LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Franck,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 5 mai 2009, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'assassinat, a prononcé sur sa demande d'annulation d'actes de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 septembre 2009 où étaient présents : M. Pelletier président, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Guérin, Straehli, Finidori, Monfort, Castel, Mme Ferrari conseillers de la chambre, Mme Degorce conseiller référendaire ;
Avocat général : Mme Magliano ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général MAGLIANO, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 11 juin 2009, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires et les observations complémentaires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la découverte, à son domicile, le 1er décembre 2005, du corps sans vie de Dominique Y..., une enquête a été ouverte aux fins de recherche des causes de la mort, en application des dispositions de l'article 74 du code de procédure pénale ; qu'en exécution des réquisitions du procureur de la République, un médecin légiste a pratiqué l'autopsie de Dominique Y... et procédé au prélèvement d'échantillons biologiques et viscéraux, qu'il a placés dans des récipients scellés en vue d'examens complémentaires éventuels ; qu'après le classement sans suite de l'enquête pour absence d'infraction pénale, une information a été ouverte, sur plainte avec constitution de partie civile de parents de la victime, du chef d'assassinat ; que, mis en examen de ce chef, Franck X... a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation d'actes de la procédure ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 74, 56, 76, 97, 163 du code de procédure pénale, 593 du même code, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande en nullité des prélèvements effectués par le docteur Z... le 6 décembre 2005, et de tous les actes subséquents, ainsi que la demande de nullité des scellés n° 2 et 3 confectionnés sur des morceaux de la corde de pendaison ;
" aux motifs que l'enquête menée aux fins de recherche des causes de la mort, dans le cadre de l'article 74 du code de procédure pénale, obéit à un régime spécifique et autonome, dont les règles ne sont ni celles prévues pour les enquêtes de flagrance, ni celles prévues pour les enquêtes préliminaires ; qu'aucune disposition ne soumet la régularité des prélèvements d'autopsie réalisés dans le cadre de l'article 74 au respect du formalisme des saisies, prévu aux articles 56 § 4, 76 § 3, 97 § 2 et 163 du code de procédure pénale ; que le procureur de la République, dans ses réquisitions du 5 décembre 2005, n'avait requis ni la réalisation d'un inventaire, ni la mise sous scellés judiciaires des prélèvements d'autopsie (autres que les projectiles ou objets qui seraient découverts dans le corps), ni la présence d'un officier de police judiciaire ; que les prélèvements ont été conservés dans des conditions garantissant leur bon état de conservation ; qu'aucun élément ne permet de retenir qu'il existerait une incertitude quant à « l'origine et à l'intégrité » des prélèvements, objet des travaux expertaux ;
" 1°) alors que, d'une part, dans le cadre de l'article 74 du code de procédure pénale, le procureur de la République ne peut que se faire assister de personnes capables d'apprécier la nature des circonstances du décès ; que s'il entend procéder ou faire procéder à d'autres investigations, il doit, soit le faire dans le cadre de l'enquête préliminaire qu'il peut ouvrir, soit requérir l'ouverture d'une information dans les termes de l'article 74 § 4 (§ 5, depuis la loi du 12 mai 2009), pour que le juge d'instruction puisse accomplir les actes nécessaires dans les conditions et selon les formes de l'instruction ; qu'en validant des prélèvements opérés en-dehors de toute procédure de saisies et de scellés, la chambre de l'instruction a violé les textes précités ;
" 2°) alors que, d'autre part, dans ses réquisitions du 5 décembre 2005 (D138 / 2), le procureur de la République avait prescrit au docteur Z..., requis pour effectuer l'autopsie « de saisir et placer sous scellés tout projectile ou autre objet qui serait découvert dans le corps », et de « prélever deux échantillons de sang et les viscères » ; qu'il résultait nécessairement de cette réquisition que les prélèvements devaient également être saisis dans les formes procédurales et placés sous scellés ;
" 3°) alors qu'en toute hypothèse, la procédure de saisie et le placement sous scellés ont pour but de garantir l'intégrité et l'authenticté des preuves ; que, si l'article 74 du code de procédure pénale ne prévoyait pas expressément, dans sa rédaction de 2005, que les prélèvements opérés dans ce cadre devaient faire l'objet de ces formalités, il n'en demeure pas moins qu'elles étaient obligatoires, pour préserver l'intégrité des prélèvements susceptibles d'être utilisés ultérieurement en cas d'ouverture d'une enquête ou d'une information ;
" 4°) alors qu'encore, la loi du 12 mai 2009 a rajouté un alinéa 4 à l'article 74 précisant que « sur instructions du procureur de la République, une enquête aux fins de recherche des causes de la mort est ouverte ; que dans ce cadre et à ces fins, il peut être procédé aux actes prévus par les articles 56 à 62, dans les conditions prévues par ces dispositions » ; que ce texte issu d'une loi dite de simplification et de clarification du droit s'analyse en une loi interprétative, et est donc applicable à des prélèvements irrégulièrement effectués avant son entrée en vigueur ; que ses dispositions ont été violées ;
" 5°) alors qu'enfin, ni la prétendue authenticité des prélèvements, ni leur supposée traçabilité, ni la question de savoir si l'objet recueilli constitue un élément à charge ou à décharge ne peuvent pallier l'absence de scellés judiciaires et ne sont de nature à empêcher le prononcé de la nullité de la saisie irrégulière ; que Franck X... faisait d'ailleurs valoir que les nombreuses manipulations des prélèvements avaient pu, d'une part, conduire à des appréciations divergentes des experts sur l'heure de la mort de Madame Y..., d'autre part, causer la « fracture de la base de la corne thyroïdienne », sans infiltration hémorragique, circonstance dont les experts tirent des conséquence directes sur l'analyse des faits, sans être pour autant affirmatifs sur le moment où cette fracture s'est produite, soit au moment des faits ou lors des manipulations successives des prélèvements ; qu'en s'abstenant totalement de s'expliquer sur ce point, la chambre de l'instruction a privé sa décision de toute base légale " ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité prise de la violation des dispositions des articles 56, alinéa 4, 76, alinéa 3, 97, alinéa 2, et 163 du code de procédure pénale, en ce que les prélèvements de sang et d'organes effectués lors de l'autopsie n'ont pas fait l'objet d'un inventaire et d'un placement sous scellés immédiats conformément à ces textes, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application de l'article 74 du code de procédure pénale, qui, dans sa rédaction alors en vigueur, ne soumettait les actes en cause à aucune forme particulière ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 158, 73 et 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, de l'article préliminaire du code de procédure pénale et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande en nullité de l'expertise du professeur A... ;
" aux motifs que, si l'exposé in extenso dans le rapport de documents de la procédure dont l'expert a pris connaissance peut être estimé superfétatoire et les commentaires inappropriés, ils ne sauraient être une cause de nullité de la procédure, le praticien ayant clairement indiqué qu'il s'agissait de ses commentaires et non d'une constatation matérielle ; qu'il a répondu à la question technique qui lui était posée ; qu'il n'a pas statué sur des problèmes juridiques ;
" alors que l'expert judiciaire doit impérativement respecter le principe d'équité et d'indépendance qui sont les seuls garants du bon exercice s sa mission, ainsi que la présomption d'innocence ; que toute entorse à ce principe jette nécessairement un doute sur la façon dont il a mené sa mission et sur l'indépendance et l'impartialité de ses conclusions techniques ; que la chambre de l'instruction, dès lors qu'elle reconnaît que l'expert s'est livré à des propos sur le fond et des commentaires déplacés, devait impérativement prononcer la nullité de l'expertise dont l'ensemble des considérations était nécessairement affecté de façon substantielle par le parti-pris de l'homme de l'art, peu important par ailleurs que l'expert ait en la forme répondu à la question technique qui lui était posée " ;
Attendu que, pour refuser d'annuler le rapport d'expertise du professeur A..., l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Qu'en cet état, et dès lors que les appréciations de l'expert, qui a répondu aux questions d'ordre technique conformément à la mission qui lui a été confiée par le juge d'instruction, restent soumises à la discussion des parties et à l'appréciation des juges du fond, la chambre de l'instruction n'encourt pas les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais, sur le deuxième moyen de cassation, pris de violation des articles 161-1, 173, 802 du code de procédure pénale, 593 du même code, violation des droits de la défense et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande tendant à la nullité de commissions d'expertises confiées à MM. B..., C..., D..., E..., F... et G..., A..., I... et J..., entre juin 2008 et décembre 2008, ainsi que des expertises elles-mêmes et des pièces subséquentes ;
" aux motifs que si l'article 161-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 5 mars 2007, a institué, dans son premier alinéa, l'obligation pour le magistrat instructeur, de communiquer sans délai la copie de sa décision ordonnant une expertise au parquet et aux avocats des parties qui disposent d'un délai de 10 jours pour demander au juge de modifier ou compléter les questions posées à l'expert, ou d'adjoindre à l'expert désigné un expert de leur choix, sans s'arrêter au fait qu'une circulaire du 22 juin 2007 mentionne qu'il ne semble pas que le non-respect de ces dispositions soit sanctionné par la nullité de l'expertise, l'article 161-1 § 3 prévoit que ces dispositions ne sont pas applicables lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir « en urgence » et « ne peuvent être différées » pendant le délai de 10 jours ; que chacune des ordonnances litigieuses de commissions d'experts a expressément, visé l'urgence, laquelle n'a pas à être spécialement-motivée ; qu'eu égard à la multiplicité d'investigations, à la nécessité de disposer dans les meilleurs délais des résultats des travaux expertaux, préalablement aux mesures de transport et de reconstitution des 8 juillet et 4 septembre 2008, des confrontations des 2 et 11 mars 2009, il ne saurait être fait grief au juge d'instruction d'avoir visé l'urgence ; qu'au surplus, les parties ont toute faculté conformément aux dispositions de l'article 167 du code de procédure pénale, de présenter des observations et formuler des demandes de complément d'expertise ou de contre-expertise ; qu'elles ne sauraient donc invoquer un grief au sens de l'article 802 du code de procédure pénale ;
" alors que, d'une part, les dispositions de l'article 161-1 du code de procédure pénale sont substantielles aux droits de la défense ; que la seule constatation de leur violation constitue une violation de ces droits, et doit être sanctionnée par la nullité des opérations expertales ordonnées et menées en contradiction avec les exigences de ce texte, que la chambre de l'instruction a ainsi violé, par refus d'application, en méconnaissant les droits de la défense ;
" alors que, d'autre part, si le juge d'instruction entend se placer dans le cadre de l'article 161-1, § 3 et échapper aux contraintes de l'article 161-1 § 1 au motif de l'urgence, il doit impérativement motiver sa décision de façon expresse et concrète, sans pouvoir viser l'urgence de façon générale ;
" alors qu'en toute hypothèse, l'urgence au sens de l'article 161-1 § 3 est définie par ce texte et s'entend de l'impossibilité de différer pendant le délai de 10 jours, imparti aux parties pour solliciter l'aménagement de l'expertise, les opérations expertales et le dépôt des conclusions par l'expert ; qu'à défaut d'une telle impossibilité, l'urgence n'est pas caractérisée au sens de l'article 161-1 § 3 et que les dispositions de l'article 161-1 § 1 doivent recevoir application ; qu'il résulte des propres motifs de l'arrêt attaqué qu'aucune des expertises en cause n'avait été effectuée dans les 10 jours et qu'en toute hypothèse, cette prétendue nécessité d'effectuer les expertises en cause dans le délai de dix jours, n'a pas été invoquée par le juge d'instruction ; que la chambre de l'instruction a violé les textes et principes visés ci-dessus ;
" alors qu'enfin, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans contradiction, considérer que l'urgence était caractérisée par la nécessité de procéder à des mesures de transport et de reconstitution les 8 juillet et 4 septembre 2008, ou des confrontations les 2 et 11 mars 2009, pour valider des commissions d'expertise soit postérieures à ces actes (1er septembre 2008, 1er octobre 2008) soit très largement éloignées de ces actes (13 mai 2008, 5 juin 2008, 30 juin 2008, 4 septembre 2008) et des expertises remises également à des dates très éloignées des actes en cause, voire postérieurement à eux (1er octobre 2008, 18 novembre 2008, 24 décembre 2008, 11 mars 2009) ; que l'arrêt attaqué se trouve ainsi privé de tout fondement légal " ;
Vu les articles 593 et l'article 161-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, selon l'article 161-1 du code de procédure pénale, le juge d'instruction adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix ; qu'en application de l'alinéa 3 de ce texte, il ne peut être dérogé à cette obligation que lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours susvisé ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité tirée de la violation de l'article 161-1 du code de procédure pénale, en ce que les ordonnances aux fins d'expertise prises entre juin et décembre 2008 n'ont pas été adressées en copie aux avocats des parties, l'arrêt relève que l'urgence visée par le juge d'instruction dans chacune de ces décisions n'avait pas à être spécialement motivée et qu'elle était justifiée par la multiplicité des investigations et la nécessité de disposer dans les meilleurs délais des conclusions des experts, préalablement aux mesures de transport et de reconstitution et aux confrontations envisagées ;
Mais attendu qu'en prononçant par ces motifs, insuffisants à établir, pour chacune des ordonnances critiquées, qu'existait, au moment où elle a été rendue, l'impossibilité de différer, pendant le délai de dix jours, les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions des experts, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 mai 2009, en ses seules dispositions relatives à l'application de l'article 161-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize octobre deux mille neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.