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07/03/2017 | FRANCE | N°14MA04707

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 07 mars 2017, 14MA04707


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C...veuve D...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1201892 du 2 octobre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
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Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 novembre 2014 e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C...veuve D...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1201892 du 2 octobre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 novembre 2014 et 11 janvier 2017, Mme D..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 octobre 2014 ;

2°) d'annuler la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

3°) d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires pour que celui-ci procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables au cancer du cerveau dont a souffert M. D... et propose une indemnisation tenant compte des intérêts ayant couru depuis la demande et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort qu'après avoir reconnu qu'il satisfaisait aux conditions posées par les articles 1 et 2 de la loi du 5 janvier 2010 le ministre de la défense a considéré que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie de son époux peut être considéré dans les circonstances de l'espèce comme négligeable ;

- la méthode utilisée par le CIVEN pour déterminer le caractère négligeable ou pas du risque ne prend en considération que certains faits et ne rend pas, ainsi, compte de la réalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2015, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête de Mme D....

Il soutient que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de M. D... était négligeable et qu'il ne justifiait pas une indemnisation au titre cette législation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renouf,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., substituant Me E..., représentant Mme D....

Une note en délibéré présentée par le ministre de la défense a été enregistrée le 2 mars 2017.

1. Considérant que Mme D... fait appel du jugement du 2 octobre 2014 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande d'indemnisation qu'elle a présentée, en qualité d'ayant droit de son époux décédé, au titre des dispositions applicables aux victimes des essais nucléaires français ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction également applicable au litige : " Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable, et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

5. Considérant que le mari de Mme D... a séjourné sur l'atoll de Hao, en Polynésie française, du 7 mai 1969 jusqu'au 26 avril 1970 selon le ministre de la défense, jusqu'au 4 mai 1970 selon la requérante ; qu'il a été ensuite atteint d'un cancer du cerveau, maladie qui figure au nombre des maladies radio-induites limitativement énumérées à l'annexe du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010 ; que, par suite, la demande de Mme D... entre dans le champ d'application des dispositions précitées ; que Mme D... doit, dès lors, bénéficier de l'indemnisation que ces dispositions prévoient, sauf à ce que le ministre de la défense établisse que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de son époux est négligeable ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires s'appuie sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prennent en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou, en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence, fondée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 2 et 3, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont souffre l'intéressé ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est constant que le dernier essai nucléaire réalisé avant l'arrivée de M. D... à Hao s'est déroulé à Mururoa le 8 septembre 1968, huit mois avant le commencement du séjour de l'intéressé ; que l'essai suivant a eu lieu le 15 mai 1970, soit après le départ de M. D..., que l'on retienne la date du 26 avril 1970 donnée par le ministre de la défense ou celle du 4 mai 1970 dont la requérante se prévaut ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. D... a été exposé à des risques de contamination résultant d'une activité qu'il aurait exercée, les travaux de son régiment sur l'île de Fangataufa, dont la requérante se prévaut ayant été réalisés l'année précédant son arrivée ; que, dans ces conditions, les dosimétries d'ambiance réalisées au centre d'intervention et de décontamination de Hao, qui est la partie de l'île la plus susceptible d'être exposée à des rayonnements ionisants, constituent des mesures de surveillance suffisantes du risque de contamination externe ; que, s'agissant du risque de contamination interne, ces mêmes considérations et la circonstance que la distance qui sépare Hao de Mururoa est de plus de 460 km rendaient inutile quelque mesure de surveillance que ce soit à ces dates ; qu'ainsi, les mesures de surveillance des risques de contamination de M. D... ont été suffisantes ;

8. Considérant qu'il résulte de l'absence d'exposition de M. D... aux irradiations pour les raisons indiquées ci-dessus et corroborées par le relevé, toujours égal à zéro, des dosimétries d'ambiance réalisées tout au long de sa présence à Hao, que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer du cerveau dont il a souffert 24 années après son séjour en Polynésie française est négligeable ; que, par suite, c'est à bon droit que le ministre a, par la décision attaquée, rejeté la demande d'indemnisation présentée par Mme D... sur le fondement des dispositions précitées ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de première instance ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C...veuve D...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 9 février 2017, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- M. Coutel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 mars 2017.

N° 14MA04707


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA04707
Date de la décision : 07/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-08 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe RENOUF
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-03-07;14ma04707 ?
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