LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Papa Moussa X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-13, en date du 14 janvier 2010, qui, pour fraude fiscale et omission d'écritures en comptabilité, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, a ordonné l'affichage et la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 256, 1741 et 1743 du code général des impôts, des articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale et de la règle « actori incumbit probatio » ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. X... coupable des faits de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt par omission de déclaration et dissimulation de sommes et d'omission d'écritures dans des documents comptables, et l'a condamné à la peine de deux ans d'emprisonnement assortie du sursis simple ;
" aux motifs que, référence faite aux énonciations du jugement déféré pour un plus ample rappel des faits, il est reproché à M. X..., en qualité de gérant de la SARL Leppe, d'avoir soustrait ladite société au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi qu'au paiement de l'impôt sur les sociétés dus au titre des années 2003, 2004 et 2005 ; que le montant des droits éludés, visé pénalement, s'élève à la somme totale de 176 382 euros, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, et à celle de 155. 846 euros, s'agissant de l'impôt sur les sociétés ; que le prévenu est également poursuivi pour avoir omis de passer ou de faire passer des écritures dans les documents comptables obligatoires ; que M. X... conteste sa responsabilité, alléguant avoir servi de prête-nom à son frère qui exerçait l'ensemble des prérogatives et des pouvoirs liés à la gérance de la société ; qu'il indique avoir résidé en Angleterre en 2004 ; qu'il fait état d'une assemblée générale en date du 13 mai 2005 ayant mis fin à ses fonctions de gérant de droit à compter du 16 mai 2005 ; qu'il soutient également que la matérialité des délits de soustraction au paiement de l'impôt n'est pas caractérisée faisant valoir que l'administration fiscale a, à tort, estimé que les sommes créditées sur les comptes bancaires de la société Leppe correspondaient à son chiffre d'affaires et qu'elles devaient être considérées comme des recettes imposables, lesdites sommes ne faisant, selon lui, que transiter sur les comptes de la société dont l'activité consistait à transférer des fonds entre la France et le Sénégal en contrepartie d'une commission de dix pour cent ; mais que la SARL Leppe a été créée le 20 septembre 2001 avec pour activité déclarée l'ingénierie de services aux émigrés africains et touristes visitant l'Afrique ; qu'il ne résulte pas de l'extrait Kbis daté du 19 février 2007 figurant au dossier que, contrairement aux affirmations du prévenu, cette activité ait été étendue à celle de transfert de fonds, étant précisé, au demeurant, qu'il n'est nullement justifié de l'agrément requis pour l'exercice d'une telle activité en France ; que les copies de factures parcellaires à en-tête de la SARL Leppe et la copie de l'avis d'imposition d'un prétendu client de la société, produites pour la première fois en cause d'appel et dont l'authenticité n'est pas établie, n'ont pas de valeur probante suffisante ; qu'enfin, il sera rappelé que les délits de fraude fiscale visés à la prévention pour non-paiement de l'impôt concernent, outre des minorations de déclarations, des défauts de souscription de déclarations, ce qui n'est pas contesté ; que, s'agissant de la gérance de la société Leppe, c'est en vain que M. X... conteste sa responsabilité ; qu'en effet, l'intéressé, gérant statutaire de la SARL dès la date de sa création, a déclaré devant les services de police que son frère, qui était salarié d'une banque, " ne travaillait pas du tout dans la société " ; que ses affirmations, selon lesquelles il a vécu en Angleterre en 2004, ne sont nullement étayées ; qu'il a notamment reconnu avoir embauché et formé,, un jeune » pour tenir le guichet de ladite société et avoir établi son système de facturation ; que, comme l'a dit le tribunal, le changement de gérant prétendument intervenu le 16 mai 2005, et qui ne concernerait en tout état de cause qu'une partie de la période visée à la prévention, est inopposable à l'administration fiscale dès lors qu'à la date de l'avis de vérification de comptabilité adressé le 19 juin 2006, ce changement n'était ni enregistré au registre du commerce et des sociétés ni publié au BODACC ; que M. X..., qui indique être titulaire d'une licence en droit et avoir une formation de management, connaissait nécessairement ses obligations fiscales et avait conscience de s'y soustraire, étant observé que l'intéressé, en dépit des courriers et des mises en garde qui lui ont été adressés, ne s'est pas présenté aux rendez-vous fixés par le service vérificateur ; qu'en conséquence, et alors que la matérialité du délit d'omission d'écritures comptables n'est pas contestée, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les infractions visées à la prévention étaient caractérisées en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, à l'encontre du prévenu ; que la peine d'emprisonnement avec sursis ainsi que les mesures d'affichage et de publication prononcées relèvent d'une juste application de la loi pénale compte tenu de la nature des faits, lesquels, commis sur une période concernant plusieurs exercices comptables, portent gravement atteinte à l'ordre public économique ;
" 1) alors que la loi fiscale impose la situation de fait dans laquelle se trouve réellement le contribuable, peu important qu'elle soit illicite ; qu'en considérant que les sommes créditées sur les comptes bancaires de la SARL Leppe n'auraient pas fait que transiter sur ces comptes aux fins d'être transférées au Sénégal et seraient dès lors imposables en tant que chiffre d'affaires, du fait qu'il ne résultait pas de l'extrait Kbis du 19 février 2007 que l'activité de la société ait été étendue à celle de transfert de fonds et qu'il n'était nullement justifié de l'agrément requis pour l'exercice d'une telle activité de transfert de fonds en France, quand le seul fait que ces sommes n'aient fait que transiter sur les comptes de la société suffisait à ne pas les regarder comme des recettes imposables, peu important que la SARL Leppe aurait exercé illicitement l'activité de transfert de fonds, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2) alors que le prévenu est en droit de produire en appel des pièces nouvelles venant au soutien de ses demandes ; qu'en affirmant que les copies de factures à en-tête de la SARL Leppe et la copie de l'avis d'imposition d'un client de la société n'auraient pas de valeur probante suffisante, en ce qu'elles étaient produites pour la première fois en cause d'appel, quand elles entendaient démontrer que les sommes créditées sur les comptes bancaires de la SARL Leppe n'avaient fait qu'y transiter aux fins d'être transférées au Sénégal et que M. X... n'avait donc pas à les déclarer en tant que recettes, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 3) alors qu'il appartient à l'autorité poursuivante de démontrer que les éléments de preuve apportés par le prévenu ne sont pas authentiques ; qu'en affirmant que les copies de factures à en-tête de la SARL Leppe et la copie de l'avis d'imposition d'un client de la société n'auraient pas de valeur probante suffisante, en ce que leur authenticité n'était pas établie par M. X..., quand il appartenait au ministère public de prouver que ces pièces n'auraient pas été authentiques, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... est poursuivi, en qualité de gérant de la société Leppe, ayant une activité de services aux émigrés et touristes vers les pays africains, pour avoir frauduleusement soustrait cette société à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, en déposant, pour 2003 et 2004, les déclarations requises des résultats imposables et du chiffre d'affaires taxable comportant des minorations, d'autre part, pour 2005, en s'abstenant de déposer toute déclaration, enfin, pour l'ensemble des exercices, pour avoir omis de tenir les documents et livres comptables obligatoires ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de fraude fiscale et d'omission d'écritures en comptabilité, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dépourvues d'insuffisance comme de contradiction, et dès lors qu'en l'absence de comptabilité régulière et probante, M. X... n'a pu faire la preuve du caractère non taxable des sommes créditées sur les comptes bancaires de la société Leppe, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais, sur le moyen relevé d'office, pris de l'inconstitutionnalité de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts et de l'abrogation de la loi pénale ;
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution, ensemble l'article 111-3 du code pénal ;
Attendu, d'une part, qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;
Attendu, d'autre part, que nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X... coupable de fraude fiscale et d'omission d'écritures en comptabilité, l'arrêt ordonne, notamment, la publication et l'affichage de la décision, par application des dispositions de l'article 1741, alinéa 4, du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date des faits ;
Mais attendu que ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010, prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française le 11 décembre 2010 ;
D'où il suit que l'annulation est encourue ;
Par ces motifs :
ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de PARIS, en date du 14 janvier 2010, en ce qu'il a ordonné la publication et l'affichage de la décision, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PARIS et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;