LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 2010), que la société Rocco Guiseppe E Figli Spa, société de droit italien spécialisée dans le commerce de céréales, a passé commande, par contrat du 14 décembre 2007, auprès de la société Agralys, de 6 000 tonnes de blé dur ; que le contrat n'ayant pas été exécuté par la société Rocco Giuseppe E Figli Spa, la seconde société lui a réclamé d'indemniser son préjudice, puis celle-ci a saisi la Chambre arbitrale de Paris, en application de la clause compromissoire prévue aux conditions Incograin n° 13 ; que, par décision rendue au premier degré le 27 février 2009, un tribunal arbitral a débouté la société Agralys de ses demandes ; que celle-ci a demandé un examen de l'affaire au second degré, conformément au règlement de la Chambre arbitrale de Paris ; qu'au cours du délibéré, le 28 août 2009, la société Rocco Guiseppe E Figli Spa a indiqué "avoir eu vent de rumeurs faisant état de liens d'intérêt entre les arbitres ou les sociétés auxquelles ils appartiennent et les parties ou leurs conseils" et demandé que soient établies des déclarations d'indépendance ; que, par une sentence du 1er septembre 2009, le tribunal arbitral a condamné la société Rocco Guiseppe E Figli Spa à payer à la société Agralys une certaine somme ; que la société Rocco Guiseppe E Figli Spa a formé un recours en annulation contre la sentence au motif que le tribunal avait été irrégulièrement composé et le principe de la contradiction violé, sur le fondement des articles 1502, 2° et 4° du code de procédure civile ;
Attendu que la société Rocco Guiseppe E Figli Spa fait grief à l'arrêt de rejeter son recours en annulation de la sentence alors, selon le moyen :
1°/ que l'arbitre est tenu d'une obligation de révéler aux parties toute circonstance qui serait de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance ; que cette obligation pèse sur l'arbitre, et non sur les parties et qu'elle s'applique à tout arbitrage, en ce compris les arbitrages dit corporatifs ; qu'au cas présent, pour déclarer irrecevable la contestation élevée par la société Rocco Guiseppe E Figli Spa, visant à reprocher aux arbitres de n'avoir pas révélé les liens de subordination qui les unissaient à diverses sociétés du groupe auquel appartient la société Agralys, ainsi qu'à l'un des témoins, la cour d'appel a retenu que s'agissant d'un arbitrage corporatif, la société Rocco Guiseppe E Figli Spa devait nécessairement suspecter l'existence de tels liens et qu'il lui appartenait donc d'élever cette contestation dès le début de la procédure arbitrale ; qu'en statuant ainsi, et en retenant par conséquent qu'en matière d'arbitrage corporatif, il appartiendrait, non pas aux arbitres de révéler les liens précités, mais aux parties de les mettre en cause dès le début de la procédure arbitrale, la cour d'appel a violé les articles 1502, 2° et 4° du code de procédure civile ;
2°/ que la loyauté procédurale impose, en matière d'arbitrage, que les parties soulèvent dès qu'elles ont connaissance, les causes d'irrégularité de la procédure arbitrale ; que la charge de la preuve de la tardiveté, laquelle suppose la preuve de la connaissance antérieure par les parties de la cause d'irrégularité, pèse sur celui qui prétend que les parties, ayant eu connaissance d'une cause d'irrégularité, ne l'auraient soulevé que de manière tardive ; qu'au cas présent, pour écarter les prétentions de la société Rocco Guiseppe E Figli Spa, la cour d'appel a estimé que la société Rocco Guiseppe E Figli Spa n'établissait pas qu'elle n'aurait pas eu ou pu avoir connaissance antérieurement des griefs formulés par elle ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait, non à la société Rocco Guiseppe E Figli Spa d'établir son ignorance, mais à la société Agralys d'établir, au contraire, la connaissance antérieure de la société Rocco Guiseppe E Figli Spa, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 1315 du code civil ;
Mais, attendu qu'en retenant, d'abord, que dès le début de la procédure d'arbitrage de second degré, la société Rocco Guiseppe E Figli Spa avait eu le loisir de constater que tous les arbitres étaient français et que la liste des arbitres de la Chambre arbitrale de Paris ne précisait pas pour chacun d'eux leurs employeurs, ensuite, que s'agissant d'un arbitrage corporatif, la société Rocco Guiseppe E Figli Spa ne pouvait ignorer que les arbitres, ou certains d'entre eux pouvaient avoir des liens professionnels, enfin, qu'elle s'était abstenue de demander leur récusation alors que le règlement d'arbitrage du centre d'arbitrage auquel elle avait adhéré la prévoyait, se bornant cinq jours avant le prononcé de la sentence à exciper d'un vent de rumeurs, la cour d'appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que la société Rocco Guiseppe E Figli Spa en excipant tardivement de griefs dont elle n'établissait pas qu'elle n'en aurait pas eu ou pu avoir connaissance antérieurement, avait manqué à son obligation de loyauté procédurale, de sorte qu'elle était irrecevable à critiquer la sentence en reprochant aux arbitres un manquement à leur obligation de révélation ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Rocco Giuseppe E Figli Spa aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Rocco Giuseppe E Figli Spa et la condamne à payer à la société Agralys la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Rocco Giuseppe E Figli Spa.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours en annulation de la sentence rendue le 1er septembre 2009, et d'avoir condamné la société ROCCO à payer à la société AGRALYS la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Aux motifs que « la société ROCCO dit que la Chambre Arbitrale de Paris a refusé de permettre l'identification des arbitres par l'indication de leurs employeurs – renseignement que les listes d'arbitre de la Chambre Arbitrale de Paris ne comportent pas – et qu'il est apparu qu'il existait des liens d'intérêts de nature à mettre en doute leur indépendance et leur impartialité qui ont été dissimulés ; qu'elle fait valoir principalement que les arbitres MM. X..., Y... et Z... sont employés respectivement par les société CHAMPAGNE CEREALES, NUTRIXO et GRANDS MOULINS DE STRASBOURG qui font partie de groupes de sociétés actionnaires de la société FRANCE FARINE et que la société AGRALYS fait elle-même partie de l'un de ces groupes ; qu'elle estime qu'il appartenait tant à la Chambre Arbitrale de Paris qu'aux arbitres et à la société AGRALYS de dénoncer spontanément ces liens d'intérêt ; qu'elle ajoute que le témoin M. A... serait le supérieur hiérarchique de l'arbitre M. Y... ; qu'elle en déduit que le tribunal arbitral a été irrégulièrement composé, en violation des exigences de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et ne respecte pas le principe de la contradiction qui inclut l'obligation de révélation dont le défaut l'a privée de son droit de récusation ; que le dossier a été plaidé devant le tribunal arbitral de second degré le 9 juillet 2009, mis en délibéré le jour même, les débats étant clos, et la sentence rendue le 1er septembre suivant ; que par lettre du 28 août 2009, le conseil de la société ROCCO, faisant état du fait que cette société aurait eu « vent de rumeurs » selon lesquelles il existerait des liens d'intérêts entre les arbitres ou les sociétés auxquelles ils appartiennent et les parties ou leurs conseils, a demandé au Président de la Chambre Arbitrale de Paris de faire établir des déclarations d'indépendance, observant de surcroît que bien que s'agissant d'un arbitrage international, tous les arbitres étaient français ; qu'il s'en est suivi une correspondance entre le conseil de la société ROCCO et le Président de la Chambre Arbitrale de Paris qui, relevant que les allégations de la société ROCCO n'étaient nullement étayées, a refusé de donner suite ; que le grief, pour être recevable, doit être soulevé, chaque fois qu'il est possible, devant le tribunal arbitral lui-même ; que dès le début de la procédure d'arbitrage de second degré, la société ROCCO avait eu le loisir de constater que les cinq arbitres, tous désignés par la Chambre arbitrale de Paris étaient français et que la liste des arbitres ne précisait pas pour chacun d'eux leurs employeurs ; que, cependant, pendant l'instance arbitrale, la société ROCCO s'est bien gardée de faire la moindre réserve, de poser la moindre question, alors que le règlement de la Chambre arbitrale de Paris auquel elle avait nécessairement adhéré en acceptant son arbitrage, prévoit un délai de récusation de 15 jours après la notification de la désignation de l'arbitre, et que, s'agissant d'un arbitrage corporatif elle ne pouvait ignorer que les arbitres ou certains d'entre eux pouvaient avoir des liens professionnels ; qu'elle s'est pourtant bornée cinq jours avant le prononcé de la sentence à exciper d'un « vent de rumeurs » ; qu'en excipant tardivement de griefs dont elle n'établit pas qu'elle n'en aurait pas eu ou pu avoir connaissance antérieurement, elle a manqué à l'obligation de loyauté procédurale rappelée plus haut ; qu'ainsi les premier et troisième moyens sont irrecevables » (arrêt attaqué, p. 3 et 4) ;
1°) Alors que l'arbitre est tenu d'une obligation de révéler aux parties toute circonstance qui serait de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance ; que cette obligation pèse sur l'arbitre, et non sur les parties et qu'elle s'applique à tout arbitrage, en ce compris les arbitrages dit corporatifs ; qu'au cas présent, pour déclarer irrecevable la contestation élevée par la société ROCCO, visant à reprocher aux arbitres de n'avoir pas révélé les liens de subordination qui les unissaient à diverses sociétés du groupe auquel appartient la société AGRALYS, ainsi qu'à l'un des témoins, la cour d'appel a retenu que s'agissant d'un arbitrage corporatif, la société ROCCO devait nécessairement suspecter l'existence de tels liens et qu'il lui appartenait donc d'élever cette contestation dès le début de la procédure arbitrale ; qu'en statuant ainsi, et en retenant par conséquent qu'en matière d'arbitrage corporatif, il appartiendrait, non pas aux arbitres de révéler les liens précités, mais aux parties de les mettre en cause dès le début de la procédure arbitrale, la cour d'appel a violé les articles 1502, 2° et 4° du Code de procédure civile ;
2°) Alors que la loyauté procédurale impose, en matière d'arbitrage, que les parties soulèvent dès qu'elles ont connaissance, les causes d'irrégularité de la procédure arbitrale ; que la charge de la preuve de la tardiveté, laquelle suppose la preuve de la connaissance antérieure par les parties de la cause d'irrégularité, pèse sur celui qui prétend que les parties, ayant eu connaissance d'une cause d'irrégularité, ne l'auraient soulevé que de manière tardive ; qu'au cas présent, pour écarter les prétentions de la société ROCCO, la cour d'appel a estimé que la société ROCCO n'établissait pas qu'elle n'aurait pas eu ou pu avoir connaissance antérieurement des griefs formulés par elle ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait, non à la société ROCCO d'établir son ignorance, mais à la société AGRALYS d'établir, au contraire, la connaissance antérieure de la société ROCCO, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 1315 du Code civil.