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16/07/2012 | FRANCE | N°11VE01877

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 16 juillet 2012, 11VE01877


Vu le recours, enregistré le 24 mai 2011 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande à la Cour d'annuler l'article 1er du jugement n° 0909296 du 3 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société Céline SA la majoration des déficits qu'elle a constatés au titre des exercices clos en 2005 et 2006 ; le ministre soutient que le tribunal a

commis une erreur de droit en considérant que la société ...

Vu le recours, enregistré le 24 mai 2011 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande à la Cour d'annuler l'article 1er du jugement n° 0909296 du 3 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société Céline SA la majoration des déficits qu'elle a constatés au titre des exercices clos en 2005 et 2006 ; le ministre soutient que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la société pouvait imputer sur ses déficits les crédits d'impôt d'origine étrangère ; qu'en effet les stipulations de la convention franco-italienne et de la convention franco-japonaise font obstacle, en toute circonstance, à la déductibilité de l'impôt étranger pour le calcul du revenu imposable en France ; que l'administration était donc en droit de refuser l'imputation des crédits litigieux et d'écarter l'application de l'article 39-1-4° du code général des impôts ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu la convention signée le 5 octobre 1989 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

Vu la convention fiscale signée le 3 mars 1995 entre la France et le Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2012 :

- le rapport de M. Delage, premier conseiller,

- les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,

- et les observations de Me Benichou pour la société Céline SA ;

Considérant que la société Céline SA a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2005 et 2006 à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause la déduction, à titre de charges des résultats de ces deux exercices, des crédits d'impôts correspondant aux retenues à la source qu'elle a acquittées, au cours des années 2005 et 2006, en Italie et au Japon à raison des redevances de marque perçues dans ces deux Etats ; que ses résultats étant déficitaires, aucune imposition supplémentaire n'a résulté de ces rectifications au titre de ces exercices ; qu'en revanche, les déficits constatés ont été minorés ; que la société a demandé devant le Tribunal administratif de Montreuil la majoration des déficits des exercices clos en 2005 et 2006 ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT relève appel du jugement du 3 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société ;

Sur la fin de non-recevoir :

Considérant qu'aux termes de l'article R.* 200-18 du livre des procédures fiscales : " A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. / Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre " ; que, par ailleurs, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. / Si le jugement a été signifié par huissier de justice, le délai court à dater de cette signification à la fois contre la partie qui l'a faite et contre celle qui l'a reçue " ;

Considérant, en premier lieu, que le recours du ministre a été enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel dans le délai d'appel de deux mois qui commence à courir à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service local pour lui transmettre le jugement attaqué et le dossier de l'affaire, en vertu des dispositions précitées de l'article R.* 200-18 du livre des procédures fiscales ; que la société ne peut utilement soutenir que, le 24 février 2011, le ministre avait reçu le jugement attaqué, dès lors qu'une telle notification, effectuée par le greffe du Tribunal à titre de copie et non par huissier, ne constitue pas une signification du jugement au sens des dispositions précitées ;

Considérant, en second lieu, que si la société Céline SA soutient que les dispositions précitées portent atteinte à l'équilibre des droits des parties et méconnaissent les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces dispositions ont pour objet de tenir compte des nécessités particulières du fonctionnement de l'administration fiscale qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables ; que cette différence de situation justifie le délai complémentaire de deux mois accordé au ministre, délai dont les contribuables peuvent d'ailleurs, en provoquant eux-mêmes la signification du jugement au ministre, réduire la durée ; qu'il suit de là que la fin de non-recevoir soulevée par la société doit être écartée ;

Sur le bien-fondé des impositions :

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 4° Sous réserve des dispositions de l'article 153, les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice (....) " ; que, lorsqu'une entreprise industrielle ou commerciale effectue, dans un Etat étranger, des opérations dont le résultat entre dans ses bénéfices imposables en France, ce résultat doit, conformément aux dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts, être déterminé sous déduction de " toutes charges " ayant grevé la réalisation desdites opérations, et que doivent, notamment, être regardées comme telles, à moins d'une stipulation conventionnelle spécifique y faisant obstacle, les impositions, de toute nature, que l'entreprise a supportées, du fait de ces opérations, dans ledit Etat ;

Considérant que, sur la base de ces dispositions, la société serait fondée à demander la déduction des impositions acquittées en Italie et au Japon ; que, toutefois, l'administration invoque les stipulations conventionnelles applicables ; qu'il y a donc lieu d'examiner si ces stipulations, lesquelles priment la loi interne, font obstacle à cette déduction ;

Considérant qu'à cet égard, aux termes de l'article 24, paragraphe 1 de la convention franco-italienne susvisée : " La double imposition est évitée de la manière suivante : (...) a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Ce crédit d'impôt est égal : / - pour les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 16 et 17 et au paragraphe 8 du Protocole annexé à la Convention au montant de l'impôt payé en Italie, conformément aux dispositions de ces articles. Il ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus (...) " ; qu'aux termes de l'article 23 de la convention franco-japonaise susvisée " 1. a) En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante. / Les revenus qui proviennent du Japon, et qui sont imposables ou ne sont imposables qu'au Japon conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France et qu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt japonais n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : i) pour les revenus non mentionnés au ii, au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus ; ii) pour les revenus visés aux articles 10, 11, aux paragraphes 1, 2 et 3 de l'article 13, au paragraphe 3 de l'article 15, et aux articles 16 et 17, au montant de l'impôt payé au Japon conformément aux dispositions de la présente Convention ; toutefois, ce crédit d'impôt ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. b) L'expression " impôt français " employée au a désigne, nonobstant les dispositions du a du paragraphe 1 de l'article 2, tous les impôts sur le revenu perçus pour le compte de l'Etat français, quel que soit le système de perception, sur le revenu total, ou sur des éléments du revenu, y compris les impôts sur les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers ou immobiliers. c) Nonobstant les dispositions de l'alinéa a) du présent paragraphe, aucun crédit d'impôt n'est accordé pour les revenus ou les gains décrits à l'article 20A. " ; qu'il résulte de ces stipulations que les Etats contractants ont entendu explicitement exclure la possibilité de déduire du résultat imposable en France les impôts acquittés en Italie et au Japon ; que c'est donc à tort que le Tribunal a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 39-1 du code général des impôts ;

Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Céline SA devant le tribunal administratif ;

Considérant, en premier lieu, que, pour faire obstacle à l'application des conventions susmentionnées, la requérante ne peut utilement faire valoir, au nom d'un principe de non-aggravation, que l'application des stipulations précitées rendrait sa situation moins favorable que celle résultant du seul droit interne ; que la circonstance que des revenus provenant d'Etats non liés à l'Etat français par une convention fiscale auraient donné lieu à un traitement plus favorable est également sans incidence sur le présent litige ;

Considérant, en deuxième lieu, que la société Céline SA soutient que la non-déductibilité des impôts étrangers résultant de l'application des conventions fiscales susvisées méconnaît les principes communautaires de liberté d'établissement et de liberté de circulation des capitaux ; qu'elle se borne toutefois à invoquer une distinction entre sa situation et celle des contribuables ayant perçu des revenus provenant d'Etats n'ayant pas signé de convention ou ayant signé une convention ne prévoyant pas la non-déductibilité de l'impôt acquitté dans ledit Etat ; qu'elle n'invoque ainsi aucun traitement différent qui serait appliqué à des situations objectivement comparables ; que les moyens ainsi soulevés ne peuvent dès lors qu'être écartés ;

Considérant, en troisième et dernier lieu, qu'il est constant qu'aucun impôt français n'était dû au titre des années en litige par la société Céline SA en raison de sa situation déficitaire ; que par suite, les stipulations précitées faisaient obstacle à l'imputation de crédits d'impôt afférents aux retenues à la source litigieuses ; que, dès lors, la société ne dispose en application des conventions fiscales en cause d'aucun crédit d'impôt dont elle serait fondée à demander le remboursement ; qu'elle ne peut donc se prévaloir d'aucune créance pouvant être regardée comme constituant un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi, elle ne saurait soutenir que ces stipulations ont été méconnues, non plus que celles de l'article 14 de la même convention, qui, combinées à l'article 1er du premier protocole additionnel, prohibent les discriminations dans la jouissance des droits et libertés que cette convention reconnaît ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société Céline SA la majoration des déficits constatés au titre des exercices clos en 2005 et 2006 ; qu'il est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société Céline SA la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 0909296 du Tribunal administratif de Montreuil en date du 3 février 2011 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la SA Céline tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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