LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mars 2009), que Viktor X..., salarié de la société Roche, est décédé le 23 mai 2000 d'un cancer lié à une exposition à l'amiante diagnostiqué le 2 juin 1998 ; que sa pathologie avait été prise en charge au titre de la législation professionnelle le 31 mars 1999, le taux d'incapacité ayant été fixé à 100 % ; que par jugement du 25 mars 2004, confirmé par arrêt du 14 décembre 2006, la juridiction de sécurité sociale, saisie le 20 septembre 2001 par les ayants droit de Viktor X... (les consorts X...), a retenu la faute inexcusable de l'employeur ; que le 14 janvier 2008, les consorts X... ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le Fonds), d'une demande d'indemnisation au titre de l'action successorale et en leur nom personnel ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de déclarer leur demande prescrite, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 53, § I et VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, que le Fonds dont la mission est d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les personnes malades qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire national ainsi que leurs ayants droit et est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes, n'est pas soumis aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics qui sont incompatibles avec l'objet légal de cette mission ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé par fausse application cette disposition ;
Mais attendu que c'est à bon droit que l'arrêt retient que la demande d'indemnisation adressée au Fonds par la victime d'une exposition à l'amiante était soumise à la prescription quadriennale prévue par l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de déclarer leur demande prescrite, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 53, § I et VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et de l'article 37 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 que le Fonds, dont la mission est d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire national ainsi que leurs ayants droit, intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable ; qu'il en résulte que l'action en faute inexcusable engagée devant ces juridictions par la personne victime de l'amiante ou ses ayants droit interrompt le délai de prescription ; qu'en décidant le contraire au motif que la demande formée par le tribunal des affaires de sécurité sociale était fondée sur une cause juridique différente et ne tendait pas à la mise en cause de la personne publique débitrice, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 2, alinéa 2, de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Mais attendu que c'est à bon droit que l'arrêt retient que l'action exercée par la victime d'une maladie liée à une exposition à l'amiante devant la juridiction de sécurité sociale tendant à la déclaration de la faute inexcusable de l'employeur n'interrompt pas le délai de prescription de la demande d'indemnisation devant le Fonds dès lors qu'elle n'a pas le même objet et n'oppose pas les mêmes parties ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de déclarer leur demande prescrite, alors, selon le moyen, que dans leurs conclusions d'appel, les consorts X... avaient exposé que l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, portant création du Fonds, et son décret d'application du 23 octobre 2001 ne prévoient nullement l'existence d'un délai de prescription et que ce n'est que par le biais d'une délibération de son conseil d'administration en date du 27 janvier 2007 relative à l'application des règles de la prescription quadriennale qui ne lui est pas opposable, que le Fonds a cru pouvoir considérer que «les droits des victimes de l'amiante n'ont pu naître qu'à la mise en place du formulaire d'indemnisation, soit le 21 janvier 2003» ; qu'en fixant au 21 janvier 2003, date d'adoption par le Fonds de son barème d'indemnisation, la naissance de la créance indemnitaire de feu Viktor X... décédé le 23 mai 2000, sans préciser la date à laquelle ses ayants droit sont censés en avoir pris connaissance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme combiné avec l'article 13 ;
Mais attendu qu'il résulte des articles 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 et 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 que la prescription quadriennale applicable à la demande d'indemnisation adressée au Fonds ne peut commencer à courir tant que la consolidation du dommage n'a pas été constatée ; que lorsque cette consolidation a été constatée avant la date d'entrée en vigueur du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, le point de départ du délai ne peut être fixé avant cette dernière date ; que lorsqu'elle a été constatée après l'entrée en vigueur de ce texte, le point de départ du délai est fixé au premier janvier de l'année suivant la date de la consolidation ;
Et attendu qu'il ressort de l'arrêt et des productions que Viktor X... est décédé le 23 mai 2000 mais que le Fonds admettait en l'espèce que le point de départ du délai de prescription soit reculé au 21 janvier 2003, date de l'adoption de son barème indicatif d'indemnisation, laquelle était plus favorable à la victime ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que la demande des consorts X..., formée le 14 janvier 2008, était prescrite ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives des parties ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour les consorts X...
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite la demande d'indemnisation formée le 14 janvier 2008 par les consorts X... ;
Aux motifs "qu'en ce qui concerne la prescription, que les consorts X... font valoir que ni la loi du 23 décembre 2000 ni le décret du 23 octobre 2001 ne prévoient un délai de prescription ; que les travaux préparatoires de la loi précisent que les règles de fonctionnement du FIVA sont calquées sur celles du FITH qui ne prévoient aucun délai de saisine ; que la loi du 23 décembre 2000 ne prévoyant aucun délai pour saisir le fonds, il convient de retenir celui de 10 ans prévu par l'article 2226 du Code civil ; que le point de départ de la prescription doit être fixé non à compter du jour où la victime a eu connaissance du fait qu'elle pouvait prétendre à une indemnisation, mais à compter de la date à laquelle la créance de la victime contre l'Etat aura été fixée ; que la prescription a été interrompue par le recours formé par les consorts X... en vue de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; cependant, que l'absence de disposition expressément dérogatoire n'est pas susceptible d'écarter l'application des principes généraux ; que les travaux parlementaires se trouvent dépourvus de toute portée juridique ; que le FIVA étant un établissement public national à caractère administratif, il est concerné par les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat et les établissements publics ; que le fait que l'appréciation de la créance détenue sur une personne publique relève de la compétence du juge judiciaire n'est pas de nature à écarter la prescription quadriennale ; qu'en ce qui concerne le point de départ de la prescription, la loi du 31 décembre 1968 concerne aussi bien la prescription du paiement en application d'une décision de justice que la forclusion de la réclamation présentée à l'administration ; que la demande formée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale était fondée sur une cause juridique différente et ne tendait pas à la mise en cause de la personne publique débitrice ; en conséquence, que la créance dont s'agit se prescrit par quatre ans à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ; qu'en l'espèce, le barème d'indemnisation du FIVA n'ayant été adopté que le 21 janvier 2003, la naissance de la créance indemnitaire de feu Viktor X..., qui avait eu connaissance de sa maladie dès le 16 juin 1998, doit être reportée à la date du 21 janvier 2003 ; qu'ainsi le point de départ de la prescription quadriennale est le 1er janvier 2004 et son terme le 1er janvier 2008 ; qu'il n'est ainsi pas contestable qu'à la date de saisine du FIVA, le 14 janvier 2008, la créance des consorts X... était prescrite ;
Alors que, d'une part, il résulte de l'article 53, § I et VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante dont la mission est d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les personnes malades qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire national ainsi que leurs ayants droit et est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes, n'est pas soumis aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics qui sont incompatibles avec l'objet légal de cette mission ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé par fausse application cette disposition ;
Alors que, d'autre part, et à titre subsidiaire, il résulte de l'article 53, § I et VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 et de l'article 37 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001 que le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante dont la mission est d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les personnes qui ont subi un préjudice résultant directement d'une exposition à l'amiante sur le territoire national ainsi que leurs ayants droit intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable ; qu'il en résulte que l'action en faute inexcusable engagée devant ces juridictions par la personne victime de l'amiante ou ses ayants droit interrompt le délai de prescription ; qu'en décidant le contraire au motif que la demande formée par le tribunal des affaires de sécurité sociale était fondée sur une cause juridique différente et ne tendait pas à la mise en cause de la personne publique débitrice, la Cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 2, alinéa 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Alors que, de troisième part, dans ses conclusions d'appel, les consorts X... avaient exposé que l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, portant création du FIVA, et son décret d'application du 23 octobre 2001 ne prévoient nullement l'existence d'un délai de prescription et que ce n'est que par le biais d'une délibération de son Conseil d'administration en date du 27 janvier 2007 relative à l'application des règles de la prescription quadriennale qui ne lui est pas opposable, que le FIVA a cru pouvoir considérer que « les droits des victimes de l'amiante n'ont pu naître qu'à la mise en place du formulaire d'indemnisation, soit le 21 janvier 2003 » ; qu'en fixant au 21 janvier 2003, date d'adoption par le FIVA de son barème d'indemnisation, la naissance de la créance indemnitaire de feu Viktor X... décédé le 23 mai 2000, sans préciser la date à laquelle ses ayants droit sont censés en avoir pris connaissance, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, ensemble l'article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l'Homme combiné avec l'article 13.