LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X..., en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Saier investissements que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société BNP Paribas ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2012), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 15 février 2011, pourvoi n° 10-15.768), qu'à la suite de la mise en redressement puis liquidation judiciaires de la société Félix Potin les 1er et 22 décembre 1995, et l'extension de cette procédure aux sociétés Saier investissements, Ranelagh finances, Domaine Saier et Domaine des Lambrays, en raison de la confusion des patrimoines et à la société La Parisienne pour fictivité, M. X..., agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire, a assigné la société BNP Paribas (la BNP) en paiement de dommages-intérêts lui reprochant d'avoir abusivement soutenu ces sociétés ; qu'un arrêt du 28 juin 2007, rejetant toutes autres demandes, a condamné la BNP à payer à M. X... (le liquidateur), en sa qualité de liquidateur de la société Saier investissements, la somme de 897 514,39 euros ; qu'il a été cassé mais seulement de ce dernier chef ; que, devant la cour d'appel de renvoi, le liquidateur a demandé que le montant de l'insuffisance d'actif de la société Saier investissements provoquée par le soutien abusif de la BNP soit fixé à la somme de 50 422 038 euros ; que pour limiter la condamnation de la BNP au paiement, en sus de la somme de 897 514,39 euros, déjà réglée, d'une somme équivalente, l'arrêt du 11 février 2010 rendu par la cour d'appel de renvoi retient que la cassation partielle ne portant que sur le partage de responsabilité entre la banque et les dirigeants de la société Saier investissements et non sur le montant du préjudice, la demande du liquidateur est irrecevable au-delà du double de la somme précédemment allouée ; que ce dernier arrêt a été cassé en toutes ses dispositions ; que devant la nouvelle cour d'appel de renvoi, le liquidateur a renouvelé sa demande de condamnation ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir fixé le montant de l'insuffisance d'actif de la société Saier investissements à la somme de 5 425 508 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que l'établissement de crédit qui a soutenu abusivement une entreprise dont la situation était irrémédiablement compromise est tenu de réparer l'intégralité de l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a contribué à créer ; que l'insuffisance d'actif est égale à la différence entre l'actif réalisé à l'issue de la liquidation judiciaire et le passif admis ; que la banque auteur d'un soutien abusif doit répondre de l'aggravation de cette insuffisance depuis le jour de son concours, sans pouvoir prétendre que la dépréciation d'un actif survenue postérieurement à son concours fautif serait sans lien avec celui-ci ; qu'en jugeant cependant qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte les provisions correspondant à la dépréciation des titres des sociétés Félix Potin et Dispar et des sociétés Domaine Saier et Ranelagh finances ni les résultats exceptionnels dans le calcul du préjudice causé aux créanciers par le soutien abusif de la BNP, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que le préjudice résultant du soutien abusif d'une société holding correspond, pour les créanciers de cette société, à l'aggravation de son insuffisance d'actif ; que la perte de valeur des participations détenues par la société débitrice dans d'autres sociétés constitue un élément d'évolution de son actif, qui doit être pris en compte pour la détermination de l'aggravation de l'insuffisance d'actif, en regard de l'évolution du passif ; qu'en retenant, pour refuser de tenir compte de la dépréciation des participations de la société Saier investissements dans ses filiales, que l'action en responsabilité pour soutien abusif n'avait pas pour objet l'indemnisation pour la perte de valeur des participations dans les filiales d'une société, quand l'évolution de l'actif de la société Saier investissements devait nécessairement, quelle que fût la nature de cet actif, être pris en compte pour la détermination de l'insuffisance d'actif et de l'aggravation de cette insuffisance, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
3°/ que la perte de valeur des participations d'une société holding dans les filiales qu'elle détient, postérieure au soutien abusif dont la société holding a fait l'objet, constitue un préjudice personnel à cette société holding, qui participe de l'aggravation de son insuffisance d'actif ; qu'il importe peu que les filiales n'aient pas elles-mêmes directement fait l'objet d'un soutien abusif ; qu'en refusant de tenir compte de la perte de valeur des participations de la société Saier investissements dans ses filiales pour le calcul de l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société holding, au motif inopérant que la BNP n'avait pas abusivement soutenu lesdites filiales, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé qu'un établissement de crédit qui a par sa faute retardé l'ouverture de la procédure collective de son client n'est tenu de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a ainsi contribué à créer et avoir, par ailleurs, constaté que les éléments comptables versés aux débats et non contestés par les parties, permettaient de statuer sur le préjudice sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise, l'arrêt retient que les provisions correspondant à la dépréciation des titres des sociétés filiales, de même que les résultats exceptionnels, n'étant pas directement liés au soutien abusif de la banque, il n'y a pas lieu de les prendre en compte dans le calcul de l'aggravation de l'insuffisance d'actif dont la banque est seule redevable ; que la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants, critiqués par la troisième branche, et sans avoir à procéder à la recherche que ces constatations et appréciations rendaient inopérantes, a caractérisé l'absence de lien de causalité entre la faute de la banque et la dépréciation de certains éléments de l'actif et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que par suite du rejet du pourvoi principal, le pourvoi incident éventuel est devenu sans objet ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois avril deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. X..., ès qualités.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le montant de l'insuffisance d'actif de la société Saier Investissements à la somme de 5.425.508 euros et d'avoir, par conséquent, limité à la somme de 3.630.479,22 euros la condamnation de la société BNP Paribas à l'égard de Maître X... ès qualités ;
Aux motifs qu'il est fait référence à l'arrêt du 28 juin 2007 en ce qu'après avoir procédé à la recherche de soutien abusif et de crédit ruineux société par société, cette décision, définitive sur ces points, conclut :
- d'une part, que la banque n'a pas engagé sa responsabilité à l'égard des créanciers des sociétés Domaine Saier, Domaine des Lambrays, Ranelagh finances, La Parisienne et Félix Potin dès lors que la banque n'a pas consenti de crédits ruineux à ces sociétés et qu'il n'est pas établi que ces sociétés se trouvaient, lors de l'octroi ou du renouvellement des concours de la banque, dans une situation irrémédiablement compromise ;
- d'autre part, que la BNP a engagé sa responsabilité pour avoir abusivement soutenu la société Saier Investissements dont la situation était irrémédiablement compromise à partir de la fin de l'année 1994 ; que la responsabilité pour soutien abusif a pour objet la réparation du préjudice causé aux créanciers, lesquels ayant cru à l'apparence de solvabilité du débiteur créée par le soutien de la banque ont maintenu ou accru leurs engagements vis à vis du débiteur ; que le mandataire liquidateur, chargé de la défense de l'intérêt collectif des créanciers de la société, a qualité pour exercer une action en paiement de dommages-intérêts contre toute personne, fût-elle elle-même créancière admise au passif de la société, ayant contribué par ses agissements fautifs à l'aggravation de l'insuffisance d'actifs du débiteur ; que tel est le cas en l'espèce de l'action entreprise par M. X... en sa qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Saier Investissements ;
qu'il convient, à cet égard, de rappeler :
- que la société Saier Investissements, qui était la holding du groupe Saier et avait pour objet la prise de participation dans des sociétés et la gestion de ses filiales, a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 9 septembre 1996 prononçant l'extension de la liquidation judiciaire de la société Félix Potin prononcée le 22 décembre 1995, à la société mère (Saier Investissements) et aux autres filiales de celle-ci dont notamment les sociétés Domaine Saier, Domaine des Lambrays, Ranelagh finances et La Parisienne ;
- que le passif définitivement admis de la liquidation de la société Saier Investissements se compose pour 60.233.072,78 euros de créances de la BNP et pour 7 947,32 euros de créances tiers ;
que les parties s'opposent sur l'étendue du préjudice causé aux créanciers par le soutien fautif de la BNP, soutien jugé abusif à partir de la fin de l'année 1994 lorsque la situation financière de la société Saier Investissements est devenue irrémédiablement compromise ; que les éléments versés aux débats et notamment les données comptables produites par les parties et celles, non contestées, figurant dans le rapport produit par M. X... ès qualités, permettent de statuer sur le préjudice sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise ; qu'il doit au préalable être observé que les provisions correspondant à la dépréciation des titres des sociétés Félix Potin et Dispar et des sociétés Domaine Saier et Ranelagh finances, de même que les résultats exceptionnels, n'étant pas directement liés au soutien abusif de la banque, il n'y a pas lieu de les prendre en compte dans le calcul du préjudice causé aux créanciers par la faute de la banque ; qu'au surplus, ainsi que le relève la banque, l'action en responsabilité pour soutien abusif n'a pas pour objet l'indemnisation pour la perte de valeur des participations dans les filiales d'une société holding alors qu'il a été définitivement jugé qu'il n'y avait pas soutien abusif à l'égard desdites filiales ; qu'il en résulte qu'au vu des éléments produits, l'aggravation de l'insuffisance d'actif que la banque a, par sa faute, contribué à créer s'établit à la somme de (3.313.000+32.276.000)=35.589.000 francs, soit 5.425.508 euros, ainsi calculée :
- Résultats d'exploitation de l'exercice 1995 (-2.085.000 francs)+Résultats d'exploitation du 1er janvier au 9 septembre1996 (- 1.228 000 francs) = -3.313.000 francs,- Résultats financiers après déduction des provisions susmentionnées : 32.276.000 francs, soit :. Exercice 1995 : (-191.984.000 francs) - (172.500.000 francs) = - 19.484.000 francs . 1er janvier au 9 septembre 1996 : (- 49.972.000 francs) - (37.180.000 francs) = -12.792.000 francs ;
que M. X... ès qualités reconnaît que la BNP lui a déjà versé la somme de 1.795.028,78 euros ; qu'il convient par conséquent de condamner la banque à lui payer la somme supplémentaire de 3.630.479,22 euros à titre de dommages-intérêts et de débouter les parties de toute autre demande à ce titre ;
1/ Alors que, d'une part, l'établissement de crédit qui a soutenu abusivement une entreprise dont la situation était irrémédiablement compromise est tenu de réparer l'intégralité de l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a contribué à créer ; que l'insuffisance d'actif est égale à la différence entre l'actif réalisé à l'issue de la liquidation judiciaire et le passif admis ; que la banque auteur d'un soutien abusif doit répondre de l'aggravation de cette insuffisance depuis le jour de son concours, sans pouvoir prétendre que la dépréciation d'un actif survenue postérieurement à son concours fautif serait sans lien avec celui-ci ; qu'en jugeant cependant qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte les provisions correspondant à la dépréciation des titres des sociétés Félix Potin et Dispar et des sociétés Domaine Saier et Ranelagh Finances ni les résultats exceptionnels dans le calcul du préjudice causé aux créanciers par le soutien abusif de la BNP Paribas, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2/ Alors que, d'autre part, le préjudice résultant du soutien abusif d'une société holding correspond, pour les créanciers de cette société, à l'aggravation de son insuffisance d'actif ; que la perte de valeur des participations détenues par la société débitrice dans d'autres sociétés constitue un élément d'évolution de son actif, qui doit être pris en compte pour la détermination de l'aggravation de l'insuffisance d'actif, en regard de l'évolution du passif ; qu'en retenant, pour refuser de tenir compte de la dépréciation des participations de la société Saier Investissements dans ses filiales, que l'action en responsabilité pour soutien abusif n'avait pas pour objet l'indemnisation pour la perte de valeur des participations dans les filiales d'une société, quand l'évolution de l'actif de la société Saier Investissements devait nécessairement, quelle que fût la nature de cet actif, être pris en compte pour la détermination de l'insuffisance d'actif et de l'aggravation de cette insuffisance, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
3/ Alors que, enfin, la perte de valeur des participations d'une société holding dans les filiales qu'elle détient, postérieure au soutien abusif dont la société holding a fait l'objet, constitue un préjudice personnel à cette société holding, qui participe de l'aggravation de son insuffisance d'actif ; qu'il importe peu que les filiales n'aient pas elles-mêmes directement fait l'objet d'un soutien abusif ; qu'en refusant de tenir compte de la perte de valeur des participations de la société Saier Investissements dans ses filiales pour le calcul de l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société holding, au motif inopérant que la BNP Paribas n'avait pas abusivement soutenu lesdites filiales, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.