Vu la requête, enregistrée le 3 juillet 2013, présentée pour Mme A...D..., demeurant..., par Me C... ;
Mme D...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1101506 rendu le 3 mai 2013 par le tribunal administratif de Toulon ;
2°) d'annuler la décision implicite révélée par le silence gardé par le ministre de la défense sur sa demande du 21 janvier 2011 tendant à la reconstitution de sa carrière ;
3°) d'enjoindre au ministre de la défense de reconstituer sa carrière, dans le délai de 2 mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, de condamner l'État à lui verser la somme de 120 282 euros au titre de son préjudice matériel, somme à parfaire à compter du 1er juillet 2013 jusqu'à la date de la décision à intervenir à raison de 495 euros par mois, ledit préjudice étant évolutif, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation en vertu de 1'article 1153 du code civil ;
5°) de condamner l'État au versement de la somme de 10 000 euros pour compensation à l'égard de l'administration fiscale ;
6°) en tout état de cause, de condamner l'État à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi ;
7°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- si elle ne peut se prévaloir des dispositions du seizième modificatif de l'instruction du ministre de la défense du 30 mars 1973, elle peut cependant se prévaloir des dispositions du titre III c1 de la dite instruction dans sa version applicable à la date du 2 février 1990 qui prévoit un droit à avancement pour les agents par la voie d'un stage, dans la mesure où " le nombre d'ouvriers retenus pour subir le stage est égal au nombre de postes vacants " ;
- compte tenu des dispositions précitées de l'instruction de 1973, le tribunal a commis une erreur de droit en relevant que sa réussite à une formation qualifiante à l'issue d'un stage ne lui ouvrait pas un droit à l'avancement mais était subordonnée à une vacance de poste dans le groupe ;
- la vacance de poste étant le principe pour les stagiaires, il appartient à l'administration de produire les tableaux d'effectifs des années 1990 à 2006 pour prouver l'absence de poste vacant ;
- la condition de la vacance de poste pour l'avancement ne s'applique qu'à l'avancement par essai et au choix ;
- elle établit une rupture d'égalité entre agents en apportant un document prouvant qu'un agent placé dans une position similaire à la sienne a bénéficié d'un avancement ;
- elle est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière sous astreinte ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense enregistré le 13 février 2015 présenté par le ministre de la défense qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- la profession matriculaire d'agent d'approvisionnement a été supprimée en 1985 ; c'est la raison pour laquelle la formation suivie par Mme D...n'a pas été reconnue comme formation qualifiante ancienne bénéficiant du dispositif dit "d'apurement du passé", ce dispositif ayant été mis en place à compter du 1er janvier 1998 ;
- l'erreur de droit doit être écartée, les dispositions de l'instruction de 1973 relative à l'avancement des ouvriers imposant une vacance d'emploi pour un changement de groupe, soit après la réussite d'un essai ou d'un avancement au choix, l'appelante ne remplissant aucune de ces conditions ;
la rupture d'égalité entre agents sera également écartée, dans la mesure ou si MmeB..., ouvrière de l'État, a bien suivi le même stage que la requérante en 1989, il n'en demeure pas moins que son reclassement au groupe VI de la profession d'agent d'approvisionnement breveté supérieur, le 1er août 1990, fait suite à sa réussite à un essai professionnel, ce qui n'a pas été le cas de MmeD... ; en tout état de cause les agents étaient affectées dans des établissements différents et le volume d'avancement généré par les vacances d'emplois de chaque établissement n'était pas identique ;
- compte-tenu de la demande préalable d'indemnisation datée du 20 mai 2011, tout préjudice éventuellement subi avant le 1er janvier 2007 est prescrit ; la demande d'indemnisation devra donc être rejetée comme étant non fondée.
Vu l'instruction n° 47676/DN/DPC/CRG du 30 mars 1973 du ministre de la défense ;
Vu l'instruction n° 52035 du 5 mai 1975 du ministre de la défense ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 avril 2015 :
- le rapport de M. Angéniol, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,
- et les observations de MmeD... ;
1. Considérant que Mme D...relève appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Toulon le 3 mai 2013 qui a rejeté ses demandes tendant respectivement, d'une part, à l'annulation de la décision implicite révélée par le silence gardé par le ministre de la défense sur sa demande du 21 janvier 2011 tendant à la reconstitution de sa carrière, d'autre part, à titre principal, à ce qu'il soit enjoint au ministre de la défense de reconstituer sa carrière, dans le délai de 2 mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 120 282 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi ; enfin et en tout état de cause à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
2. Considérant que Mme D...doit être regardée, par les termes de sa demande adressée au ministre, ainsi que par ceux de sa requête de première instance, comme demandant l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la défense a refusé de reconstituer sa carrière en la promouvant directement au groupe 6 puis au groupe 7 à l'issue de son obtention, le 2 février 1990, du brevet supérieur d'agent d'approvisionnement ;
Sur la légalité de la décision implicite de rejet du ministre de la défense de procéder à la reconstitution de carrière de MmeD... :
3. Considérant que l'instruction générale du ministre de la défense du 30 mars 1973 susvisée, dans sa version alors applicable, prévoyait en son titre III, intitulé " avancement de groupe ", la possibilité d'un avancement par essai, au choix, et enfin, pour les professions ne comportant pas d'essai professionnel, la possibilité d'un avancement à la suite d'un stage et d'une note sanctionnant ce stage jugé satisfaisant, comme le prévoyait l'article III-C-1 de la dite instruction ; que, par ailleurs, dans ce cas de figure, la dite instruction ne subordonnait pas l'avancement de l'agent à l'existence d'une vacance de poste dans ce groupe, le nombre d'ouvriers retenus pour subir le stage devant être égal au nombres de postes vacants ; qu'en application de ces dispositions, l'appelante, qui avait obtenu son brevet supérieur d'agent d'approvisionnement avec la note moyenne de 16,26 sur 20 à l'issue de son stage, est en droit de soutenir qu'elle aurait dû obtenir immédiatement son avancement au groupe supérieur à l'issue de la date d'obtention de son brevet supérieur le 2 février 1990 ; que, cependant, il ressort des dispositions de l'instruction ministérielle n° 52035 du 5 mai 1975 susvisée, également applicable à la situation de l'appelante que les agents hautement qualifiés de gestion des stocks et d'achats devaient " justifier d'au moins deux ans de pratique professionnelle dans la profession d'agent qualifié de stocks et d'achats groupe VI. " pour pouvoir prétendre à un avancement au groupe VII et ce, quel que soit le mode d'avancement ; que, par conséquent, Mme D...ne pouvait également demander un avancement au groupe VII directement après sa promotion au groupe VI à l'issue de son stage, et ce, même si certains agents ont pu obtenir un tel avancement concomitant ; que, par suite, Mme D...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le ministre de la défense a refusé de reconstituer sa carrière en la promouvant au groupe 6 de sa profession à compter du 2 février 1990 date d'obtention de son brevet supérieur ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ;
5. Considérant qu'en application de l'article L. 911-1 précité, le présent arrêt implique nécessairement la reconstitution de carrière de Mme D...à compter du 2 février 1990, date à laquelle elle doit désormais être regardée comme ayant obtenu son avancement au groupe VI ; que, cette reconstitution rétroactive implique une reconstitution de carrière sur cette période ; qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de la défense de procéder à cette formalité dans le délai de 2 mois à compter de la date de lecture du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le préjudice financier :
6. Considérant que les conclusions indemnitaires de Mme D...tendant à ce que lui soit versée une indemnisation correspondant à la différence entre les rémunérations qu'elle aurait pu percevoir et celles qu'elle a perçues ainsi que celles tendant à ce que soit compensé un préjudice fiscal lié au versement de cette indemnisation, qui n'ont été présentées qu' à titre subsidiaire, sont sans objet de par l'effet de l'injonction ci-dessus ordonnée et accordée à titre principal ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
7. Considérant que l'illégalité de la décision attaquée par laquelle le ministre de la défense a refusé de procéder à la reconstitution de la carrière de la requérante à compter du 1er mars 1992 est fautive, et de nature à engager sa responsabilité ; que cette faute a nécessairement causé un préjudice moral à l'appelante dont il sera fait une juste appréciation en condamnant l'État au versement de la somme de 3 000 euros ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que Mme D...est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions à fin d'annulation ainsi que ses demandes d'injonction afférentes ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
16. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de Mme D...présentées sur le fondement des dispositions précitées et de condamner l'État au versement de la somme de 2 000 euros ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement rendu le 3 mai 2013 par le tribunal administratif de Toulon et la décision implicite de rejet de la demande de Mme D...du 21 janvier 2011 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint sans astreinte au ministre de la défense de procéder, dans le délai de deux mois, à la reconstitution de carrière de MmeD..., conformément aux prescriptions du présent arrêt à compter du 1er mars 1992.
Article 3 : L'État (ministre de la défense) versera à Mme D...une indemnité de 3 000 euros (trois mille euros) en réparation de son préjudice moral.
Article 4 : L'État (ministre de la défense) versera à Mme D...la somme de
2 000 euros (deux mille euros) en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 21 avril 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Gonzales, président de chambre,
- M. Renouf, président assesseur,
- M. Angéniol premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 juin 2015.
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N° 13MA027085