Vu la requête, enregistrée le 6 décembre 2012, présentée pour la Sarl Mahe Villa Expertises, dont le siège est 4 rue Max Le Bail à Saint Brieuc (22003 cedex 1), par Me Foulon, avocat au barreau de Rennes ; la Sarl Mahe Villa Expertises demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1002020 du 5 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 29 avril 2010 par laquelle l'inspecteur du travail de la 6ème section des Côtes-d'Armor a autorisé le licenciement de M. B... A... ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
la Sarl Mahé Villa Expertises soutient que :
- sur la régularité du jugement attaqué, les premiers juges n'ont pas répondu à l'ensemble des moyens dont ils étaient saisis ;
- sur le bien-fondé de la décision en litige :
. l'inspecteur du travail n'a pas méconnu le caractère contradictoire de l'enquête, M. A... ayant pris connaissance du rapport d'audit sur le fondement duquel l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement ;
. les conditions de notification de la décision au syndicat de M. A... sont sans influence sur la régularité de la décision litigieuse ;
. le dépassement du délai de 15 jours pour mener l'enquête contradictoire est sans incidence ;
. M. A... n'était plus représentant de section syndicale au moment de l'autorisation de licenciement, si bien que l'inspecteur du travail n'avait pas à prendre en compte cette qualité ;
. l'inspecteur du travail n'a pas motivé sa décision par une sanction prescrite, puisque ce motif a disparu de l'autorisation de licenciement en date du 29 avril 2010 ;
. les faits reprochés ne sont pas prescrits ; ils sont réels, leur matérialité ayant été reconnue par le salarié, et d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ;
. il n'y avait pas lieu de reconnaître un motif d'intérêt général lié à ce que M. A... soit le seul représentant du personnel ;
. le licenciement n'a pas revêtu de caractère discriminatoire ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2013, présenté pour M. A... par Me Lefrais, avocat au barreau de Saint Brieuc, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la Sarl Mahé Villa Expertises le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que :
- l'enquête de l'inspecteur du travail n'a pas revêtu un caractère contradictoire ;
- l'inspecteur du travail a méconnu le délai de quinze jours pour mener son enquête ;
- le délai d'un mois qui doit s'écouler entre le début de la procédure disciplinaire et l'autorisation de licenciement a également été méconnu ;
- la décision aurait dû être notifiée à son syndicat ;
- l'autorisation de licenciement ne pouvait ignorer sa qualité de représentant de section syndicale ;
- les fautes reprochées n'étaient, soit pas suffisamment qualifiées, soit pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
- la mesure n'est pas dépourvue de tout lien avec son mandat de délégué du personnel ;
- des considérations tirées de l'intérêt public aurait dû conduire l'inspecteur du travail à refuser l'autorisation, car il est le seul représentant du personnel dans l'entreprise ;
Vu les pièces du dossier dont il résulte que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 janvier 2014 :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public,
- et les observations de Me Foulon, avocat de la Sarl Mahe Villa Expertises ;
1. Considérant que M. A... a été embauché en qualité de comptable le 30 juillet 2001 par la société Eurexpa, devenue la Sarl Mahé Villa Expertises ; que le 23 février 2009, ce salarié a été élu délégué du personnel titulaire ; que le 13 janvier 2010, il a été convoqué à un entretien de licenciement pour faute ; que le 29 janvier 2010, son employeur a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier ce salarié protégé ; que le 29 avril 2010, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement qui est intervenu le 3 mai 2010 ; que la Sarl Mahé Villa Expertises fait appel du jugement en date du 5 octobre 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de M. A..., l'autorisation de le licencier accordée le 29 avril 2010 ;
Sur les conclusions à fins d'annulation :
2. Considérant qu'en application des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'à l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, l'article R. 2421-11 du code du travail dispose que l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ;
3. Considérant que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés ; qu'il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance en temps utile de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation ; que c'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la Sarl Mahé Villa Expertises a
sollicité de l'inspecteur du travail compétent l'autorisation de licencier M. A... en se prévalant notamment d'erreurs commises par ce salarié dans le cadre de son activité professionnelle, s'agissant du paiement en retard de trois acomptes d'impôt sur les sociétés, d'un trop versé aux salariés à temps partiel, d'erreurs dans le calcul de réductions dites " TEPA " relatives à l'exonération de cotisations sociales et enfin d'oublis de déductions au titre de la loi dite " loi Fillon " ; qu'il ressort des pièces du dossier que ces erreurs commises par M. A..., qui témoignaient selon son employeur d'un manque de rigueur fautif totalement incompatible avec des fonctions de comptable, ont été mises en évidence à l'occasion de la réalisation d'une situation comptable intermédiaire par un cabinet d'expert-comptable mandaté par la société, dont la prestation a donné lieu à un rapport annexé par l'employeur à sa demande d'autorisation de licenciement ; que devant le tribunal administratif, l'administration a indiqué que, lors de l'enquête contradictoire en date du 11 février 2010, effectuée en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail a présenté ce rapport à M. A... et a lu point par point l'ensemble des fautes qui sont reprochées à ce salarié ; qu'en procédant ainsi, sans mettre l'intéressé à même de prendre connaissance par lui-même de ce rapport, alors que la communication de ce document n'était pas susceptible de porter préjudice à ce cabinet d'expert-comptable, l'inspecteur du travail a méconnu le caractère contradictoire de la procédure ; qu'eu égard à la garantie dont le salarié a été ainsi privé, l'autorisation de le licencier délivrée par l'inspecteur du travail est entachée d'irrégularité ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Sarl Mahé Villa Expertises n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a a annulé la décision du 29 avril 2010 par laquelle l'inspecteur du travail de la 6ème section des Côtes-d'Armor a autorisé le licenciement de M. A... ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la Sarl Mahé Villa Expertises demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des mêmes frais exposés par M. A... ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la Sarl Mahé Villa Expertises est rejetée.
Article 2 : La Sarl Mahé Villa Expertises versera une somme de 2 000 euros à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Sarl Mahé Villa Expertises, à M. B... A...et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Bachelier, président de la cour,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Etienvre, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2014.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
G. BACHELIER
Le greffier,
C. CROIGER
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT03120