LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. John X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 23 mai 2014, qui, pour outrage à magistrats, l'a condamné à 5 000 euros d'amende ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 mai 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT et les conclusions de M. l'avocat général CORDIER ;
Vu le mémoire personnel et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X..., convoqué devant le tribunal correctionnel de Privas pour y répondre de plusieurs infractions au code rural, a déposé au greffe de la juridiction des conclusions écrites, dans lesquelles il accusait l'ancien procureur de la République de Privas, et la présidente de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Nîmes "d'agissements mafieux", et "d'appartenance à une association de malfaiteurs pervers et corrompus" ; que M. X... a été poursuivi, à raison de ces propos, du chef d'outrages à magistrats, au visa des articles 434-24 et 434-25 du code pénal, et condamné à trois mois d'emprisonnement ; qu'il a relevé appel de ce jugement, ainsi que le ministère public ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que, pour écarter l'argument du prévenu qui soutenait que les écrits produits devant le tribunal étaient couverts par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, l'arrêt retient que l'immunité judiciaire du plaideur reçoit exception dans les cas où les écrits outrageants sont étrangers à la cause, trouve des limites dans le respect de I'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire, et n'autorise pas des allégations virulentes, empreintes d'animosité personnelle contre un magistrat, mis en cause dans son intégrité ; que les juges relèvent qu'en l'espèce, les propos du prévenu ont été proférés à l'occasion d'une procédure pour infraction aux dispositions du code rural, qui a été le prétexte pour dénoncer l'acharnement judiciaire dont il disait être l'objet ; que ces accusations d'une extrême gravité, en ce qu'elles font référence à l'appartenance de deux magistrats à une organisation criminelle, sont totalement étrangères à la cause soumise au tribunal, et sont inutiles à la défense du prévenu pour les faits pour lesquels il était alors poursuivi, s'agissant uniquement d'exprimer une profonde rancoeur et un mépris à l'égard de personnes à l'origine de précédentes condamnations ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que ne peuvent bénéficier de l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 les discours ou écrits outrageants étrangers à la cause, et excédant les limites des droits de la défense ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 434-24 du code pénal ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision, et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable, l'arrêt, adoptant les motifs du jugement, retient que les expressions litigieuses caractérisent sans conteste l'élément matériel du délit d'outrage à magistrat en ce qu'elles constituent des propos outranciers, irrespectueux et injurieux portant atteinte à la dignité et à I'honneur des deux magistrats visés, agissant dans I'exercice de leurs fonctions ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher en quoi les propos litigieux, s'ils ne leur avaient pas été directement adressés, seraient nécessairement rapportés aux deux magistrats concernés, alors que le délit prévu par l'article 434-24 du code pénal n'est constitué que lorsqu'il est établi que l'auteur des propos a voulu que ceux-ci soient rapportés à la personne visée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 23 mai 2014, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.