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24/10/2012 | FRANCE | N°11-25530

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 24 octobre 2012, 11-25530


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article L. 2324-2 du code du travail ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que, le 14 juillet 2011, la société Gemalto a saisi le tribunal d'une demande d'annulation de la désignation de M. X..., délégué syndical, en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise par l'union départementale des syndicats FO d'Indre-et-Loire, aux motifs que le syndicat n'avait pas deux élus au comité d'e

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Attendu que, pour rejeter cette demande, le tribunal reti...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, ensemble l'article L. 2324-2 du code du travail ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que, le 14 juillet 2011, la société Gemalto a saisi le tribunal d'une demande d'annulation de la désignation de M. X..., délégué syndical, en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise par l'union départementale des syndicats FO d'Indre-et-Loire, aux motifs que le syndicat n'avait pas deux élus au comité d'entreprise ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, le tribunal retient que l'article L. 2324-2 du code du travail est contraire aux dispositions des articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ; qu'en effet, selon l'article L. 2323-1 du code du travail, le comité d'entreprise a pour objet d'assurer « une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans des décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de productions. Il formule, à son initiative et examine à la demande de l'employeur, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans l'entreprise ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient des garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 911-2 du code de la sécurité sociale » ; que le comité d'entreprise est informé et consulté sur « l'organisation, la gestion, et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle » en application de l'article L. 2323-6 du code du travail ; que la loi du 20 août 2008 a posé comme objectif à travers son titre le développement de la démocratie sociale dans l'entreprise notamment en redéfinissant la notion de représentativité, moyen de favoriser la négociation ; que la négociation est devenue un instrument essentiel d'adaptation des règles du travail à la diversité des situations locales ; que si le Conseil constitutionnel a jugé que l'exercice de certaines prérogatives syndicales pouvaient être soumises par la loi à une condition de représentativité sans méconnaître le principe de liberté syndicale, dès cette représentativité reconnue, les différents syndicats représentatifs doivent être égaux entre eux dans les prérogatives reconnues ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales laissent les Etats libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial à certains syndicats en fonction de la nature des prérogatives qui leur sont reconnues et qu'il en résulte que le choix du législateur de réserver aux seules organisations syndicales ayant des élus la possibilité de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ne méconnaît pas les articles susvisés de la Convention, le tribunal a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 3 octobre 2011, entre les parties, par le tribunal d'instance de Tours ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Annule la désignation de M. X... par l'union départementale des syndicats FO d'Indre-et-Loire en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise de la société Gemalto ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Gemalto.
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR écarté l'application des dispositions de l'article L 2324-2 du Code du travail comme étant contraires aux articles 11 et 14 combinés de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et rejeté la demande d'annulation formée par la société anonyme GEMALTO contre la désignation de monsieur Philippe X... en qualité de représentant du syndicat Force Ouvrière au Comité d'établissement de CHAMBRAY LES TOURS.
AUX MOTIFS QUE le Tribunal est saisi de la question de la conventionnalité de l'article L 2324-2 du Code du travail à divers textes internationaux et non de la constitutionnalité dudit article ; que l'article L 2324-2 du Code du travail dispose « « sous réserve des dispositions applicables dans les entreprises de moins de trois cents salariés prévues à l'article L 2143-22 chaque organisation syndicale ayant des élus au comité d'entreprise peut y nommer un représentant. Il assiste aux séances avec voix consultative. Il est choisi parmi les membres du personnel de l'entreprise et doit remplir les conditions d'exigibilité au comité d'entreprise fixées à l'article L 2324-15 du Code de la consommation » ; que sur la conventionnalité de l'article L 2324-2 aux articles 11 et 14 combinés de la CESDH ; qu'il s'agit de savoir si cet article méconnaît les principes combinés des articles 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la Cour européenne des droits de l'homme a pu procéder à plusieurs reprises à une lecture combinée de ces articles pour apprécier l'atteinte au principe de liberté syndicale (voir notamment par exemple CEDH 30/ 07/ 09 Danilenkov c/ Russie) ; que l'article 11 de la CESDH énonce : et- Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts, 2- L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui, le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées de la police et ou de l'administration de l'Etat ; que l'article 14 de la CESDH dispose pour sa part : la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée, notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que, sur des prérogatives syndicales soumises à une condition, le Conseil constitutionnel a jugé que l'exercice de certains prérogatives syndicales pouvaient être soumises par la loi à une condition de représentativité sans méconnaître le principe de liberté syndicale (Cons. Const. 14/ 12/ 2006n b° 2006-544 DC) ; que c'est d'ailleurs à ce titre que le législateur, dans la Loi du 20/ 08/ 08 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a souhaité redéfinir la notion de représentativité pour en faire découler des prérogatives réservées aux seuls syndicats représentatifs ; que dans le cadre des travaux préparatoires à cette loi, le député Jean-Frédéric Y..., dans son rapport déposé le 25 juin 2008, indiquait « l'audience sera ainsi désormais prise en compte de manière objective et à partir des élections professionnelles dans l'entreprise, ce qui permettra une appréciation périodique (…) de la représentativité » ; qu'il rappelait que la représentativité telle que redéfinie par le texte en discussion « emporte pour le syndicat reconnu comme représentatif capacité de négocier au niveau où cette représentativité a été reconnue » ; que le sénateur Alain Z..., rapporteur au Sénat, dans son rapport déposé le 15 juillet 2008 soulignait que « la présomption irréfragable de représentativité accordée à certaines confédérations peut ensuite aboutir à des situations inéquitables : un syndicat faiblement implanté dans une entreprise, mais affilié à une des cinq grandes confédérations bénéficie automatiquement de prérogatives reconnues aux organisations représentatives alors qu'un syndicat plus influent mais non affilié à l'une de ces confédérations devra s'engager dans une procédure de reconnaissance aux résultats aléatoires (…) la position commune du 9 avril 2008 propose de réformer les critères de représentativité syndicale en donnant une place centrale à l'audience mesurée lors des élections professionnelles et de faire évoluer en conséquence les règles de validité des accords collectifs » ; qu'il s'agit dès lors de savoir si la condition posée par l'article L 2324-2 à la désignation par un syndicat d'un représentant au comité d'entreprise (ou d'établissement) constitue une restriction source de discrimination entre syndicats ; que pour ce faire, il convient tout d'abord d'examiner le rôle du comité d'entreprise (ou d'établissement) et la nature des informations qui peuvent y être discutées pour ensuite comparer la différence de traitement imposé par le texte entre syndicats ; que, sur le Comité d'entreprise ou d'établissement, lieu de consultation et d'information stratégiques, que selon l'article L 2323-1 du Code du travail, le comité d'entreprise a pour objet d'assurer « une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans des décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de productions. Il formule, à son initiative et examine à la demande de l'employeur, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans l'entreprise ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient des garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L 911-2 du Code de la sécurité sociale (…) » ; que le Comité d'entreprise est informé et consulté sur « l'organisation, la gestion, et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle » (L 2323-6 du Code du travail, voir également L 23232-27 et suivants) ; que la loi du 20 août 2008 a posé comme objectif à travers son titre le développement de la démocratie sociale dans l'entreprise notamment en redéfinissant la notion de représentativité, moyen de favoriser la négociation ; qu'or la négociation est devenue un instrument essentiel d'adaptation des règles du travail à la diversité des situations locales (Const. Const. 25 juillet 1989, n° 89-527 DC loi modifiant le Code du travail relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la reconversion) ; que si comme rappelé plus haut, le conseil constitutionnel a jugé que l'exercice de certaines prérogatives syndicales pouvaient être soumises par la loi à une condition de représentativité sans méconnaître le principe de liberté syndicale (Cons. Const. 14/ 12/ 2006, n° 2006-544 DC), dès cette représentativité reconnue, les différents syndicats représentatifs doivent être égaux entre eux dans les prérogatives reconnues ; que depuis l'introduction de la loi du 20 août 2008, dans les entreprises de plus de 300 salariés, l'article L 2324-2 impose une différence de traitement entre syndicats représentatifs au sens de l'article L 2121-1 du Code du travail ; qu'un syndicat bien que représentatif qui ne disposera d'aucun élu ou d'un seul élu au comité d'entreprise sera interdit de représentation au Comité d'entreprise ou d'établissement ; qu'il en découle une rupture d'égalité dans les informations mises à disposition entre syndicats représentatifs ; qu'or, en matière de négociation collective les informations sont des armes de discussion avec l'employeur ; qu'il s'agit de savoir si cette différence de traitement entre syndicats se justifie-t-elle par un but légitime eu égard aux principes qui prévalent généralement dans une société démocratique ; que l'amendement n° 24 ayant abouti à la rédaction de l'article L 2324-2 telle que critiqué par les défendeurs a été présenté et adopté en première lecture au Sénat le 17 juillet 2008 ; que le sénateur Alain Z... l'a justifié de la manière suivante « dans les entreprises de plus de 300 salariés, chaque organisation syndicale représentative peut désigner un représentant au comité d'entreprise. Nous souhaitons réserver cette faculté aux syndicats représentatifs ayant des élus au comité d'entreprise c'est-à-dire concrètement aux syndicats les plus représentatifs » ; qu'au regard de la place accordée par la loi aux syndicats représentatifs dans la négociation collective, la différence d'informations délivrées aux syndicats imposée par l'article L 2324-2 du Code du travail ne constitue pas une restriction proportionnée ; qu'elle créé une rupture d'égalité entre syndicats ayant vocation à la négociation collective ne répondant pas dès lors à un but légitime dans une société démocratique ; qu'il convient d'écarter l'application de l'article L 2324-2 du Code du travail dont les dispositions sont contraires aux articles 11 et 14 combinés de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la demande d'annulation formée par la société anonyme GEMALTO contre la désignation de Philippe X... en qualité de représentant du syndicat Force Ouvrière au Comité d'établissement CHAMBRAY LES TOURS sera rejetée.
ALORS QUE si les dispositions de l'article L 2324-2 du Code du travail, qui subordonnent simplement, dans les entreprises de plus de 300 salariés, la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la seule condition pour un syndicat d'y avoir « des élus », entraînent une rupture d'égalité entre les différents syndicats représentatifs, en particulier dans l'accès aux informations mises à disposition par l'employeur, selon qu'ils ont ou non des élus au comité d'entreprise, cette différence de traitement entre syndicats représentatifs ne constitue pas, eu égard à ce que la légitimité électorale au sein du comité d'entreprise exigée du syndicat auteur de la désignation contribue à la fois à enrichir la légitimité du représentant syndical audit comité d'entreprise, à assurer l'effectivité du principe de participation des salariés à la détermination de leurs conditions de travail et à ce que ces dispositions légales permettent ainsi à tous les syndicats, qu'ils soient ou non représentatifs, d'avoir des prérogatives identiques devant le comité d'entreprise, une restriction disproportionnée ayant pour effet de rendre ces dispositions contraires aux articles 11 et 14, combinés, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en décidant le contraire, le Tribunal d'Instance a violé lesdits articles 11 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe de la liberté syndicale tel qu'il est consacré au sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 de même que le droit des travailleurs à participer, par l'intermédiaire de leurs représentants, à la détermination de leurs conditions de travail, visé au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et le principe d'égalité devant la loi figurant à l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11-25530
Date de la décision : 24/10/2012
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Sociale

Analyses

REPRESENTATION DES SALARIES - Comité d'entreprise - Représentant syndical - Désignation - Conditions - Obtention d'élus par l'organisation syndicale - Dispositions de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 - Conformité - Convention européenne des droits de l'homme - Appréciation - Portée

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 11 - Liberté d'association - Compatibilité - Code du travail - Article L. 2324-2 - Portée CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 14 - Interdiction de discrimination - Compatibilité - Code du travail - Article L. 2324-2 - Portée

Les articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales laissent les Etats libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial à certains syndicats en fonction de la nature des prérogatives qui leur sont reconnues. Il en résulte que le choix du législateur de réserver aux seules organisations syndicales ayant des élus la possibilité de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ne méconnaît pas les articles susvisés de la Convention


Références :

articles 11 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme

article L. 2324-2 du code du travail

Décision attaquée : Tribunal d'instance de Tours, 03 octobre 2011

Dans le même sans que : Soc., 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-18885, Bull. 2012, V, n° 279 (cassation sans renvoi)


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 24 oct. 2012, pourvoi n°11-25530, Bull. civ. 2012, V, n° 280
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2012, V, n° 280

Composition du Tribunal
Président : M. Lacabarats
Avocat général : M. Foerst
Rapporteur ?: M. Huglo
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 11/09/2013
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:11.25530
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