LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Europcar France,
contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de PARIS, en date du 31 août 2012, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées par l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 octobre 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Soulard conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de M. le conseiller SOULARD, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN ET SOLTNER, Me RICARD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du principe du respect des droits de la défense, des articles 6 §§ 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 450¿4 et R. 450-2 du code de commerce, de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article préliminaire du code de procédure pénale, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, ainsi que de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 ;
"en ce que, l'ordonnance attaquée a débouté la société Europcar France de sa demande tendant à l'annulation de l'ensemble des opérations de saisie pratiquées le 22 janvier 2008 et à voir ordonner la restitution de l'intégralité des pièces appréhendées dans ses locaux ;
"aux motifs que, la société Europcar France soulève en troisième lieu la nullité de la saisie et ce aux motifs que ses conseils n'ont pu intervenir lors de ladite saisie ; que, d'une part, il est constant qu'un conseil a assisté à la saisie, d'autre part aux termes de l'article L. 450-4 du code du commerce dans sa rédaction à la date à laquelle ont été opérées les opérations de visite et de saisie « ¿ les enquêteurs, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire et le cas échéant les agents et autres personnes mandatées par la commission européenne peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisine » ce qui exclut les conseils ; que, si cette rédaction d'alors peut être regrettable, il n'en reste pas moins que les opérations de visite se sont déroulées légalement sous le contrôle effectif du juge des libertés et de la détention les ayant autorisées ; qu'il n'est pas justifié que la société Europcar, dont le conseil était présent lors des opérations de visite domiciliaire, ait saisi les officiers de police judiciaire d'une quelconque difficulté lors des opérations effectuées ; que dès lors la société Europcar France doit être déboutée de sa demande de nullité de ce chef, aucune atteinte au droit de la défense ne pouvant être retenue lors de ces opérations ¿ que la copie des pièces saisies qui fait partie intégrante de la procédure, puisque son existence est attestée par le procès-verbal de visite et de saisie, a été réalisée en présence et sous le contrôle de l'officier de police judiciaire ;
"1°/ alors qu'il résulte de l'article L. 450-4 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable que, sauf impossibilité, les opérations de visite et de saisie sont effectuées en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant ; que ces dispositions ne confèrent pas à l'administration le pouvoir de décider qui, de l'occupant des lieux ou de son représentant, peut assister aux opérations de visite et de saisie, mais offrent au contraire à l'occupant des lieux la possibilité de se faire représenter, le cas échéant par son avocat, qui, en vertu de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 est son représentant de droit, auprès des administrations publiques ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisait valoir l'exposante, l'administration reconnaissait, d'une part, avoir informé l'occupant des lieux que « s'ils se présentaient, les conseils de l'entreprise ne seraient pas autorisés à assister aux opérations de visite et de saisie », et, d'autre part, avoir effectivement enjoint à ces derniers « de rester hors des bureaux visités et totalement silencieux », interdisant ainsi à l'occupant des lieux de se faire représenter par son avocat pour assister aux opérations de visite et de saisie ; qu'en estimant que l'Administration pouvait procéder de la sorte, au motif que l'article L. 450-4 du code de commerce, dans sa rédaction de l'époque, ne prévoyait pas expressément la possibilité pour l'occupant des lieux de faire appel à un conseil, le premier président a violé ces textes ;
"2°/ alors que le droit d'être assisté d'un défenseur constitue un droit fondamental de valeur constitutionnelle s'imposant à l'autorité administrative sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler formellement l'existence ; que ce droit bénéficie à toute personne poursuivie ou suspectée dès le stade de l'enquête préliminaire dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès ; que tel est le cas des opérations de visite et de saisie effectuées en application de l'article L. 450-4 du code de commerce dès lors que celles-ci peuvent avoir un caractère déterminant pour l'établissement d'éventuelles preuves d'un comportement illicite des entreprises de nature à engager leur responsabilité ; que le premier président qui estime cependant que la personne qui fait l'objet desdites opérations de visite et de saisie ne bénéficie pas du droit de se faire assister par un conseil au prétexte que l'article L. 450-4 du code de commerce ne le prévoyait pas expressément à l'époque, viole les textes et principes visés au moyen ;
"3°/ alors que, de surcroît, le fait que l'article L.450-4 n'ait pas, dans son ancienne version, réservé expressément le droit de la partie visitée à recourir au service d'un avocat, ne dispensait pas le Premier Président de rechercher, comme il y était invité, si cette garantie fondamentale ne s'imposait pas aussi en vertu d'une application directe de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ainsi que de la jurisprudence communautaire, relative à la recherche de preuves de pratiques prohibées par l'article 81-1 du traité instituant la Communauté Européenne, lesquelles sont visées dans l'ordonnance d'autorisation ; qu'en se bornant à déclarer « regrettable » cette lacune de la législation nationale, le Premier Président a méconnu la primauté du droit conventionnel et privé sa décision de toute base légale au regard des principes et des textes sus-rappelés ;
"4°/ alors qu'en affirmant la régularité de la visite du fait de « la présence » de l'avocat ou de la présence de l'officier de police judiciaire sans répondre au chef péremptoire des conclusions de l'exposante rappelant que les avocats avaient été tenus à l'écart des bureaux visités et réduits autoritairement au silence par les enquêteurs tandis qu'un officier de police judiciaire ne saurait en aucune façon se substituer à l'avocat dans la mission d'assistance aux clients de ce dernier, le premier président a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs caractérisée" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe des droits de la défense ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, selon la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica, aff. 97, 98 et 99/ 87), le droit d'avoir une assistance juridique doit être respecté dès le stade de l'enquête préalable ;
Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée que, le 22 janvier 2008, les enquêteurs de l'administration de la concurrence, agissant en vertu d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, en date du 16 janvier 2008, ont effectué des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société Europcar France, dans le but de rechercher la preuve de pratiques contraires, notamment, aux dispositions de l'article 81 du traité CE ;
Attendu que, pour rejeter le recours de la société Europcar France tendant à obtenir l'annulation de ces opérations, l'ordonnance attaquée prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la requérante en se fondant sur les mentions portées au procès-verbal de visite, ses conseils ne s'étaient pas vu interdire d'accéder aux bureaux visités et de prendre la parole, le premier président a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 31 août 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept novembre deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;