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12/04/2016 | FRANCE | N°14LY01103

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre - formation à 3, 12 avril 2016, 14LY01103


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 21 décembre 2009 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de congés récupérateurs dont il n'a pas bénéficié et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 113 593,90 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices financier et moral qu'il a subis.

Par un jugement n° 1100034 du 22 janvier 2014,

le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à indemniser M. C...dans la lim...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 21 décembre 2009 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de congés récupérateurs dont il n'a pas bénéficié et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 113 593,90 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices financier et moral qu'il a subis.

Par un jugement n° 1100034 du 22 janvier 2014, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à indemniser M. C...dans la limite d'une somme totale de 113 593,90 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, et a mis à la charge de l'Etat le versement à l'intéressé d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 14 avril 2014, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 janvier 2014 ;

2°) de rejeter la demande de M.C....

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser à M. C...une indemnité au titre du préjudice financier qu'il aurait subi du fait de la suppression de jours de repos compensateurs, en l'absence de disposition législative ou réglementaire rendant possible une telle indemnisation ;

- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence allégués ne sont pas établis, tandis que l'action contentieuse ne saurait être regardée comme un préjudice ;

- c'est à tort que le tribunal administratif, pour écarter la prescription quadriennale, laquelle n'a pas été interrompue par une demande de l'intéressé, a considéré que le fait générateur de la créance devait être rattaché à la décision du Conseil d'Etat du 12 décembre 2008 et non à la date de la publication de son arrêté du 6 décembre 1994 ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2014, et un mémoire complémentaire, enregistré le 9 mars 2016, M. A...C..., représenté par la société d'avocats Huglo-Lepage et associés, conclut :

1°) à titre principal, au rejet du recours ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à l'indemniser à hauteur de 113 596,90 euros en réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral qu'il a subis, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande de première instance et capitalisation des intérêts ;

3°) en tout état de cause, à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- l'illégalité de l'arrêté du 6 décembre 1994 reconnue par le Conseil d'Etat constitue une faute engageant la responsabilité de l'Etat qui ouvre droit, même sans texte, à indemnisation du préjudice subi, à hauteur de la rémunération qu'il aurait perçue au cours des périodes de repos compensateurs ;

- à supposer qu'un texte soit nécessaire pour l'indemnisation des jours de repos compensateurs non pris, les dispositions du décret du 25 août 2000, du décret du 7 février 2002, de l'arrêté du 27 juillet 2005 pris pour son application, et de l'arrêté du 19 août 1997 en constituent la base légale ; l'indemnisation des interventions effectuées en dehors des heures d'ouverture de la base est prévue par les textes ;

- la suppression des jours de repos compensateurs acquis avant 1994 et réactualisés a causé à son détriment une perte de revenu qui s'élève à 103 593, 90 euros, à parfaire ;

- le défaut d'indemnisation entraînerait une rupture de l'égalité entre les agents selon la date de leur admission à la retraite et un enrichissement sans cause de l'Etat ;

- eu égard à l'étalement dans le temps des faits constitutifs et à l'importance du nombre d'heures effectuées dans des conditions dangereuses au service de la population, il est fondé à demander une indemnité de 10 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, à parfaire, avec intérêts au taux légal ;

- s'il ne devait pas être indemnisé au titre du préjudice financier, l'indemnité au titre des seuls préjudice moral et troubles dans les conditions d'existence devrait être portée à 113 596,90 euros, avec intérêts au taux légal ;

- le point de départ de la prescription quadriennale est, au plus tôt, le jour de son admission à la retraite ;

- l'arrêté du 6 décembre 1994, dont la date de publication n'est pas établie, et qui ne lui a pas été notifié, n'a pu faire courir le délai de prescription quadriennale ; la créance, du fait de cet arrêté, présentait un caractère incertain et non exigible ;

- le délai de prescription a été interrompu ;

- il n'a eu connaissance du fait générateur de sa créance que le 12 décembre 2008, date de la décision par laquelle le Conseil d'Etat a déclaré que l'arrêté du 6 décembre 1994 était illégal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile ;

- le décret n° 2000-194 du 3 mars 2000 fixant les conditions d'attribution d'une indemnité pour services supplémentaires aux fonctionnaires actifs de la police nationale ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature ;

- le décret n° 2002-146 du 7 février 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables à certains agents en fonction dans les services relevant de la direction de la défense et de la sécurité civiles ou relevant de la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur ;

- l'arrêté du 19 août 1997 portant règlement intérieur applicable aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères ;

- l'arrêté du 27 juillet 2005 relatif à l'application aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile du décret n° 2002-146 du 7 février 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables à certains agents en fonction dans les services relevant de la défense et de la sécurité civiles ou relevant de la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur ;

- le règlement intérieur du groupement des bases d'hélicoptères du 30 août 1971 ;

- la décision du Conseil d'Etat n° 297702 du 12 décembre 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peuvrel, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;

- et les observations de Me B...pour M.C....

Une note en délibéré, enregistrée le 4 avril 2016, a été présentée pour M.C....

1. Considérant que M. C...a exercé les fonctions de mécanicien sauveteur secouriste au sein du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile de 1974 au 1er novembre 2006, date de son admission à la retraite ; qu'ayant accumulé, antérieurement au 6 décembre 1994, quatre cent cinquante-quatre jours de repos compensateurs illégalement annulés par l'arrêté du même jour du ministre de l'intérieur, il a demandé, le 1er octobre 2009, l'indemnisation des congés récupérateurs non pris à la date de son départ à la retraite ; que, par lettre du 21 décembre 2009, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales lui a répondu qu'"en l'absence de textes prévoyant une telle indemnisation, une étude est en cours (...) afin de déterminer selon quelles modalités et sur quel fondement juridique il convient de procéder à cette indemnisation." ; que M. C...a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à l'indemniser à raison des préjudices financier et moral subis ; que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 22 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à indemniser M. C...à ce titre, dans la limite de 113 593,90 euros ;

Sur la prescription quadriennale :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi susvisée du 31 décembre 1968, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance. " ; qu'il en résulte que le délai de prescription ne court pas à l'encontre d'une victime qui n'est pas en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de la personne publique ; que M. C...n'a eu connaissance du fait générateur des préjudices subis qu'au 12 décembre 2008, date de la décision par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a considéré que l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994 était illégal ; que la circonstance que le Conseil d'Etat n'ait pas annulé cet arrêté, ayant relevé son illégalité par la voie de l'exception, est sans incidence sur la détermination de la date à laquelle a été acquise cette connaissance ; qu'il suit de là que le délai de prescription quadriennale, qui a commencé à courir le 1er janvier 2009, n'était pas venu à expiration lorsque M. C...a saisi, le 1er octobre 2009, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales d'une réclamation ; que, par suite, l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre de l'intérieur doit être écartée ;

Sur le fond :

En ce qui concerne la faute :

3. Considérant qu'en décidant, par son arrêté du 6 décembre 1994, l'annulation de l'ensemble des congés compensateurs acquis par les personnels navigants du groupement d'hélicoptères et non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile, le ministre de l'intérieur a méconnu les droits acquis par les agents concernés et commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

En ce qui concerne le préjudice :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. " ; que, pour obtenir une rémunération au titre des jours de repos compensateurs non pris, M. C...ne saurait se prévaloir des dispositions de l'arrêté du 19 août 1997 susvisé, en application desquelles les jours de service supplémentaire donnent lieu à des repos compensateurs, dès lors que ce texte ne prévoit aucune compensation financière dans l'hypothèse où ces repos ne pourraient être effectivement pris ; que M. C...ne saurait non plus se prévaloir des dispositions de l'article 4 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, dès lors qu'il relève de l'article 2 du décret du 7 février 2002 susvisé, relatif aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile ; que, si l'article 4 de ce décret prévoit que ces agents " bénéficient, en contrepartie de leurs sujétions de fonctions, soit d'une compensation au titre du régime indemnitaire qui leur est applicable, soit de repos compensateurs ", il n'était pas, comme l'arrêté susvisé du 27 juillet 2005 pris pour l'application de ce décret, en vigueur à la date à laquelle les droits à repos compensateurs au titre desquels M. C...demande une indemnisation ont été constitués ; que, par suite, en l'absence, à la date d'annulation de ces repos, de disposition législative ou réglementaire prévoyant le versement d'une indemnité au titre des jours de repos compensateurs non pris, M. C...n'est pas fondé à se prévaloir d'une perte de revenu sur le fondement d'une rémunération non versée par l'administration et à demander l'indemnisation du préjudice matériel subi du fait de l'annulation illégale des jours de repos compensateur non pris ;

5. Considérant que, si M. C...se prévaut d'un enrichissement sans cause de l'Etat, il est constant que le service effectué au cours de la période précédant son départ à la retraite, au cours de laquelle il aurait souhaité utiliser ses congés récupérateurs, a été effectué en contrepartie de la rémunération qui lui était due ; que ce moyen doit, dès lors, et en tout état de cause, être écarté ;

6. Considérant qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que des agents placés dans une situation comparable à celle de M. C...auraient bénéficié d'une indemnisation au titre des congés compensateurs non pris ; que l'intéressé ne peut, dès lors, en tout état de cause, se prévaloir d'un droit à indemnisation au titre du principe d'égalité de traitement ;

7. Considérant, en revanche, qu'à la date de son admission à la retraite, en 2006, la perte des jours de récupération des heures supplémentaires effectuées par M. C...avant le 6 décembre 1994 était définitive ; que l'annulation illégale des quatre cent cinquante-quatre jours de repos compensateurs ainsi accumulés par M.C..., nombre retenu par les premiers juges et non sérieusement contesté par les parties devant la Cour, est à l'origine d'un préjudice moral ainsi que de troubles dans ses conditions d'existence ; qu'il n'y a pas lieu, pour l'évaluation de tels préjudices, d'actualiser le nombre de jours de congés compensateurs ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 20 000 euros ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'intérieur est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à M. C...une indemnité d'un montant total supérieur à la somme de 20 000 euros et, d'autre part, que M. C...n'est pas fondé à demander, à titre incident, la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité totale de 113 596,90 euros ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce la somme que M. C...demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante ;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. C...une indemnité de 20 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation selon les modalités fixées par l'article 4 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 janvier 2014.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 janvier 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...C....

Délibéré après l'audience du 15 mars 2016, à laquelle siégeaient :

M. Boucher, président de chambre ;

M. Drouet, président-assesseur ;

Mme Peuvrel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 avril 2016.

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N° 14LY01103


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14LY01103
Date de la décision : 12/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Point de départ du délai.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. BOUCHER
Rapporteur ?: Mme Nathalie PEUVREL
Rapporteur public ?: M. CLEMENT
Avocat(s) : SELARL HUGLO LEPAGE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2016-04-12;14ly01103 ?
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