Vu la requête, enregistrée le 5 novembre 2013, présentée pour la société Laisser Passer, ayant son siège social 48 rue La Bruyère à Paris (75009), par Me A...; la société Laisser Passer demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1203622 du 5 septembre 2013 par laquelle le vice-président de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période allant du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2010, et des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) d'ordonner que la procédure suive son cours et qu'il soit statué sur le fond ;
Elle soutient que :
- c'est par une application mal appropriée du rescrit du 24 juin 2008 que l'administration refuse d'appliquer le taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée aux prestations effectuées par la société ; ce rescrit ne précise pas de manière explicite si le contrat peut être qualifié de contrat de transport de personnes, et dès lors relever du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée, lorsque le tarif est fixé à la fois en fonction de la durée de la prestation et en fonction de la distance parcourue ;
- dans cette situation, il convient de regarder les prestations comme des prestations identiques à celles d'un artisan taxi soumises au taux de 7 % selon l'instruction référencée BOl TVA-LIQ-30-20-60, n° 1 ;
- l'application du taux réduit aux entreprises de taxis et du taux normal aux entreprises de grande remise alors qu'elles se trouvent dans la même situation, exercent des prestations identiques et pratiquent une tarification similaire, contrevient à l'article 98 de la directive 2006/112 (CE) du 28 novembre 2006 et constitue une violation du principe de neutralité ;
- cette situation est contraire au principe d'égalité ;
- il n'est pas possible de considérer la prestation de grande remise comme relevant de la location de véhicule, sauf à regarder le chauffeur comme un salarié du client et comme faisant l'objet d'un prêt de main d'oeuvre ou d'un marchandage de main d'oeuvre illicites au regard des dispositions des articles L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail ;
- le gérant unique de la société, M. C...B..., avait qualité pour introduire en son nom la demande devant le tribunal administratif ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2014, présenté par le ministre de l'économie et des finances ; il conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- à défaut pour les premiers juges d'avoir adressé une demande de régularisation de la demande visant à obtenir les documents attestant la qualité pour agir du signataire, l'irrecevabilité de la requête ne pouvait être relevée d'office ;
- la société n'a présenté aucun contrat de transport au cours des opérations de contrôle ; le service vérificateur a donc effectué une distinction entre les prestations facturées indépendamment du trajet parcouru, soumises au taux normal, et les autres prestations, soumises au taux réduit, en se basant sur les factures examinées au cours du contrôle ;
- la société, qui supporte la charge de la preuve, n'apporte aucun élément de nature à établir que les tarifs des prestations en litige auraient été fixés en fonction des deux paramètres de durée de course et de distance parcourue, alors que les mentions figurant sur les factures concernées laissent au contraire entendre que le tarif est indépendant de la distance parcourue ; elle n'est donc pas fondée à faire état d'une rupture d'égalité du fait de la différence de traitement entre sa situation et celle des chauffeurs de taxis ;
- il n'y a pas lieu d'examiner la question d'une éventuelle modification du lien de subordination du chauffeur au regard de son employeur ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 19 mai 2014, présenté pour la société Laisser Passer ; la société conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; elle demande en outre à la Cour :
1°) à titre principal, de renvoyer sa demande devant le Tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
Elle soutient en outre que ses prestations comprennent systématiquement un trajet parcouru ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 6 janvier 2015, présenté pour la société Laisser Passer ; la société conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; elle demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le rescrit du 24 juin 2008 ;
2°) à titre principal, de lui accorder la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mentionné ci-dessus ;
3°) à titre subsidiaire, de renvoyer sa demande devant le Tribunal administratif de Paris ;
Elle soutient en outre que :
- les dispositions de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 ont modifié celles du code du tourisme et du code des transports, en reconnaissant aux entreprises de voitures de tourisme avec chauffeur la qualification d'entreprise de voiture de transport avec chauffeur ; la réalité de l'activité de ces entreprises est pourtant restée la même ; elle est restée pour partie identique à celle des artisans taxi ;
- la décision n° 2014-422 QPC du 17 octobre 2014 du Conseil constitutionnel a également reconnu que ces activités sont pour partie identiques ; selon cette décision, il n'y a pas lieu de traiter différemment les deux catégories d'entreprises pour leur activité commune de transport individuel de personnes sur réservation préalable ;
- les travaux préparatoires de la loi du 1er octobre 2014 révèlent l'intention du législateur de soumettre l'activité des entreprises de voiture de transport à la taxe sur la valeur ajoutée au taux réduit ;
- le rescrit du 24 juin 2008 est donc illégal ;
- la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 février 2014 dans l'affaire C-454/12 et 455/12, Pro Med Logistik GmbH et Eckard Pongratz confirme la rupture des principes d'égalité et de neutralité ; l'activité de transport urbain de personnes en taxi ne constitue en effet pas un aspect concret et spécifique de la catégorie des services de transport des personnes et des bagages qui les accompagnent, au sens de cette décision ; les différences entre ces deux types de transport n'ont pas une influence déterminante sur la décision de l'usager moyen de recourir à l'un ou à l'autre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la décision n° 2014-422 QPC du Conseil constitutionnel du 17 octobre 2014 ;
Vu la directive n 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
Vu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 février 2014, affaire C-454/12 et 455/12, Pro Med Logistik GmbH et Eckard Pongratz ;
Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 ;
Vu la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 ;
Vu la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 ;
Vu le code civil ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des transports ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 janvier 2015 :
- le rapport de M. Niollet, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Egloff, rapporteur public ;
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Laisser Passer, qui exerce une activité de location de voitures de luxe avec chauffeur, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le vérificateur a entendu établir d'office son imposition à la taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2010, en refusant l'application du taux réduit à une partie de son chiffre d'affaires ; que la société fait appel de l'ordonnance du 5 septembre 2013 par laquelle le vice-président de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités qui ont été établis en conséquence ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : (...) 4°Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales : " Par dérogation aux dispositions des articles R. 431-4 et R. 431-5 du code de justice administrative, les requêtes au tribunal peuvent être signées d'un mandataire autre que ceux qui sont mentionnés à l'article R. 431-2 du même code. En ce cas, les dispositions de l'article R. 197-4 du présent livre sont applicables (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 197-4 du même livre : " Toute personne qui introduit ou soutient une réclamation pour autrui doit justifier d'un mandat régulier. Le mandat doit, à peine de nullité, être produit en même temps que l'acte qu'il autorise ou enregistré avant l'exécution de cet acte (...) " ;
4. Considérant que, pour rejeter comme irrecevable la demande introduite au nom de la société Laisser Passer, le vice-président de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris a relevé que cette demande, bien que signée et comportant le tampon de la société, était, ainsi que l'administration l'avait relevé dans son mémoire en défense, communiqué à la société, dépourvue de toute mention permettant d'en identifier le signataire et que la société n'avait pas produit les documents justifiant de sa qualité à agir ; que le mémoire en réplique de la société Laisser Passer comportait toutefois en page 2 la mention du nom de son gérant et en page 3 sa signature ; que la demande ne pouvait, dans ces conditions, être rejetée comme irrecevable ; que l'ordonnance attaquée doit donc être annulée ;
5. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur le surplus des conclusions de la requête :
6. Considérant qu'en vertu du b quater de l'article 279 du code général des impôts dans sa rédaction applicable en l'espèce, la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 5,5 % en ce qui concerne les transports de voyageurs ; que ce taux réduit s'applique aux mises à disposition, avec chauffeur, de véhicules conçus pour le transport de personnes lorsque ces opérations procèdent de l'exécution de contrats qui peuvent être qualifiés de contrats de transports, compte tenu notamment de leurs stipulations relatives à l'assurance et à la responsabilité du propriétaire ;
7. Considérant que la qualification de contrat de transport s'apprécie au regard des stipulations relatives aux conditions concrètes d'exploitation de l'activité, en particulier des stipulations relatives à la tarification et à la maîtrise du déplacement par le prestataire du véhicule et que ne relèvent pas d'une telle qualification, faute d'accord préalable sur les trajets à effectuer, les mises à disposition, avec chauffeur, de véhicules conçus pour le transport de personnes facturées à l'heure, pour lesquelles le tarif est totalement indépendant de la distance parcourue, voire de l'existence ou non d'un déplacement, comme les prestations assorties d'un kilométrage illimité ou celles dont les tarifs sont calculés exclusivement en fonction de la tranche horaire et de la durée de la prestation ;
8. Considérant que, pour refuser l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à une partie du chiffre d'affaires de la société, en l'absence de production des contrats correspondant aux prestations de transport réalisées par celle-ci, l'administration s'est fondée sur l'analyse de l'ensemble des factures émises par la société au cours de la période en cause ; qu'elle a estimé que les factures qui ne comportaient aucune précision sur le parcours réalisé ne pouvaient être regardées comme des factures correspondant à des prestations de transport de voyageurs au sens du b quater de l'article 279 du code général des impôts ;
9. Considérant, en premier lieu, que la société n'apporte aucune précision, ni aucun commencement de justification sur les conditions concrètes de réalisation des prestations qu'elle a réalisées ; que les prestations imposées par le service au taux normal ne peuvent donc être regardées comme ayant la nature de prestations de transport de voyageurs au sens du b quater de l'article 279 du code général des impôts ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, la société n'est pas fondée à demander le bénéfice de la décision de rescrit du 24 juin 2008 qui ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle qui vient d'être rappelée ; qu'elle ne saurait utilement en contester la légalité, les impositions en litige procédant seulement de l'application de la loi ;
11. Considérant, en troisième lieu, que la société, qui n'exerce pas l'activité de taxi au sens des dispositions de la loi du 20 janvier 1995 relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi et des articles L. 3121-1 et suivants du code des transports, n'est pas fondée à invoquer la situation des taxis, ni la doctrine référencée BOl TVA-LIQ-30-20-60, n° 1, qui leur est applicable ; qu'en l'absence de question prioritaire de constitutionnalité soulevée par un mémoire distinct, elle ne saurait utilement faire état d'une rupture de l'égalité par rapport aux taxis, notamment en se référant à la décision n° 2014-422 QPC du Conseil constitutionnel du
17 octobre 2014 ; qu'elle ne saurait davantage se référer aux dispositions des articles L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail prohibant le marchandage et le prêt de main d'oeuvre, à celles de l'article 1779 du code civil relatives au contrat de louage d'ouvrage et d'industrie, à celles de la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs dans leur rédaction applicable jusqu'au 1er décembre 2010 portant définition des transports publics, et à celles de la loi du
1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ainsi qu'aux travaux préparatoires de cette loi, postérieure à la période d'imposition en litige ; qu'elle ne saurait enfin invoquer la doctrine exprimée par l'instruction 3-C-4-03 du 22 octobre 2003 relative à la définition du contrat de transport par mer ou par fleuve dans le champ de laquelle elle n'entre pas ;
12. Considérant, en quatrième lieu, que, dans son arrêt du 27 février 2014 rendu dans l'affaire C-454/12 et 455/12, Pro Med Logistik GmbH et Eckard Pongratz, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 98, 1et 2 de la directive 2006/112/CE du
28 novembre 2006, et l'annexe III, point 5 de celle-ci, eu égard au principe de neutralité fiscale, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce que deux types de services de transport urbain des personnes et des bagages qui les accompagnent, à savoir, d'une part, en taxi et, d'autre part, en voiture de location avec chauffeur, soient soumis à des taux de taxe sur la valeur ajoutée distincts, l'un réduit, l'autre normal, pour autant que, d'une part, en raison des différentes exigences légales auxquelles sont soumis ces deux types de transport, l'activité de transport urbain de personnes en taxi constitue un aspect concret et spécifique de la catégorie des services de transport des personnes et des bagages qui les accompagnent, visée auxdits article et annexe de cette directive et, d'autre part, lesdites différences ont une influence déterminante sur la décision de l'usager moyen de recourir à l'un ou à l'autre de ceux-ci ; que la Cour a également dit pour droit que, eu égard à ce même principe de neutralité fiscale, ces textes doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que deux types de services de transport urbain des personnes et des bagages qui les accompagnent, à savoir, d'une part, en taxi et, d'autre part, en voiture de location avec chauffeur, soient soumis à des taux de taxe sur la valeur ajoutée distincts lorsque, en vertu d'une convention particulière qui s'applique indistinctement aux entreprises de taxis et aux entreprises de location de voitures avec chauffeur qui y sont parties, le transport de personnes en taxi ne constitue pas un aspect concret et spécifique du transport des personnes et des bagages qui les accompagnent et que cette activité réalisée dans le cadre de ladite convention est considérée comme semblable, du point de vue de l'usager moyen, à l'activité de transport urbain de personnes en voiture de location avec chauffeur ; que les éléments produits par la société ne permettent pas de considérer que tel serait le cas en l'espèce ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la société Laisser Passer n'est pas fondée à demander à être déchargée des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités en litige ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1203622 du 5 septembre 2013 du vice-président de la 1ère section du Tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande de la société Laisser Passer devant le Tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Laisser Passer et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2015 à laquelle siégeaient :
Mme Tandonnet-Turot, président de chambre,
Mme Appèche, président assesseur,
M. Niollet, premier conseiller,
Lu en audience publique le 4 février 2015.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
S. TANDONNET-TUROT
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 11PA00434
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N° 13PA04034