Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 avril 2012 et 6 septembre 2012, présentés pour la société France Télécom, dont le siège est au 6, place d'Alleray, à Paris (75015), représentée par son président directeur général en exercice, par Me Nauges, avocat ; la société France Télécom demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1000043 du 21 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat conclu entre le syndicat intercommunal mixte Cablimages et la société NC Numéricable en vue de la réalisation d'un réseau de communications électroniques ;
2°) d'annuler ce contrat ;
3°) subsidiairement, d'annuler l'article 16 du contrat et d'enjoindre à la société Numéricable de rembourser au taux d'intérêt du marché les sommes d'ores et déjà versées par Cablimages sur le fondement de cet article ;
4°) de mettre à la charge du syndicat intercommunal mixte Cablimages une somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
La société France Télécom soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation faute pour les premiers juges d'avoir expliqué en quoi l'établissement et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques par une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale n'était pas constitutif d'une mission de service public ;
- les premiers juges ont omis de répondre à son moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne imposant la notification à la Commission des aides d'Etat ;
- le jugement a dénaturé les faits de l'espèce en considérant que le contrat conclu entre le syndicat mixte Cablimages et la société Numéricable n'avait pas pour objet la mise à disposition de services de communications électroniques à des clients finaux ;
- contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, les contrats d'établissement et d'exploitation d'infrastructures de réseaux de communications électroniques sur le territoire des collectivités territoriales sont des conventions de délégation de service public au sens de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ;
- il est contradictoire pour le tribunal de refuser au contrat en cause la qualification de délégation de service public et d'admettre dans le même temps que le versement de la somme de 2 511 000 euros promise à la société Numéricable par l'article 16 dudit contrat puisse constituer une compensation pour charges de service public ;
- les conditions de passation du contrat ont méconnu les dispositions du code général des collectivités territoriales qui régissent les conventions de délégation de service public ;
- la participation de la société Numéricable à l'avant-projet d'appel d'offres lui a permis de bénéficier d'informations privilégiées de nature à rompre l'égalité entre les candidats ;
- le versement prévu à l'article 16 du contrat par le syndicat mixte à la société Numéricable de la somme de 2 511 000 euros constitue une aide d'Etat illégale ;
Vu le jugement et le contrat attaqués ;
Vu l'ordonnance en date du 13 novembre 2012 fixant la clôture de l'instruction le 3 janvier 2013 à 16 heures ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2012, présenté pour le syndicat intercommunal Cablimages, dont le siège est au 9, rue du général Leclerc, à Epinal (88000), représenté par son président, par M. Benesty, avocat, qui conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société France Télécom de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- le tribunal, qui a indiqué que, ni la lettre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, ni l'intention du législateur, ne permettaient de qualifier l'établissement et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques par une collectivité locale de mission de service public, a suffisamment motivé son jugement ;
- les premiers juges ont répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne imposant la notification à la Commission des aides d'Etat en écartant, pour le versement prévu à l'article 16 du contrat par le syndicat mixte à la société Numéricable de la somme de 2 511 000 euros, la qualification d'aide d'Etat ;
- le jugement, qui n'a pas qualifié le versement de la somme de 2 511 000 euros de compensation pour charges publiques, n'est entaché d'aucune contradiction de motifs ;
- le contrat en cause ne constitue pas une délégation de service public ; l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales donne compétence aux collectivités territoriales pour établir et exploiter des réseaux de communications électroniques mais ne crée pas pour autant un service public local des communications électroniques ; l'établissement d'un réseau de communications électroniques ne s'accompagne pas nécessairement de la création d'un service public ; le contrat en cause n'organise pas la fourniture de services à destination des usagers finaux ; les administrés des communes membres du syndicat mixtes ne peuvent recevoir, au moyen du seul ouvrage objet du contrat, aucun service dont le contenu et les tarifs auraient été définis par Cablimages ; le contrat en cause ne présente pas les caractéristiques d'une délégation de service public telles que définies par la jurisprudence ;
- le contrat en cause est une concession de travaux publics ;
- le contrat en cause n'ayant pas pour objet de déléguer la gestion d'un service public à un tiers, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du code général des collectivités territoriales régissant les conventions de délégation de service public sont inopérants ;
- un opérateur économique peut participer à la procédure d'attribution d'un contrat public, alors même qu'il a été antérieurement amené à participer à son évaluation ou à sa conception, dès lors qu'il n'est pas en possession d'informations privilégiées susceptibles de l'avantager par rapport à ses concurrents ;
- le paiement par le syndicat mixte de la somme de 2 511 000 compense la valeur de l'ouvrage non amortie par le droit d'exploitation au terme de la convention ; le paiement de ce prix échelonné du début des travaux jusqu'à la réception du réseau n'a apporté aucun avantage financier à la société Numéricable ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2013, présenté pour la société NC Numéricable, dont le siège est au 10, rue Albert Einstein, à Champs-sur-Marne (77420), représenté par son président directeur général, par Me Feldman, avocat ; la société Numéricable conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société France Télécom de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La société NC Numéricable soutient que :
- la société France Télécom, qui n'a pas été candidate à la procédure, n'a pas d'intérêt à agir ;
- le tribunal a suffisamment explicité les raisons qui l'ont conduit à ne pas procéder à la requalification du contrat en délégation de service public ;
- le tribunal a répondu à l'ensemble des moyens soulevés par la société France Télécom, et notamment au moyen tiré d'une prétendue violation des dispositions de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;
- le jugement attaqué n'est entaché d'aucune contradiction de motifs ni dénaturation des faits ;
- la notion d'ouvrage public est autonome de celle de service public ;
- le contrat en cause ne constitue pas une délégation de service public ; l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales donne compétence aux collectivités territoriales pour établir et exploiter des réseaux de communications électroniques mais ne crée pas pour autant un service public local des communications électroniques ; le contrat en cause ne présente pas les caractéristiques d'une délégation de service public, telles que définies par la jurisprudence ;
- les moyens de la société France Télécom tenant au non respect de la procédure de passation d'une délégation de service public ainsi qu'à la violation des dispositions de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales sont inopérants dès lors que la convention en cause n'est pas une délégation de service public ;
- le seul fait pour la société Numéricâble d'avoir participé à la préparation du contrat ne caractérise pas à lui seul une violation du principe d'égalité de traitement ;
- la somme versée par Cablimages ne constitue pas une aide d'Etat dès lors qu'elle constitue la contrepartie de l'obligation faite à Numéricâble de remettre gratuitement au syndicat une partie de l'ouvrage au terme de la convention alors que la durée de cette convention est insuffisante pour permettre l'amortissement des investissements consentis ;
Vu l'ordonnance en date du 3 janvier 2013 reportant la clôture de l'instruction au 24 janvier 2013 à 16 heures ;
Vu le mémoire, enregistré le 24 janvier 2013, présenté pour la société NC Numéricâble qui conclut aux mêmes fins ;
Elle soutient que :
- la somme versée par Cablimages constitue l'indemnisation d'investissements non amortis en fin de contrat ; le versement échelonné de cette somme entre le début des travaux et la réception de l'ouvrage ne modifie pas sa nature indemnitaire et ne la transforme pas en subvention ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 janvier 2013, présenté pour le syndicat intercommunal Cablimages qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 janvier 2013, présenté pour la société France Télécom qui conclut aux mêmes fins ;
La société France Télécom soutient que :
- le législateur a expressément qualifié l'établissement et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques de service public local et exclut les conventions y afférentes du champ des concessions de travaux publics ;
- la qualification de délégation de service public emporte l'illégalité du contrat conclu entre Cablimages et Numéricâble en raison de la méconnaissance des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la procédure de passation des conventions de délégation de service public, de l'absence de constat de carence de l'initiative privée et du versement d'une somme de 2 511 000 euros constitutive d'une aide d'Etat illégale ;
- la subvention perçue par Numéricâble est supérieure aux surcoûts occasionnés par les sujétions de service public délégué et intègre une rémunération disproportionnée du capital investi par le délégataire ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 mai 2013, présentée pour le syndicat intercommunal Cablimages, qui conclut au rejet de la requête, subsidiairement à l'annulation exclusivement des stipulations de l'article 16 en ce qu'elles prévoient un paiement antérieurement à la fin du contrat, enfin à la mise à la charge de la société France Télécom de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Le syndicat intercommunal Cablimages soutient que :
- la société Numéricâble ne pouvait assumer la construction du réseau objet du contrat en se finançant uniquement par son exploitation sur quinze ans sans obtenir l'indemnité de 2 511 000 euros prévue à l'article 16 du contrat, qui a pour seul objet de compenser le coût non amorti de ce réseau en fin de contrat ; le prix ne peut dépendre que de la valeur de l'ouvrage réalisé et non des gains espérés dans l'exploitation par le concessionnaire ; la date de paiement de la somme de 2 511 000 euros est sans incidence sur la nature de cette somme qui constitue bien un prix de cession d'une fraction du réseau ; le versement de cette somme n'augmente pas de manière anormale la profitabilité du contrat et ne constitue pas donc pas un avantage ;
- en tout état de cause, l'équilibre économique du contrat n'étant pas affecté par un paiement différé de cette somme, la Cour peut prononcer l'annulation exclusivement des stipulations de l'article 16 ;
Vu les ordonnances en date du 11 juin 2013 rouvrant l'instruction et fixant une nouvelle date de clôture le 5 juillet 2013 ;
Vu les mémoires, enregistrés les 4 et 30 juillet 2013, présentés pour la société France Télécom qui concluent à l'annulation du jugement du 21 février 2012 du Tribunal administratif de Nancy ainsi que du contrat conclu entre le syndicat intercommunal mixte Cablimages et la société NC Numéricâble en vue de la réalisation d'un réseau de communications électroniques, subsidiairement, à l'annulation de l'article 16 dudit contrat et à ce qu'il soit enjoint, d'une part, à la société Numéricâble de rembourser au taux d'intérêt du marché les sommes d'ores et déjà versées par Cablimages sur le fondement de cet article, d'autre part, aux parties d'introduire une clause prévoyant la production par le concessionnaire du rapport d'exécution mentionné à l'article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales ;
La société France Télécom soutient que :
- la qualification du contrat en concession de travaux est contraire à l'article L. 1415-3 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 ;
- le contrat est une délégation de service public par application de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ;
- le prix a été fixé sans évaluation de l'ouvrage à la date de cession ; son paiement en début de contrat exclut que le prix fixé soit révisé au cas où les résultats de l'exploitation dépasseraient les prévisions ;
- le versement de ce prix en début de contrat correspond à un financement par anticipation et sans intérêt de la construction des infrastructures à exploiter dans le cadre du contrat ; le simple fait de verser ce prix au début et non en fin de contrat aboutit à faire passer le taux de rentabilité interne du projet de 13,22 % si le prix prévu était payé en fin de contrat à 23,71 % ; sur la base d'un taux d'actualisation de 13,22 %, le versement par le syndicat mixte Cablimages d'un prix de 2 511 000 euros en début de contrat correspond à un paiement de plus de 12 millions d'euros en 2024, soit un prêt sans intérêt de 9,5 millions d'euros ; le versement par le syndicat mixte d'une somme de 2 511 000 euros en début de contrat constitue pour la société NC Numéricâble un avantage économique qu'elle n'aurait pas du recevoir dans des conditions normales de marché ;
- le versement du prix de 2 511 000 euros en début de contrat constituant une aide d'Etat illégale, l'article 16 du contrat doit être annulé ; cette clause constituant une stipulation essentielle pour les parties n'est pas divisible du reste du contrat ; sa nullité entraîne l'illégalité du contrat ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 juillet 2013, présenté pour la société NC Numéricâble, qui conclut aux mêmes fins ;
Elle soutient que :
- la notion de taux de rentabilité interne n'est pas pertinente, l'exploitation de l'ouvrage ne lui étant pas confiée ;
- le taux de rentabilité interne en cas de paiement du prix en début de contrat ne serait au plus que de 9,69 % contre 5,48 % si le paiement intervenait en fin de contrat ;
Vu l'ordonnance en date du 5 juillet 2013 reportant la clôture de l'instruction au 27 juillet 2013 à 16 heures ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 juillet 2013, présenté pour le syndicat mixte Cablimages qui conclut aux mêmes fins que sa note en délibéré ;
Il soutient que :
- la directive n° 2004/18/CE n'exclut pas les réseaux de communications électroniques du champ des concessions de travaux ;
- la société NC Numéricâble n'a bénéficié d'aucun avantage ;
Vu l'ordonnance en date du 1er août 2013 rouvrant l'instruction ;
Vu l'ordonnance en date du 6 août 2013 fixant la clôture de l'instruction le 28 août 2013 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 septembre 2013 :
- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,
- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
- et les observations de Me Benesty, pour le syndicat intercommunal mixte Cablimages et MeA..., pour la société Numéricâble ;
1. Considérant que par une convention conclue le 20 octobre 2009, le Syndicat intercommunal mixte Cablimages a confié à la société NC Numéricâble la conception, la construction et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques sur le territoire des communes de Chantraine, Dogneville, Epinal et Golbey pour offrir la possibilité à la population de ces communes d'accéder au très haut débit ; que la société France Telecom demande l'annulation du jugement du 21 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce contrat ; qu'elle demande à titre subsidiaire l'annulation de l'article 16 de ce contrat prévoyant le versement par Cablimages d'une somme de 2 511 000 euros à la société NC Numéricâble ; que dans le dernier état de ses écritures, le syndicat mixte Cablimages conclut au rejet de la requête ou, subsidiairement, à l'annulation exclusivement des stipulations de l'article 16 en ce qu'elles prévoient un paiement par le syndicat mixte à la société NC Numéricâble antérieurement à la fin du contrat d'une somme de 2 511 000 euros au titre des ouvrages non amortis ;
Sur la fin de non recevoir opposée par la société NC Numéricâble à la demande de première instance :
2. Considérant que pour statuer sur la recevabilité du recours introduit par un concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif contestant la validité du contrat ou de certaines de ces clauses qui sont divisibles, il appartient au juge du contrat d'apprécier si le requérant peut être regardé comme un concurrent évincé ; que cette qualité de concurrent évincé est reconnue à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu'il n'aurait pas présenté sa candidature, qu'il n'aurait pas été admis à présenter une offre ou qu'il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable ; que la société France Télécom, qui avait un intérêt à conclure le contrat, était par suite recevable à demander aux premiers juges l'annulation du contrat passé entre Cablimages et la société NC Numéricâble alors même qu'elle avait renoncé à présenter une offre ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne l'objet du contrat :
2. Considérant que l'objet de la convention conclu le 20 octobre 2009 est de confier à la société attributaire " la charge de la conception, du financement, de la construction et du déploiement " d'un réseau de communications électroniques sur le territoire des communes de Chantraine, Dogneville, Epinal et Golbey ; qu'aux termes de l'article 6.1 de la convention : " les infrastructures constituées de câbles coaxiaux et de leurs accessoires, situées en aval de noeuds optiques et servant la desserte des clients finaux ne sont pas des ouvrages du réseau " ; qu'aux termes de l'article 15 de la convention : " la société est autorisée à exploiter pour son propre compte le Réseau dans le respect des dispositions légales et réglementaires en vigueur pour une offre de service à des clients finaux (service de télévision, accès internet, téléphonie...) ou non (opérateurs de communications électroniques) " ; que le dernier alinéa de ce même article précise que " la société n'est tenue que de la réalisation d'un réseau permettant et supportant les services ci-dessus énumérés et demeure libre du choix des services proposés à ses clients au moyen du réseau " ; que la convention met ainsi à la charge de la société NC Numéricâble le financement, la construction et le déploiement d'un réseau de fibres optiques entre une tête de réseau et des noeuds de raccordement ; que si le contrat autorise au surplus l'attributaire à délivrer directement des services aux utilisateurs finaux, il ne bénéficie d'aucune exclusivité à ce titre ; que le tribunal n'a donc pas dénaturé les faits en estimant que le contrat avait à titre principal pour objet la construction et l'exploitation d'un réseau de communications électroniques -offre de gros- et non pas la fourniture de services de communications électroniques à des clients finaux -offre de détail- ; que, contrairement là encore aux affirmations de la société France Télécom, Cablimages n'a pas attribué un contrat dont l'objet était différent de celui fixé dans la procédure de consultation ; que la passation du contrat en cause n'a donc pas méconnu les principes fondamentaux de la commande publique ni est entachée d'un vice de procédure tenant au défaut d'information des membres du comité syndical ;
En ce qui concerne la qualification du contrat :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 1er alinéa de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service " ; qu'aux termes de l'article L. 1425-1 du même code : " I.- Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, deux mois au moins après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des communications électroniques, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques au sens du 3° et du 15° de l'article L. 32 du code des postes et communications électroniques, acquérir des droits d'usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux d'initiative publique, garantit l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques. Dans les mêmes conditions qu'à l'alinéa précédent, les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent fournir des services de communications électroniques aux utilisateurs finals qu'après avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l'Autorité de régulation des communications électroniques. Les interventions des collectivités s'effectuent dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées. L'insuffisance d'initiatives privées est constatée par un appel d'offres déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de communications électroniques. II.- Lorsqu'ils exercent une activité d'opérateur de communications électroniques, les collectivités territoriales et leurs groupements sont soumis à l'ensemble des droits et obligations régissant cette activité. Une même personne morale ne peut à la fois exercer une activité d'opérateur de communications électroniques et être chargée de l'octroi des droits de passage destinés à permettre l'établissement de réseaux de communications électroniques ouverts au public. Les dépenses et les recettes afférentes à l'établissement de réseaux de communications électroniques ouverts au public et à l'exercice d'une activité d'opérateur de communications électroniques par les collectivités territoriales et leurs groupements sont retracées au sein d'une comptabilité distincte. (...) " ;
4. Considérant qu'il ne résulte, ni des termes de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, ni des travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dont ils sont issus, que le législateur a entendu ériger l'établissement et l'exploitation par les collectivités territoriales et leurs groupements d'un réseau de communications électroniques sur leur territoire en un service public local ; que la société France Télécom n'est par suite pas fondée à soutenir que les contrats d'établissement et d'exploitation d'infrastructures de réseaux de communications électroniques sur le territoire des collectivités territoriales constitueraient des conventions de délégation de service public par détermination de la loi ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public ; que, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ;
6. Considérant que si la société NC Numéricâble s'engage " à garantir l'utilisation partagée des infrastructures de fibre optique disponible et à respecter le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés de communications électroniques " et doit informer annuellement Cablimages " sur l'utilisation du réseau et l'activité commerciale ", celui-ci n'exerce cependant aucun contrôle effectif sur les modalités d'accès des autres opérateurs de communications électroniques au réseau et sur les tarifs susceptibles de leur être appliqués ; que, de même, aucune stipulation de la convention ne détermine le prix ou les modalités de fixation du prix devant être pratiqués à l'égard des clients finaux ; que le " comité de suivi " institué à l'article 21, qui est composé à parité de représentants des deux parties, a seulement pour objet de suivre l'exécution des travaux, d'échanger les informations nécessaires à la bonne exécution de la convention et d'évoquer le cas échéant toute question relative à la mise en cohérence des réseaux d'initiative publique ou à la mise en oeuvre des services mentionnés à l'article 15 ; qu'il ne saurait, dans ces conditions, révéler l'instauration d'une surveillance du Syndicat sur les activités de sa cocontractante ; que les obligations faites à la société concessionnaire de recueillir l'accord préalable du Syndicat avant la réalisation de certains travaux, notamment lorsqu'ils nécessitent des investissements dont le coût d'amortissement excèderait le terme de la convention ou impliqueraient des changements structurels du réseau, et de déployer le réseau de manière homogène sur l'ensemble du territoire des communes concernées, y compris les zones potentiellement non rentables, correspondent à celles que la collectivité publique peut imposer dans l'intérêt d'une exécution de l'ouvrage conforme aux besoins qu'elle a entendu satisfaire ; qu'aucune des stipulations des articles 28 et 29, régissant les modalités d'entrée en possession des biens par le Syndicat, ne sont incompatibles avec la qualification de concession d'ouvrage public ; qu'enfin, compte tenu de la nature de l'ouvrage concerné, l'obligation faite à la société NC Numéricâble d'adapter le réseau aux besoins des clients et aux évolutions technologiques, à l'exception des modifications structurelles, ne suffit pas à caractériser la volonté du Syndicat intercommunal mixte Cablimages de confier à la société NC Numéricâble, sous son contrôle, l'exploitation d'une activité de service public ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 1415-1 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n°2009-864 du 15 juillet 2009 : " Les contrats de concession de travaux publics sont des contrats administratifs passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local dont l'objet est de faire réaliser tous travaux de bâtiment ou de génie civil par un concessionnaire dont la rémunération consiste soit dans le droit d'exploiter l'ouvrage, soit dans ce droit assorti d'un prix. " ; que l'article L. 1415-3 du même code dispose que : " Les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent pas : [...] 8° Aux contrats ayant pour principal objet la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux publics de communications électroniques ou la fourniture au public d'un ou plusieurs services de communications électroniques. " ;
8. Considérant que l'article 27 de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 dispose que les dispositions de ses titres Ier et II, dont sont issus les articles L. 1415-1 et L. 1415-3 précités du code général des collectivités territoriales, s'appliquent aux projets de contrat de concession de travaux publics en vue desquels un avis d'appel public à la concurrence est envoyé ou une consultation engagée à compter de sa date d'entrée en vigueur ; qu'il résulte de l'instruction que Cablimages a envoyé à la publication le 30 janvier 2009 l'avis d'appel public à la concurrence afférent au contrat en cause ; que l'article L. 1415-3 du code général des collectivités territoriales n'étant ainsi pas applicable au contrat conclu entre Cablimages et la société NC Numéricâble, la société France Télécom n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que le législateur avait exclu les conventions portant établissement et exploitation d'un réseau de communications électroniques du champ des concessions de travaux publics ;
9. Considérant qu'ainsi qu'il a déjà été dit, la convention en litige confie à la société NC Numéricâble la charge de concevoir, financer, construire et déployer le réseau en contrepartie de l'autorisation qui lui est donnée de l'exploiter librement et d'en percevoir les recettes ; que, par suite, cette convention constitue une concession de travaux et d'ouvrage publics et non, comme le soutient la société France Télécom, une délégation de service public au sens des dispositions précitées de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ;
En ce qui concerne la validité du contrat :
10. Considérant que, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ; que, saisi de conclusions à fin d'annulation par un concurrent évincé, il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
11. Considérant qu'aux termes de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) : " 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. " que l'article 108 du même traité stipule que : " [...] 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. [...] " ;
12. Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il relève de la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 107 TFUE est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation qu'impose aux Etats membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108 TFUE, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées ont institué des aides d'Etat au sens de l'article 107 TFUE ;
13. Considérant que l'article 16 de la convention stipule : " D'un commun accord, les parties ont constaté que la durée de la convention (15 années) est inférieure à celle nécessaire à l'amortissement des ouvrages telle qu'elle résulte du tableau d'amortissement annexé à la présente convention. La société s'obligeant à réaliser en toute hypothèse un montant d'investissement pour le réseau équivalent, au minimum, à celui porté au tableau d'amortissement, le Syndicat accepte de compenser par anticipation la valeur des investissements qui ne seront pas amortis au terme de la convention, soit la somme de 2 511 000 euros (deux millions cinq cent onze mille euros) telle qu'elle résulte des comptes prévisionnels d'exploitation. Le Syndicat versera à la société cette somme exigible selon l'échéancier suivant :
- 30 % à la date d'effet du contrat, - 15 % à la date de remise du premier dossier APD, -15 % à la date de la présence constatée du signal sur le premier noeud optique réalisé, - 25 % à la date de la présence constatée du signal sur la moitié des noeuds optiques prévus dans l'ingénierie, - 5 % à la date de la présence constatée du signal sur le dernier noeud optique réalisé, - 10 % suivants à la date de remise de l'ensemble des DOE. A compter de chaque date d'exigibilité, la société émettra une demande de versement adressée au siège du Syndicat qui s'engage à procéder à leur mandatement dans un délai maximum de 15 jours. " ;
14. Considérant qu'il résulte de ces stipulations que le paiement par Cablimages à la société NC Numéricâble de la somme de 2 511 000 euros est destiné à compenser la valeur de l'ouvrage non amortie par le droit d'exploitation au terme de la convention ; que si cette somme correspond à un prix, comme le soutiennent Cablimages et la société NC Numéricâbles, ce prix ne peut être payé qu'au terme de la convention lorsque le syndicat mixte est appelé à exercer tous les droits et privilèges du propriétaire sur l'ouvrage ; que la société France Télécom affirme que le paiement échelonné de ce prix en début et non en fin de convention a pour effet de faire passer le taux de rentabilité interne de l'opération de 13,22 % si le prix prévu était payé en fin de contrat à 23,71 % et que le versement par le syndicat mixte Cablimages d'un prix de 2 511 000 euros en début de contrat correspond à un paiement de plus de 12 millions d'euros en 2024, soit un prêt sans intérêt de 9,5 millions d'euros ; que si les chiffres avancés par France Télécom sont contestés dans leur montant, il n'est en revanche pas contesté que le paiement du prix de 2 511 000 euros de façon échelonnée plutôt qu'en fin de contrat assure à l'opération une rentabilité sensiblement plus élevée que pour des opérations similaires ; qu'ainsi le paiement anticipé du prix de l'ouvrage non amorti en fin de convention apporte à la société NC Numéricâble un avantage économique qu'elle n'aurait pas dû recevoir dans des conditions normales de marché ; que cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres et de fausser la concurrence ; que, par suite, la somme de 2 511 000 euros versée à la société NC Numéricâble présente le caractère d'une aide d'Etat qui aurait du faire l'objet d'une notification à la Commission européenne ; que la société France Télécom est fondée à se prévaloir de la méconnaissance des stipulations du 3 de l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne pour soutenir qu'elle entache d'illégalité les stipulations de l'article 16 du contrat conclu le 20 octobre 2009 ;
15. Considérant que le remboursement par Numéricable de la somme de 2 511 000 euros sur un montant total d'investissements de près de 11 500 000 euros aurait pour effet de modifier substantiellement les conditions économiques du contrat telles que fixées initialement par les parties ; que la clause de l'article 16 étant ainsi indivisible du reste du contrat, la société France Télécom est fondée à soutenir que l'illégalité de l'article 16 du contrat emporte l'illégalité du contrat en son intégralité ; que, compte tenu de la nature de l'irrégularité en cause, et alors qu'il ne ressort pas de l'instruction que l'annulation du contrat porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ni aux droits des cocontractants, la société France Télécom est fondée à soutenir que le contrat conclu le 20 octobre 2009 entre le syndicat mixte intercommunal Cablimages et la société NC Numéricâble doit être annulé ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société France Télécom est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat conclu entre le syndicat intercommunal mixte Cablimages et la société NC Numéricâble en vue de la réalisation d'un réseau de communications électroniques ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société France Télécom, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au syndicat mixte intercommunal Cablimages et à la société NC Numéricâble, les sommes qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge du syndicat mixte Cablimages une somme de 1 500 euros à verser à la société France Télécom au même titre ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nancy du 21 février 2012 et le contrat conclu le 20 octobre 2009 entre le syndicat mixte intercommunal Cablimages et la société NC Numéricâble sont annulés.
Article 2 : Le syndicat mixte intercommunal Cablimages versera à la société France Télécom une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions du syndicat mixte intercommunal Cablimages et de la société NC Numéricâble tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société France Télécom, à la société NC Numéricâble et au syndicat mixte intercommunal Cablimages.
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N° 12NC00735