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24/09/2015 | FRANCE | N°13NT03424

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 24 septembre 2015, 13NT03424


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Sodisac a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales acquittées au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.

Par un jugement n° 1204022 du 10 décembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 décembre 2013 et les 24 juin, 13 octobre e

t 16 décembre 2014, la SAS Sodisac, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Sodisac a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales acquittées au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.

Par un jugement n° 1204022 du 10 décembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 décembre 2013 et les 24 juin, 13 octobre et 16 décembre 2014, la SAS Sodisac, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 décembre 2013 ;

2°) de prononcer la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales acquittées au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'impossibilité pour les filiales françaises d'une société mère établie dans un autre Etat de l'Union européenne de pouvoir bénéficier du régime d'intégration fiscale prévu par l'article 223 A du code général des impôts constitue une inégalité de traitement constitutive d'une restriction à la liberté d'établissement prohibée par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- cette restriction n'est pas justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général ;

- il en résulte une inégalité de traitement en raison de la situation du siège social de la société mère qui détient des filiales françaises ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 octobre 2014 et 27 février 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'il s'en remet à la sagesse de la cour quant à la portée de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 juin 2014 et que les autres moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'arrêt n° C-40/13 du 12 juin 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aubert,

- les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public.

1. Considérant que la société de droit français Sodisac est indirectement et intégralement détenue par la société de droit espagnol Manufacturas Tompla SA, par l'intermédiaire de deux filiales de cette société, les sociétés SCE Tompla Holding SL et Grupo Tombla Sobre Express SL également de droit espagnol ; que la société de droit français CEPAP est également détenue indirectement par la société Manufacturas Tompla SA par l'intermédiaire de la société de droit espagnol Manipulados de Monzon qui détient 98,62% de ses parts, elle-même détenue par les sociétés SCE Tompla Holding SL et Grupo Tombla Sobre Express SL ; que la société Sodisac a présenté le 17 juillet 2012 une réclamation tendant à la restitution d'une fraction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales acquittées au titre des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 en se prévalant de l'impossibilité dans laquelle la plaçait alors la législation française de constituer un groupe d'intégration fiscale avec la société CEPAP et, par suite, d'imputer les déficits de cette dernière sur ses propres bénéfices fiscaux ; que sa réclamation ayant été rejetée par une décision du 26 novembre 2012, la société Sodisac a saisi le tribunal administratif d'Orléans, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 10 décembre 2013 dont elle relève appel ;

Sur le bien-fondé de la demande de restitution :

En ce qui concerne son principe :

2. Considérant que la société Sodisac se prévaut de l'arrêt du 12 juin 2014 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans l'affaire C-40/13, a dit pour droit que les articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation d'un Etat membre en vertu de laquelle un régime d'entité fiscale unique est accordé à une société mère résidente qui détient des filiales résidentes, mais est exclu pour des sociétés soeurs résidentes dont la société mère commune n'a pas son siège dans cet Etat membre et n'y dispose pas d'un établissement stable ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe (...) Les sociétés du groupe restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats (...) Seules peuvent être membres du groupe les sociétés qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés (...) " ; qu'aux termes de l'article 223 B du même code dans sa rédaction alors en vigueur : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe (...) " ; qu'enfin ce dernier article et les articles 223 D et 223 F du même code prévoient la neutralisation d'opérations internes au groupe, telles que des provisions pour créances douteuses ou pour risques entre sociétés du groupe, des abandons de créances ou des subventions internes à celui-ci, des provisions pour dépréciation de participations détenues dans d'autres sociétés du groupe et des cessions d'immobilisations au sein de ce dernier ;

4. Considérant que la liberté d'établissement, que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne reconnaît aux ressortissants européens, et qui comporte pour eux l'accès aux activités non salariées et l'exercice de celles-ci ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'Etat membre d'établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l'article 54 du traité, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union européenne, le droit d'exercer leur activité dans l'Etat membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence ; qu'à cet égard, la possibilité ouverte, par le régime de l'intégration fiscale, à une société mère résidente d'alléger son imposition en lui permettant de consolider les résultats de toutes les sociétés du groupe fiscalement intégré, est constitutive d'un avantage de trésorerie pour les sociétés concernées en ce que, notamment, la compensation des bénéfices et des pertes autorisée permet au groupe une prise en compte immédiate des pertes de certaines sociétés membres et, ainsi, de conserver aux transactions effectuées au sein du groupe un caractère fiscalement neutre ;

5. Considérant qu'en vertu des articles 223 A et suivants du code général des impôts dans leur rédaction alors applicables, cet avantage fiscal n'était toutefois pas accordé à des sociétés ayant leur siège en France mais qui sont détenues directement ou indirectement par une société mère établie dans un autre Etat membre au moyen, le cas échéant, de filiales intermédiaires elles-mêmes établies dans d'autres Etats membres, du moins tant que la société mère et les filiales intermédiaires n'exercent aucune activité en France, notamment par l'entremise d'un établissement stable, alors qu'une société mère française a la faculté de constituer une intégration fiscale avec ses filiales ou ses sous-filiales résidentes détenues par l'intermédiaire de filiales établies en France ou y ayant un établissement stable ; qu'il en résulte une différence de traitement entre, d'une part, les sociétés mères ayant leur siège en France qui, grâce au régime de l'intégration fiscale, peuvent notamment, aux fins de l'établissement de leur bénéfice imposable, faire immédiatement la somme algébrique des bénéfices et des déficits de leurs filiales et, d'autre part, les sociétés mères détenant également des filiales en France mais qui, ayant leur siège dans un autre Etat membre et ne disposant pas d'établissement stable en France, sont exclues du bénéfice de l'intégration fiscale et, partant, des avantages auxquels elle ouvre droit ; qu'ainsi, en tant qu'elles défavorisent, sur le plan fiscal, les situations européennes par rapport aux situations purement internes, les dispositions des articles 223 A et suivants du code général des impôts dans leur rédaction alors en vigueur ont constitué une restriction en principe interdite par les stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la liberté d'établissement ; que l'existence de cette restriction n'est pas remise en cause par la circonstance que la société mère commune des filiales à consolider se trouve à un niveau plus élevé de la chaîne de participations du groupe, dès lors que les sociétés intermédiaires, dont le siège n'est pas en France et qui n'y disposent pas d'un établissement stable, ne peuvent pas elles-mêmes faire partie de l'intégration fiscale ;

6. Considérant qu'une telle différence de traitement reste compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté d'établissement si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; que la possibilité de comparer une situation européenne avec une situation interne doit être examinée en tenant compte de l'objectif poursuivi par la législation en cause ; que, toutefois, l'objectif du régime français de l'intégration fiscale, qui est de permettre aux sociétés d'un même groupe d'être regardées dans toute la mesure du possible comme une entreprise unique formant un seul et même contribuable, peut être atteint aussi bien par des groupes dont la société mère est résidente que par ceux dont la société mère ne l'est pas, à tout le moins pour ce qui concerne l'imposition des seules sociétés assujetties à l'impôt en France ; que, dès lors que l'article 223 A du code général des impôts permet, dans le cas d'un groupe dont la société mère est résidente, la consolidation des filiales et que cet objectif peut également être en partie atteint, dans le cas d'une société mère étrangère, en ne permettant qu'aux seules filiales établies en France de faire l'objet d'une consolidation de leurs résultats, la différence de traitement, s'agissant de la possibilité d'intégrer uniquement des sociétés soeurs résidentes, n'est pas justifiée par une différence de situation objective, ni, d'ailleurs, en l'espèce, par un motif impérieux d'intérêt général ;

7. Considérant que le ministre ne saurait opposer l'absence d'exercice formel d'une option de la société CEPAP en faveur de la constitution d'un groupe d'intégration fiscale avec la société Sodisac ainsi que l'exige et selon les modalités prévues par l'article 46 quater 0 ZD de l'annexe III au code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur dès lors que, d'une part, ces formalités ne pouvaient, en tout état de cause, être accomplies en raison même du caractère restrictif de la législation française et que, d'autre part, ces difficultés pratiques ne peuvent justifier, à elles seules, l'atteinte portée à une liberté fondamentale protégée par le droit primaire de l'Union européenne ;

8. Considérant, en outre, que la volonté de la société CEPAP de constituer un groupe d'intégration fiscale avec la société Sodisac résulte de manière suffisante de la production par cette dernière des déclarations fiscales de la société CEPAP intitulées " régime fiscal des groupes de sociétés/Etat de suivi des déficits d'ensemble et affectation des moins-values à long terme d'ensemble " relatives aux exercices clos en 2009, 2010 et 2011 ; qu'enfin, ces déclarations permettent à l'administration de vérifier l'absence de double déduction des déficits de la société CEPAP imputés sur les résultats de la société Sodisac ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Sodisac est fondée à se prévaloir de l'arrêt du 12 juin 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne et, par suite, peut demander la restitution des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales dans la mesure où elle ne les aurait pas acquittées, en tout ou partie, au titre des années 2009, 2010 et 2011, si elle avait pu opter pour le bénéfice de la constitution d'un groupe d'intégration fiscale avec la société CEPAP ;

En ce qui concerne son montant :

10. Considérant que la société Sodisac demande la restitution des sommes de 77 501 euros, 108 843 euros et 88 429 euros au titre des années 2009, 2010 et 2011; qu'il résulte de l'instruction, notamment des déclarations fiscales remplies par la société CEPAP, que les déficits reportables de cette dernière se sont élevés à 16 832 139 euros au titre de l'exercice clos en 2009, à 15 450 298 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et à 14 186 001 euros au titre de l'exercice clos en 2011; qu'en revanche, l'administration soutient sans être contredite que les cotisations d'impôt acquittées en 2009 et en 2010 s'élèvent à 56 551 euros et à 86 844 euros seulement compte tenu des crédits d'impôts dont la société Sodisac a bénéficié ; que, dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à la demande de restitution de la requérante dans la limite de 56 551 euros au titre de l'année 2009 et de 86 844 euros au titre de l'année 2010 et pour la totalité de la somme demandée soit 88 429 euros au titre de l'année 2011 ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Sodisac est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Sodisac de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 décembre 2013 est annulé.

Article 2 : Il est accordé à la société Sodisac la restitution des sommes de 56 551 euros au titre de l'année 2009, 86 844 euros au titre de l'année 2010 et 88 429 euros au titre de l'année 2011.

Article 3 : L'Etat versera à la société Sodisac la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Sodisac et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 septembre 2015.

Le rapporteur,

S. AubertLe président,

F. Bataille

Le greffier,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT00647 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 13NT03424
Date de la décision : 24/09/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: Mme Sylvie AUBERT
Rapporteur public ?: Mme WUNDERLICH
Avocat(s) : SELAS ARSENE TAXAND

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-09-24;13nt03424 ?
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