LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence,
contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de PARIS, en date du 4 janvier 2011, qui, saisi par le Centre scientifique et technique du bâtiment d'une requête en annulation des opérations de visite et de saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, a ordonné une mesure d'expertise ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er juin 2011 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Labrousse conseiller rapporteur, M. Dulin, Mme Desgrange, M. Rognon, Mme Nocquet, M. Couaillier, Mme Ract-Madoux, M. Bayet, Mme Canivet-Beuzit, MM. Bloch, Raybaud conseillers de la chambre, Mme Moreau conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Charpenel ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LABROUSSE, les observations de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL, Me Duhamel, avocat du demandeur a eu la parole en dernier ;
Vu l'ordonnance du président de la Chambre criminelle, en date du 21 mars 2011, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires et les observations complémentaires produits ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée en défense :
Attendu qu'il résulte, d'une part, de l'article L.450-4 du code de commerce que l'ordonnance du premier président statuant sur le déroulement des opérations de visite et saisie est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale, d'autre part, des dispositions des articles 567 et 568 du code de procédure pénale qu'est recevable à se pourvoir en cassation toute partie à l'instance qui a donné lieu à la décision attaquée, lorsque cette dernière contient à son égard des dispositions qui lui font grief ;
Qu'il en est ainsi du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence qui a sollicité et obtenu du juge des libertés et de la détention l'autorisation de procéder à des opérations de visite et saisie, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, conformément à l'article L. 450-4 du code de commerce, et dont le déroulement a fait l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel ;
D'où il suit que le pourvoi du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence doit être déclaré recevable ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du code de commerce et excès de pouvoir ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a ordonné une expertise afin de fournir au délégué du premier président les éléments lui permettant d'apprécier techniquement la possibilité de la saisie sélective de messages au sein d'une messagerie électronique ou de fichiers informatiques et, à cette fin, a notamment demandé à l'expert désigné de fournir des éléments permettant de connaître le fonctionnement du logiciel utilisé par l'Autorité de la concurrence pour rechercher et saisir des fichiers informatiques dans les entreprises visitées ;
"aux motifs que les parties sont contraires sur les techniques existantes de saisie et d'inventaire des documents informatiques et messageries ; que la méthode recherchée devrait, selon les débats et les pièces, tout à la fois préserver l'authenticité et l'intégrité des saisies et le contenu des ordinateurs visités –qui sont physiquement laissés à leur propriétaire-, permettre un contrôle juridique concret des opérations par les actions de la procédure et par les juridictions, et garantir à l'entreprise visitée la possibilité de faire retirer, avant même leur analyse par les enquêteurs, les documents qui seraient sans rapport avec l'enquête ou couverts par un secret légal ; qu'en outre, le procès-verbal établi en l'espèce apparaît, sans qu'il soit aucunement préjugé de sa validité, sommaire sur les modalités techniques des opérations de saisies de documents et de messagerie ; que, notamment, les opérations de sélection des documents et des messages, le transfèrement des fichiers sur le DVD-R vierge, les modalités successives de copie et d'inventaire, enfin les raisons qu'il y avait de ne pas recourir aux scellés semblent rudimentaires et inexistantes ; que par application, les mots « Analyse approfondie (d'un ordinateur) », « documents entrant dans le champ de l'autorisation de visite et de saisie », « des (article indéfini)» données informatiques, « transférées », « analyse approfondie », « authentification numérique », ne paraissent pas convenir à première vue pour décrire des atteintes aussi graves aux libertés que le sont une perquisition et des saisies et en permettre le contrôle judiciaire ; qu'une messagerie a été exploitée, sans qu'il soit donné de précisions techniques au procès-verbal à ce sujet ; qu'il ne semble pas que l'inventaire des messages saisis permette, en raison de son caractère très synthétique et par ailleurs peu lisible, de garantir l'identification de ces messages sans erreur par le juge de contrôle, par l'entreprise visitée ni même par les enquêteurs lorsqu'ils voudront établir le dossier de la poursuite et de permettre aux mêmes de vérifier quels messages ou groupes de messages entrent dans le champ de l'autorisation de perquisition ; que si les précédents cités par l'Autorité ont plus ou moins précisément justifié les inventaires électroniques, c'était faute d'une autre proposition technique de la part de l'entreprise visitée ; qu'il ne semble pas qu'au cours de la visite et pour les saisies, il ait été tenu compte de ce que les représentants du CSTB n'entendaient pas contribuer activement à l'application de méthodes simplifiées des enquêteurs ; qu'il n'a notamment été apposé aucun scellé, le juge n'a pas été saisi pour arbitrer les tris nécessaires, et la restitution des documents protégés par la loi ne pourrait plus intervenir désormais qu'après que les enquêteurs en auront pris connaissance ; que ces considérations sommaires pourraient peut-être commander l'annulation du procès-verbal s'il n'était démontré que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l'efficacité des opérations, le délégué du premier président se réservant de vérifier ensuite leur conformité à la loi ; que ces mêmes considérations conduiront à faire droit à la demande d'expertise formulée subsidiairement par le CSTB ; qu'il ressort aussi des débats que la littérature spécialisée a attiré l'attention, alors que le présent recours était pendant, sur des modalités de saisies et d'inventaires développées par d'autres autorités de concurrence (NL, UE, USA), qui pourraient permettre de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du CPP et L. 450-4 du code de commerce, en sorte que la mission de l'expert sera d'office étendue selon cette considération ; qu'il faut surseoir à statuer sur le tout, dans l'attente de l'expertise, tous moyens des parties étant expressément réservés ;
"1°) alors que commet un excès de pouvoir négatif le juge qui s'abstient d'exercer la plénitude des pouvoirs que la loi lui confère ; que les messageries électroniques constituent un fichier unique insécable ; qu'il appartient dès lors au juge d'apprécier les conditions du déroulement de leur saisie ; qu'en s'en abstenant et en se bornant à ordonner une expertise pour apprécier la sécabilité des fichiers de messagerie électronique, le délégué du premier président a commis un excès de pouvoir négatif ;
"2°) alors que le juge chargé de contrôler la régularité de visites et saisies effectuées en application de l'article L. 450-4 du code de commerce a uniquement le pouvoir d'apprécier les conditions de mise en oeuvre des mesures que la loi permet aux enquêteurs d'utiliser ; qu'en revanche, dès lors que la saisie globale d'une messagerie informatique contenant des éléments intéressant l'enquête est valable en son principe, le juge ne peut empiéter sur les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence en s'immiscant dans le mode de sélection des messages ni en dévoilant le mode de fonctionnement de son logiciel ; qu'en ordonnant une expertise portant sur les caractéristiques techniques du logiciel utilisé par l'Autorité de la concurrence pour procéder à la recherche et à la saisie de fichiers informatiques, en particulier de fichiers de messageries électroniques, sur la possibilité de copier ceux-ci et de les saisir de façon sélective, en ordonnant de décrire comment il est possible d'en dresser un inventaire lisible, en permettant à l'expert de se faire assister d'un sapiteur de son choix et en lui ordonnant d'établir du tout un rapport, le délégué du premier président a pris une mesure dont l'exécution est de nature à priver de toute efficacité les saisies pratiquées par l'Autorité de la concurrence, commettant ainsi un excès de pouvoir ;
"3°) alors que l'inventaire des éléments saisis, prévu par l'article R. 450-2 du code de commerce, ne doit pas comporter la liste exhaustive des messages électroniques saisis et peut viser des groupes de messages ; qu'est en outre valable un inventaire informatique des fichiers saisis, spécialement lorsqu'une copie est annexée au procès-verbal relatant les opérations de saisie ; qu'en l'espèce, les fichiers informatiques saisis ont fait l'objet d'un inventaire électronique dont copie a été annexée au procès-verbal relatant le déroulement des visites et saisies dans les locaux du CSTB à Champs-sur-Marne ; que le délégué du premier président ne pouvait dès lors demander à l'expert de décrire comment il est possible de dresser un inventaire lisible des documents ou fichiers informatiques saisis ;
"4°) alors que, subsidiairement, l'irrégularité d'une partie d'un procès-verbal ou d'investigations relatées dans un procès-verbal peut uniquement justifier l'annulation des mentions irrégulières ou relatives aux investigations irrégulières ; qu'ainsi, le délégué du premier président ne pouvait juger que des considérations relatives à certaines mentions du procès-verbal relatant les visites et saisies opérées dans les locaux du CSTB pouvaient commander l'annulation de l'ensemble du procès-verbal" ;
Vu l'article L. 450-4 du code de commerce, ensemble l'article 143 du code de procédure civile ;
Attendu que seuls les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet d'une mesure d'instruction ;
Attendu qu'il résulte de la décision attaquée que, par ordonnance en date du 3 juin 2009, le juge des libertés et de la détention a autorisé l'Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) afin de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; qu'après avoir constaté la présence dans divers ordinateurs de documents entrant dans le champ de l'autorisation, à l'aide d'un logiciel développé pour leur service, permettant d'identifier à partir de mots clés les éléments susceptibles de se rattacher aux pratiques suspectées, les agents des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ont saisi notamment des fichiers informatiques et sept messageries électroniques d'employés de la CSTB, dont les données ont été gravées sur un DVD-R vierge non réinscriptible, dont une copie a été remise à l'occupant des lieux, qui n'a, au cours de ces opérations, formulé aucune observation ; que le CSTB, s'estimant victime d'une violation de la confidentialité des correspondances entre avocat et client, a saisi, sur le fondement de l'article L.450-4 du code de commerce, le premier président d'un recours sur le déroulement desdites opérations ;
Attendu que, pour ordonner avant dire droit une expertise, dont l'objet est notamment d'obtenir les explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs, de fournir tous éléments permettant d'évaluer techniquement la possibilité de la saisie sélective de messages dans une messagerie électronique sans compromettre l'authenticité de ceux-ci, de décrire les possibilités de sélectionner les fichiers informatiques qui relèveraient d'un champ d'investigation précis et d'en dresser un inventaire lisible, le juge prononce par les motifs repris au moyen et énonce notamment que le caractère sommaire du procès-verbal dressé pourrait peut- être commander son annulation s'il n'était pas démontré "que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l'efficacité des opérations" ; que le juge ajoute que son attention a été appelée sur des modalités de saisie et d'inventaire développées dans d'autres Etats, mieux à même de concilier les droits effectifs de la défense avec les articles 56 du code de procédure pénale et L. 450-4 du code de commerce ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal et à l'inventaire des opérations, la régularité de ces dernières et d'ordonner, le cas échéant, la restitution des documents qu'il estimait appréhendés irrégulièrement ou en violation des droits de la défense, le juge, qui ne pouvait ordonner une mesure d'instruction sans rapport concret avec le litige comme tendant à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu'ils ne l'avaient fait, a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 4 janvier 2011, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize juin deux mille onze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;