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16/07/2013 | FRANCE | N°12MA00578

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 16 juillet 2013, 12MA00578


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 février 2012, présentée pour M. B... A..., demeurant au..., par la Selarl Horus Avocats ;

M. A...demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0702578 rendu le 16 décembre 2011 par le tribunal administratif de Nice en tant qu'il a limité son indemnisation par l'État et La Poste à 5 000 euros en réparation des conséquences dommageables du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser une indemnité de 106 332 euros, augmentée des intérêts au taux léga

l et du produit de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'État e...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 février 2012, présentée pour M. B... A..., demeurant au..., par la Selarl Horus Avocats ;

M. A...demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0702578 rendu le 16 décembre 2011 par le tribunal administratif de Nice en tant qu'il a limité son indemnisation par l'État et La Poste à 5 000 euros en réparation des conséquences dommageables du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser une indemnité de 106 332 euros, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'État et de La Poste la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. A...soutient que :

- fonctionnaire des Postes et télécommunications depuis le mois de mai 1968, le 20 mars 1969, il a été promu préposé acheminement ; le 13 mars 1974, il est devenu agent d'exploitation du service général (AEX-SG), et enfin, le 21 novembre 1984, il a été nommé agent d'administration principal du service général (AAPSG) ; depuis le 1er juin 2003, il est à la retraite ;

- il était en droit, à compter de l'année 1990, de bénéficier d'une promotion en qualité de contrôleur, mais n'a pu en bénéficier faute pour l'administration d'avoir dressé des listes d'aptitude ou organisé des concours internes ;

- le jugement attaqué a reconnu à bon droit la responsabilité solidaire de l'État et de La Poste, même si le tribunal aurait dû toutefois retenir la faute lourde de l'État ;

- les premiers juges ont cependant limité à tort l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 5 000 euros seulement ;

- il établit avoir perdu une chance sérieuse d'être promu ; la charge de la preuve ne peut lui être abusivement imposée alors que La Poste refuse de fournir à ses agents les éléments d'évaluation leur permettant d'établir leur chance sérieuse d'obtenir un avancement ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 6 avril 2012 présenté par la SCP Saidji et Moreau, pour le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement attaqué ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête d'appel ;

Le ministre soutient que :

- s'il ne conteste pas le principe de responsabilité retenu par le jugement attaqué, toutefois, en l'absence de préjudice de carrière établi, aucune indemnisation du préjudice moral ne peut être allouée ; au surplus, la somme de 5 000 euros allouée par le tribunal n'est ni détaillée ni justifiée ;

- à titre subsidiaire, le dommage allégué par l'appelant n'est pas établi ; ce dommage n'est pas certain ; il n'existe aucun lien de causalité entre la prétendue faute de l'État et le dommage allégué, lequel ne peut être imputé qu'aux choix de carrière de l'intéressé ; enfin, le montant des préjudices allégués n'est pas établi ;

Vu le mémoire en réplique enregistré au greffe de la Cour le 26 avril 2012, présenté par la Selarl Horus Avocats pour M.A..., qui conclut aux mêmes fins que celles de ses précédentes écritures, par les mêmes moyens, et demande en outre à la Cour de rejeter l'appel incident de l'Etat ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2013, présenté par la SCP Granrut, pour la société La Poste, qui conclut au rejet de la requête et réclame la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La Poste soutient que :

- la demande de l'appelant est irrecevable, dès lors que sa réclamation préalable est stéréotypée, impersonnelle et commune à de nombreux agents, sans distinguer des faits de carrière précis, et qu'elle a été adressée de façon identique à l'employeur et au ministre chargé de l'économie sans distinguer leur faute respective ; il y a lieu, en outre, de lui opposer l'exception de prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du code civil ;

- si la jurisprudence a retenu la responsabilité de La Poste, il y a lieu de prendre en considération, pour l'indemnisation, le contexte particulier tiré de ce que l'extinction des grades et corps des agents "reclassés" est imputable à la réforme législative du 2 juillet 1990 et que le président de La Poste n'a pas le pouvoir d'édicter des décrets statutaires ;

- en l'espèce, à supposer que l'appelant remplisse les conditions statutaires autorisant la promotion qu'il allègue, il ne démontre pas en tout état de cause avoir perdu une chance sérieuse d'être promu, compte tenu des éléments versés au dossier relatifs à sa manière de servir ;

Vu le mémoire enregistré le 4 juin 2013, présenté pour M.A..., qui conclut aux mêmes fins que celles de ses précédentes écritures, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;

Vu la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales ;

Vu le décret n° 72-500 du 23 juin 1972 modifié portant statut particulier du corps des agents d'exploitation des postes et télécommunications ;

Vu le décret n° 92-929 du 7 septembre 1992 portant statut particulier du corps des agents d'exploitation du service général de La Poste et de France Télécom ;

Vu le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;

Vu le code civil, notamment son article 1154 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 juin 2013 :

- le rapport de M. Angéniol, rapporteur,

- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., de la Selarl Horus Avocats, pour M.A... ;

Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 27 juin 2013, présentée pour M.A... ;

1. Considérant que M.A..., agent d'administration principal du service général (AAPSG) de La Poste à la retraite, recherche la condamnation solidaire de son employeur La Poste et de l'État à réparer les préjudices qu'il estime avoir subis dans le déroulement de sa carrière en l'absence, jusqu'à l'intervention du décret susvisé n° 2009-1555 du 14 décembre 2009, de toute possibilité de promotion le concernant du fait de son choix de rester dans un corps dit de "reclassement" ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a retenu la faute simple de La Poste pour n'avoir pas mis en place des procédures de promotion interne applicable aux agents "reclassés" et la faute simple de l'État pour retard dans l'adoption des dispositions réglementaires applicables ; que M. A...fait appel de ce jugement, en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice à la somme de 5 000 euros ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la Poste :

2. Considérant que doit être rejetée la fin de non-recevoir opposée par La Poste tirée de ce que la réclamation préalable de l'appelant serait impersonnelle et ne distinguerait pas les fautes respectives de La Poste et de l'État, dès lors que l'intéressé a demandé à l'État et à son employeur, par réclamation préalable du 25 janvier 2005, le versement d'une indemnité, chiffrée précisément, correspondant à l'ensemble de ses préjudices, notamment au préjudice de carrière résultant des fautes commises par La Poste et l'État pour n'avoir pas organisé des voies de promotion interne pour les fonctionnaires ayant refusé leur intégration dans des corps de "reclassification" ; qu'ainsi, comme l'a estimé le jugement attaqué et contrairement à ce que persiste à soutenir La Poste, le contentieux a été valablement lié par l'appelant qui avait énoncé de manière suffisante dans sa réclamation préalable, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ses demandes à fin d'indemnité ;

En ce qui concerne la prescription quinquennale :

3. Considérant que ne peut être accueillie l'exception de prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du code civil, en vertu duquel " se prescrivent par cinq ans les actions en paiement des salaires, des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires, des loyers, des fermages, des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ", dès lors que les indemnités réclamées par l'appelant, à raison des fautes commises par La Poste et par l'État, ne sont pas au nombre des créances qui s'éteignent par ladite prescription quinquennale, lesquelles au demeurant ne sont atteintes par ladite prescription que lorsqu'elles sont déterminées ;

En ce qui concerne la responsabilité :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la

loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la

loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (...) " ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

6. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de "reclassement" de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de "reclassification" créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de "reclassification", ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de "reclassement" ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires "reclassés" comme aux fonctionnaires "reclassifiés" de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

7. Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du

11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires "reclassés" ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de "reclassement", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires "reclassés" de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ; que La Poste ne peut utilement se prévaloir, pour s'exonérer de cette responsabilité, ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de "reclassement" auraient interdit ces promotions, ni de la circonstance qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que des promotions internes pour les fonctionnaires "reclassés" non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de La Poste, que par l'effet du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le président de La Poste, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires "reclassés", a commis une illégalité engageant la responsabilité de sa société ; que l'État a, de même, commis une faute simple, distincte de la faute imputable à La Poste, en attendant le 14 décembre 2009 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de "reclassement" de cette société ; que M. A...n'est pas fondé se plaindre que le tribunal a retenu à... ;

En ce qui concerne les préjudices :

9. Considérant que l'appelant, agent d'administration principal du service général (AAPSG) à la retraite depuis le 1er juin 2003, soutient qu'il aurait pu être promu dans le corps des contrôleurs dès l'année 1990 ;

10. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'appelant, la charge de prouver le caractère réel, direct et certain de son préjudice de carrière lui incombe ; que s'il allègue qu'il n'est pas en mesure de produire les preuves nécessaires à établir ledit préjudice compte tenu du refus de son employeur de lui communiquer des éléments relatifs à la qualité de son travail à compter de 1993, notamment feuilles de notation ou fiches d'évaluation ou compte rendu d'entretien, il lui appartient, dans cette dialectique de la charge de la preuve, de démontrer la réalité du refus opposé ou des difficultés auxquelles il s'est heurté lors de la demande de communication de tels documents administratifs ;

11. Considérant que M. A...soutient que, si à la suite d'une saisine de la commission d'accès aux documents administratifs le 30 août 2011, les documents relatifs à sa carrière lui ont été communiqués, par courrier en date du 1er septembre 2011, cette communication de documents était incomplète et ne comportait pas l'ensemble de ses notations et évaluations ; qu'il y a lieu pour la Cour, dans ces conditions, de surseoir à statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation du préjudice financier et du préjudice moral de M. A... en demandant par supplément d'instruction à La Poste, l'entier dossier de l'intéressé et de réserver tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt, jusqu'en fin d'instance ;

D E C I D E :

Article 1er : Avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de M.A..., il est décidé un supplément d'instruction afin d'enjoindre à La Poste de communiquer à la Cour l'entier dossier de M. A...dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à La Poste et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2013, à laquelle siégeaient :

- M. Gonzalès, président de chambre,

- M. Renouf, président assesseur,

- M. Angéniol, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juillet 2013.

Le rapporteur,

P. ANGENIOL

Le président,

S. GONZALES

Le greffier,

C. LAUDIGEOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

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N° 12MA00578

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12MA00578
Date de la décision : 16/07/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Patrice ANGENIOL
Rapporteur public ?: Mme HOGEDEZ
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2013-07-16;12ma00578 ?
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