...n'établit pas la partialité ; qu'il s'évince des auditions et enquêtes diligentées tant par le juge d'instruction que par l'établissement public, et de l'examen réalisé le 3 juillet 2010 par un expert psychologue, que la personnalité de l'intéressée, qualifiée d'hystéro-phobique avec des traits de type paranoïde, la conduit à interpréter et vivre comme une agression des faits, attitudes ou décisions n'excédant pas le cadre des relations normales de travail, et que son comportement induit les phénomènes d'isolement et les critiques dont elle se plaint ; que, dans ces conditions, la décision de refus d'accorder la protection fonctionnelle prise par l'ENSAM au motif que la demande de la requérante " n'était pas suffisamment étayée par des faits précis " n'est entachée ni d'erreur de droit en ce qui concerne la charge de la preuve, ni d'erreur d'appréciation ; que l'ENSAM pouvait dès lors rejeter la demande de protection fonctionnelle de Mme F...pour ce motif, sur le seul fondement duquel elle aurait fondé sa décision alors même que le motif tiré de ce que l'octroi de la protection aurait " créé un précédent " serait erroné ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par la jugement attaqué, lequel n'est entaché ni d'omission à statuer ni de défaut de motivation, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus de l'ENSAM de lui accorder la protection fonctionnelle et à la réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité alléguée de ce refus ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par Mme F...soit mise à la charge de l'ENSAM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme F...la somme demandée par l'ENSAM à ce même titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'ENSAM tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F...et à l'école nationale supérieure d'arts et métiers (ENSAM).

Délibéré après l'audience du 1er mars 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président-assesseur,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 mars 2016.

Le rapporteur,

C. LOIRATLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT01446


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT01446
Date de la décision : 22/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Cécile LOIRAT
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : MAZZA

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-03-22;14nt01446 ?
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