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05/07/2012 | FRANCE | N°12PA00068

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre, 05 juillet 2012, 12PA00068


Vu le recours, enregistré le 6 janvier 2012, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ; le MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour à titre principal d'annuler l'ordonnance n° 1104645 en date du 20 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Melun l'a condamné à verser à M. une provision de 5 000 euros du fait des conditions de détention de celui-ci à la maison d'arrêt de Fresnes, subsidiairement à ce que le montant des sommes réclamées à titre de provision soit ramené à de plus justes proportions ;

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Vu le recours, enregistré le 6 janvier 2012, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ; le MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour à titre principal d'annuler l'ordonnance n° 1104645 en date du 20 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Melun l'a condamné à verser à M. une provision de 5 000 euros du fait des conditions de détention de celui-ci à la maison d'arrêt de Fresnes, subsidiairement à ce que le montant des sommes réclamées à titre de provision soit ramené à de plus justes proportions ;

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Vu les autres pièces du dossier, notamment le rapport d'expertise établi le 14 janvier 2011 par M. ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2012 :

- le rapport de Mme Folscheid, rapporteur,

- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,

- et les observations de Me Noël, pour M. ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ;

Considérant que M. a recherché la responsabilité de l'administration pénitentiaire en raison de ses conditions de détention à la maison d'arrêt de Fresnes dont il estime qu'elles ont méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe du respect de la dignité humaine posé par les dispositions de l'article D. 189 du code de procédure pénale ; que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 541-1 du code de justice administrative, il a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une provision de 37 500 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait de ses conditions de détention, mettant notamment en cause l'impossibilité de se déplacer seul dans l'établissement, même à l'aide d'un fauteuil roulant, la violation des règles élémentaires d'hygiène et de santé, les toilettes non cloisonnées et directement ventilées dans les cellules contigües où les détenus prennent leur repas ; que le juge des référés du Tribunal administratif de Melun, par une ordonnance en date du 20 décembre 2011, a partiellement fait droit à sa demande en lui accordant une somme de 5 000 euros à titre provisionnel ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, relève régulièrement appel de cette ordonnance dont il demande l'annulation aux motifs qu'elle est entachée d'inexactitude matérielle des faits et d'erreurs d'appréciation tant sur la qualification juridique de ces faits que sur le quantum de la provision accordée ;

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale : " A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. , qui est âgé de 39 ans et atteint d'une pathologie neurologique chronique évolutive l'obligeant à se déplacer en fauteuil roulant, est détenu à la maison d'arrêt de Fresnes depuis le 2 avril 2010, dans une cellule médicalisée n° 90 qu'il occupe depuis son arrivée, soit depuis vingt mois à la date de l'ordonnance attaquée ;

Considérant qu'il résulte également de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, M. , architecte, missionné par le Tribunal administratif de Melun, ainsi que des éléments mis en avant par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, en appel comme en première instance et non contestés en défense, que les cellules ordinaires de la maison d'arrêt de Fresnes sont inaccessibles aux détenus à mobilité réduite se déplaçant en fauteuil roulant, en raison de la largeur insuffisante de leur porte, et que les équipements dont elles sont dotées ne sont pas adaptés à ces personnes ; qu'en revanche des cellules médicalisées, d'une surface identique à celle des cellules ordinaires, soit environ 10 m², aménagées dans les années 90 au rez-de-chaussée de la 2ème division à proximité de services communs et du service médical pour accueillir des détenus handicapés moteurs, sont accessibles aux détenus se déplaçant en fauteuil roulant ; qu'elles sont groupées deux par deux et séparées par un espace sanitaire ; qu'elles hébergent chacune deux détenus invalides et sont équipées de deux lits motorisés ; que la circulation de deux fauteuils roulants n'y est pas impossible, mais qu'elle est particulièrement malaisée, les détenus ne pouvant s'y croiser qu'au prix d'un dégagement au niveau de l'entrée de l'espace sanitaire ; que ces cellules sont éclairées naturellement par des fenêtres suffisamment larges pour assurer une aération satisfaisante sans ventilation mécanique ; que l'espace sanitaire comprend une cuvette WC non cloisonnée, mais comportant deux barres de relevage, deux lavabos et une douche munies d'un banc, d'une barre de relevage et d'un rideau de protection ; que cet espace dessert les deux cellules qui lui sont contiguës de part et d'autre, mais peut également à l'occasion être utilisé par d'autres détenus également handicapés logés à proximité dans des cellules ordinaires ; que l'aération y est assurée par quatre vantaux et est satisfaisante au regard du volume de la pièce mais que faute de ventilation mécanique, le taux d'humidité y est élevé ; qu'enfin, certains équipements électriques dans ces espaces sanitaires sont défectueux ou non conformes à la réglementation en vigueur ; que, s'agissant des activités des détenus, un espace promenade a été aménagé pour les occupants des cellules médicalisées auquel ils peuvent accéder en fauteuil roulant ; que la salle de détente et, à l'exception néanmoins des installations sanitaires y attenant, la salle de sport leur sont également accessibles ; que si en revanche la bibliothèque ainsi que la salle de culte leur sont inaccessibles, ils peuvent néanmoins solliciter du bibliothécaire le prêt d'ouvrages ; qu'il existe des boxes dédiés à leurs parloirs familiaux situés à l'entresol ; que les locaux de l'infirmerie leur sont également accessibles et que si tel n'est pas le cas des bureaux des personnels de santé et d'encadrement, une salle d'audience a été aménagée pour qu'ils puissent être reçus par les uns comme les autres ; qu'enfin, un détenu classé " auxiliaire de vie " est chargé d'aider au quotidien les personnes à mobilité réduite, et un dispositif lumineux installé au-dessus des cellules aménagées à leur intention leur permet d'attirer l'attention des gardiens en cas de problème ;

Considérant qu'eu égard aux aménagements spécifiques, susdécrits, des cellules médicalisées, et nonobstant les difficultés de circulation de deux fauteuils roulants à l'intérieur de ces cellules, la présence de certains équipements électriques non conformes aux normes ainsi que le taux d'humidité élevé de l'espace sanitaire, l'hébergement d'un détenu à mobilité réduite dans une cellule médicalisée ne saurait être regardé comme attentatoire à la dignité humaine ; que, par ailleurs, les réelles possibilités de déplacement de ces personnes au sein de l'établissement et l'accessibilité de la quasi-totalité des locaux communs ne permettent pas davantage de retenir une telle atteinte ; que, par suite, c'est à tort que le juge des référés a estimé que les conditions d'incarcération de M. n'assuraient pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et méconnaissaient les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions précitées du code de procédure pénale ;

Considérant, dès lors, que l'obligation dont se prévaut M. à l'égard de l'Etat au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi à raison des conditions dans lesquelles il est détenu à la maison d'arrêt de Fresnes depuis son arrivée dans cet établissement ne pouvait, eu égard à ce qui vient d'être dit, être regardée comme présentant le caractère non sérieusement contestable exigé par les dispositions susrappelées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative pour ouvrir droit à provision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a condamné l'Etat à verser à M. une provision à valoir sur la réparation du préjudice subi par celui-ci à raison des conditions de détention qui lui sont imposées au sein de la maison d'arrêt de Fresnes ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. à la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 1104645 du juge des référés du Tribunal administratif de Melun du 20 décembre 2011 est annulée.

Article 2 : Les conclusions de M. présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 10PA03855

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N° 12PA00068


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3 ème chambre
Numéro d'arrêt : 12PA00068
Date de la décision : 05/07/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : Mme VETTRAINO
Rapporteur ?: Mme Bénédicte FOLSCHEID
Rapporteur public ?: M. JARRIGE
Avocat(s) : ETIENNE NOEL ET SANDRA GOSSELIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2012-07-05;12pa00068 ?
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