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29/10/2015 | FRANCE | N°14NT01213

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 29 octobre 2015, 14NT01213


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E...et M. D...A...C...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser la somme de 3 321 462 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison des circonstances dans lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé la démission d'office de M.F....

Par un jugement n° 1104942 du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoir

e enregistrés les 5 mai 2014 et 2 octobre 2015, M. B... E...et M. D...A...C..., représentés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E...et M. D...A...C...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser la somme de 3 321 462 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison des circonstances dans lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé la démission d'office de M.F....

Par un jugement n° 1104942 du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 mai 2014 et 2 octobre 2015, M. B... E...et M. D...A...C..., représentés par Me Page, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 mars 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 2 336 598,95 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 août 2011, en réparation de leurs préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la défaillance de l'Etat à mettre fin au comportement abusif de M. F...est génératrice d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- en prenant le 15 septembre 2003 un arrêté déclarant M.F..., leur associé, démissionnaire d'office, qui a été annulé pour vice de forme, le garde des sceaux, ministre de la justice a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- l'annulation de cet arrêté est directement à l'origine de la situation dans laquelle ils ont été placés et des conséquences préjudiciables auxquelles ils ont été confrontés ;

- M. F...a perçu une somme de 755 743,45 euros pour les années 2004 à 2008 au titre de sa participation aux résultats de la SCP ;

- l'empêchement de M. F...à participer à l'activité de la société a provoqué une baisse de chiffre d'affaires qui peut être évaluée à 1 580 855,50 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 novembre 2014, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- MM. E... et A... C...ne sont pas recevables à demander pour eux-mêmes réparation des préjudices subis par la société civile professionnelle dont ils sont associés ;

- les moyens soulevés par les intéressés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945 ;

- le décret n°67-868 du 2 octobre 1967 ;

- le décret n°73-1202 du 28 décembre 1973 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., substituant Me Page, avocat de MM. E...et A...C... ;

1. Considérant que par un arrêté du 21 novembre 1988 du garde des sceaux, ministre de la justice, MM. E...et A...C...ont été nommés, à leur demande, membres de la société civile professionnelle " EugèneF..., Denis E...et Pierre LeC... ", titulaire d'un office notarial à Lorient ; que M.F..., né en 1932, a subi le 15 avril 1996 un double pontage coronarien ; qu'à la suite de cette intervention, il a repris son activité à mi-temps avant de cesser tout exercice effectif de sa profession à compter du 1er février 1997 ; que l'intéressé, placé en arrêt de travail jusqu'en 2003, année au cours de laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, a cependant refusé de céder ses parts sociales en dépit des procédures judiciaires et administratives menées par ces associés ; que, le 25 août 2011, MM E...et A...C...ont saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, d'une réclamation préalable tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'inaction de l'Etat et de l'illégalité de l'arrêté du 15 septembre 2003 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, avait déclaré M. F...démissionnaire d'office ; que

MM E...et A...C...ont saisi le 20 décembre 2011 le tribunal administratif d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme globale de 3 321 462 euros, portée par la suite à 3 336 598,95 euros ; que, par un jugement du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ; que les intéressés relèvent appel de ce jugement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Sur l'inaction fautive de l'Etat :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 45 de l'ordonnance susvisée du 28 juin 1945 : " Tout officier public ou ministériel qui ne prête pas le serment professionnel dans le mois de la publication de sa nomination au Journal officiel est déclaré démissionnaire d'office de ses fonctions sauf s'il peut justifier d'un cas de force majeure. / Peut également être déclaré démissionnaire d'office, après avoir été mis en demeure de présenter ses observations, l'officier public ou ministériel qui, soit en raison de son éloignement prolongé de sa résidence, soit en raison de son état physique ou mental, est empêché d'assurer l'exercice normal de ses fonctions. Les mêmes dispositions sont applicables lorsque, par des manquements répétés à ses obligations professionnelles, l'officier public ou ministériel a révélé son inaptitude à assurer l'exercice normal de ses fonctions. / L'empêchement ou l'inaptitude doit avoir été constaté par le tribunal de grande instance saisi soit par le procureur de la République, soit par le président de la chambre de discipline. Le tribunal statue après avoir entendu le procureur de la République et, s'il est présent, l'officier public ou ministériel préalablement appelé ou son représentant qui peut être soit un officier public ou ministériel de la même catégorie, soit un avocat./ (...) " ; qu'aux termes de l'article 41 du décret du 28 décembre 1973 : " Le tribunal de grande instance est saisi, aux fins de constater l'empêchement ou l'inaptitude d'un officier public ou ministériel en application de l'article 45 de l'ordonnance susvisée du 28 juin 1945, par assignation à jour fixe délivrée à l'intéressé, soit à la requête du procureur de la République, soit à celle du président de la chambre de discipline. / La démission d'office est déclarée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. Cet arrêté peut être pris dès le prononcé du jugement constatant l'inaptitude ou l'empêchement, nonobstant l'exercice de voies de recours. " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la demande de MM. E...etA... C... le président de la chambre départementale des notaires du Morbihan a assigné M. F... devant le tribunal de grande instance de Lorient le 30 avril 2003 afin de faire constater son empêchement à exercer ses fonctions ; que, par un jugement du 3 juillet 2003, ce tribunal a estimé que l'intéressé, qui avait refusé à plusieurs reprises de se soumettre aux expertises médicales prescrites, était effectivement empêché d'assurer ses fonctions ; que l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, déclarant M. F...démissionnaire d'office a été pris dès le 15 septembre 2003 ; que ce déroulement chronologique ne met en évidence aucun retard fautif de la part du garde des sceaux ; que si cet arrêté du 15 septembre 2003 a été annulé le 7 août 2008 par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux portant revirement de jurisprudence au motif qu'il était insuffisamment motivé, le garde des sceaux, ministre de la justice, a pris un nouvel arrêté motivé ayant le même objet dès le 21 octobre 2008, sans attendre les suites réservées aux actions introduites parallèlement devant les juridictions judiciaires par MM. E... et A...C...à l'encontre de M. F... ; que, dans ces conditions, la carence fautive dans le fonctionnement des services du garde des sceaux, ministre de la justice, invoquée par les requérants ne peut être regardée comme établie ;

Sur l'illégalité fautive de l'arrêté du 15 septembre 2003 :

4. Considérant qu'en principe toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 32 du décret du 2 octobre 1967 : " L'associé destitué dispose d'un délai de six mois à compter du jour où sa destitution est devenue définitive pour céder ses parts sociales à un tiers dans les conditions prévues à l'article 27. / Si, à l'expiration de ce délai, aucune cession n'est intervenue, il est procédé conformément aux dispositions de l'article 28, dans la mesure où celles-ci sont de nature à recevoir application. /L'associé destitué peut également, avant l'expiration du délai précité, céder ses parts sociales à la société, aux autres associés ou à l'un ou plusieurs de ceux-ci, dans les conditions prévues à l'article 29. " ; qu'en vertu de l'article 31-1 du même texte ces dispositions sont applicables à la cession de parts sociales d'un associé déclaré démissionnaire d'office par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice ; qu'il est constant qu'alors que l'arrêté du 15 septembre 2003 prononçant la démission d'office de M. F...a été publié dès le 23 septembre 2003, MM. E... et A... C...ont attendu le 23 novembre 2006 pour introduire devant le tribunal de grande instance de Lorient une action afin que soit ordonnée la cession forcée des parts de M. F... et que celui-ci soit déclaré déchu de son droit à participer au partage des bénéfices ; que, par suite, le préjudice invoqué par les requérants et résultant pour eux de l'obligation de verser à M. F..., leur associé, entre 2004 et 2008 la somme de 755 743,45 euros au titre de sa participation aux résultats de la société civile professionnelle " EugèneF..., Denis E...et Pierre LeC... " ne peut être regardé comme présentant un lien de causalité direct et certain avec l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2003 prononcée en 2008 dans les conditions rappelées au point 3 ; ; que, par ailleurs, la perte de chiffre d'affaires de l'étude notariale, que MM. E... et A... C...évaluent à 1 580 855,50 euros pour les années 2003 à 2011, résulte, non de l'illégalité de l'arrêté du 15 septembre 2003 constatée en 2008 mais, de manière directe et certaine, de l'attitude de

M. F...qui a multiplié les procédures dilatoires jusqu'en 2010 et, plus indirectement, de l'impossibilité collatérale de recruter un autre associé au sein de l'étude notariale ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de l'Etat à raison de la faute qu'aurait commise le garde des sceaux, ministre de la justice, en prenant son arrêté du 15 septembre 2003 dans des conditions de forme irrégulières ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que MM. E... et A... C...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à MM. E... et A... C...de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de MM. E... et A...C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à M. D... A...C...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 8 octobre 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 octobre 2015.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

I. PERROT

Le greffier,

A. MAUGENDRE

La République mande et ordonne au Garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT01213


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT01213
Date de la décision : 29/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SCP LESAGE ORAIN VARIN CAMUS ALEO

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-10-29;14nt01213 ?
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