LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et M. Y..., tous deux de nationalités française et canadienne, vivant ensemble depuis le mois de juin 1997 à Montréal (Canada), ont accueilli, le 19 octobre 2005, en vue de son adoption, un enfant prénommé Brandon, âgé de trois ans ; que, par jugement du 24 février 2009, la chambre de la jeunesse de la Cour du Québec a prononcé l'adoption conjointe de l'enfant par MM. X... et Y..., lesquels ont sollicité l'exequatur de ce jugement ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que le procureur général près la cour d'appel de Paris fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors selon le moyen, que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux, de sorte qu'en reconnaissant l'adoption conjointe par deux personnes non mariées, la cour d'appel a violé l'article 346 du code civil, dont les dispositions relèvent de l'ordre public international français ;
Mais attendu que l'article 346 du code civil, qui réserve l'adoption conjointe à des couples unis par le mariage, ne consacre pas un principe essentiel reconnu par le droit français ; que le grief n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 3 du code civil, ensemble l'article 509 du code de procédure civile, ainsi que l'article 310 du code civil ;
Attendu que pour ordonner l'exequatur du jugement, l'arrêt retient que cette décision, qui prononce l'adoption par un couple non marié et partage l'autorité parentale entre les membres de ce couple, ne heurte aucun principe essentiel du droit français et ne porte pas atteinte à l'ordre public international ;
Attendu, cependant, qu'est contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation, la reconnaissance en France d'une décision étrangère dont la transcription sur les registres de l'état civil français, valant acte de naissance, emporte inscription d'un enfant comme né de deux parents du même sexe ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'il lui incombait, si la transcription du jugement sur les registres de l'état civil français n'aurait pas pour effet d'inscrire cet enfant comme étant né de deux parents du même sexe, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes sus-visés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne MM. X... et Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Paris.
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné l'exequatur de la décision rendue le 24 février 2009, corrigée le 27 février 2009, par la Cour de Québec, chambre de la jeunesse ;
AUX MOTIFS QUE « pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; que M. Denis Bruno X..., né le 1er novembre 1966 à Nice, de nationalité française et canadienne et M. François Jean Louis Y..., né le 8 août 1969 à Metz, de nationalité française et canadienne, vivent ensemble à Montréal depuis 1997 ; qu'à l'issue d'une procédure judiciaire de déchéance d'autorité parentale des parents biologiques, de placement en vue de l'adoption de l'enfant Brandon A..., et d'obtention par MM X... et Y... de l'agrément des services sociaux, l'adoption conjointe de l'enfant par les appelants a été prononcée par un jugement de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, du 24 février 2009, corrigé le 27 février 2009 ; qu'il est constant que ce jugement est exécutoire et qu'il a été transcrit à l'état civil ; que, contrairement à ce que soutient le ministère public, la décision étrangère, qui prononce l'adoption par un couple non marié et qui partage l'autorité parentale entre les membres de ce couple, ne heurte aucun principe essentiel du droit français ; qu'ainsi, en l'absence d'atteinte à l'ordre public international, et dès lors que les circonstances de l'espèce caractérisent le rattachement de la procédure d'adoption au juge canadien et qu'aucune fraude n'est alléguée, il convient, infirmant le jugement entrepris, de constater que les conditions de l'exequatur de la décision de la Cour du Québec sont réunies » ;
ALORS d'une part que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux, de sorte qu'en reconnaissant l'adoption conjointe par deux personnes non mariées, la cour d'appel a violé l'article 346 du code civil, dont les dispositions relèvent de l'ordre public international français ;
ALORS d'autre part que le juge doit vérifier que sa décision pourra être exécutée et qu'elle ne conduit pas à créer une obligation juridique subséquente sur le territoire national, qui serait elle-même contraire à l'ordre public ; qu'en l'espèce, l'exequatur de la décision canadienne devrait conduire à la transcription de l'adoption sur les registres de l'état civil français, valant acte de naissance, dans lequel l'enfant sera dit être né de deux parents du même sexe, heurtant ainsi les dispositions d'ordre public relatives à la filiation, qui interdisent l'établissement conjoint de la filiation par deux personnes du même sexe ; qu'en accordant l'exequatur, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile ensemble les principes essentiels du droit français régissant l'établissement de la filiation.