LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 11 et 197 du code de procédure pénale, ensemble l'article 392 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, qu'à la suite du vol de marchandises appartenant à la société Toshiba France, celle-ci a été indemnisée par les sociétés Nippon Insurance Company of Europe Ltd et Mitsui Sumitomo Insurance Company Ltd (les sociétés d'assurances), qui ont assigné les sociétés chargées du transport, aux droits desquelles vient désormais la société XP France, devant un tribunal de commerce en paiement d'une somme correspondant à l'indemnité dont elles s'étaient acquittées, puis, en exposant que la société Toshiba France s'était constituée partie civile devant un juge d'instruction, ont demandé qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce qu'elles puissent verser aux débats la copie du dossier pénal ; que le tribunal ayant sursis à statuer par jugement du 2 novembre 2000, le juge d'instruction a rendu le 30 mai 2001 une ordonnance de renvoi devant un tribunal correctionnel qui s'est prononcé par jugement du 19 novembre 2002 ; que les sociétés d'assurances ayant déposé des conclusions devant le tribunal de commerce le 14 décembre 2003, la société XP France a soulevé la péremption de l'instance ;
Attendu que pour dire que l'instance n'était pas périmée, l'arrêt retient que si l'article 197 du code de procédure pénale permet que copie du dossier soit délivrée aux parties civiles, il interdit en revanche que cette copie soit rendue publique, de sorte que la société Toshiba France n'était pas en droit de la communiquer à un tiers dans l'instance commerciale, jusqu'à l'ouverture des débats devant le tribunal correctionnel, le 19 novembre 2002, et que les conclusions prises par les sociétés d'assurances le 4 décembre 2003 avaient interrompu la péremption ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions des articles 11 et 197 du code de procédure pénale sont sans application après la clôture de l'instruction et que la partie civile était en droit de communiquer à des tiers pour les besoins de leur défense dans une procédure commerciale, les copies des pièces de la procédure pénale, la cour d'appel a violé les textes susvisés, les deux premiers par fausse application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 février 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Nippon Insurance Company of Europe limited et Mitsui Sumitomo Insurance Company limited aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette toutes les demandes présentées de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la société XP France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré l'instance commerciale non atteinte par la péremption ;
AUX MOTIFS « que pour déclarer périmée l'instance de la société Nippon Insurance Company of Europe Limited et de la société Mitsui Marine and Fire Insurance Company Limited, les premiers juges ont dit que le point de départ d'un nouveau délai de péremption de deux ans « coïncidait avec le moment où la copie du dossier pénal pouvait être versée aux débats », que « l'instruction pénale » prenait « fin avec l'ordonnance que rendait le procureur », que cette ordonnance avait été rendue le 30 mai 2001 et que l'instance se trouvait périmée depuis le 30 mai 2003 lorsque les parties avaient pris l'initiative de poursuivre leur recours en décembre 2003 ; … qu'une instance pénale étant à l'instruction, le Tribunal de commerce de Bobigny, après avoir rappelé que dans le cadre de l'instance pénale en cours devant le Tribunal de grande instance de Bobigny, Toshiba s'était constituée partie civile, que la procédure d'instruction était toujours en cours, que de ce fait, la société Nippon Insurance Company of Europe Limited et la société Mitsui Marine and Fire Insurance Company Limited n'avaient pas accès au dossier et qu'elles ne pouvaient verser aux débats la copie du dossier pénal et qu'il y avait lieu de faire droit à la demande de sursis formée par ces mêmes sociétés, a ordonné un sursis à statuer par décision du 2 novembre 2000, les conclusions déposées le 12 octobre 2000 par ces dernières ayant précisé que ce sursis devant suspendre l'audience tant qu'elles ne seraient « pas en mesure de verser aux débats la copie du dossier pénal actuellement à l'instruction de Madame… » ; … qu'ainsi, ce n'est pas jusqu'au prononcé d'une décision définitive sur l'instance pénale que ce sursis a été ordonné mais seulement jusqu'au jour où cette copie cesserait d'en être interdite ; … que selon l'article 197 du Code de procédure pénale, le dossier pénal est tenu à la disposition des avocats des personnes mises en examen et des parties civiles et que copie doit leur en être délivrée sans délai, à leurs frais, sur simple requête pendant le temps séparant la notification aux mêmes parties par le procureur général, de la date d'audience du Tribunal Correctionnel et la date d'audience ; qu'en revanche le même texte prévoit que ces copies ne peuvent être rendues publiques, ce qui implique que jusqu'à l'ouverture des débats devant le Tribunal Correctionnel, Toshiba n'était pas en droit de rendre publiques ces pièces par leur communication à un tiers dans l'instance commerciale ; … que les débats ayant été ouverts le 19 novembre 2002, les conclusions prises devant le Tribunal de commerce de Bobigny le 4 décembre 2003 ont interrompu le délai de péremption »
ALORS que l'article 197 du Code de procédure pénale, qui limite aux avocats des parties la possibilité de se faire délivrer la copie des pièces du dossier d'une information en cours et interdit que ces copies soient rendues publiques, n'est pas applicable aux procédures dont la juridiction de jugement est saisie et qui, de ce fait, ne sont pas soumises au secret de l'enquête ou de l'instruction prescrit par l'article 11 du même Code ; qu'en décidant cependant qu'une partie civile n'était pas en droit de communiquer à un tiers, pour les besoins de sa défense dans une instance commerciale, les copies de pièces d'une procédure pénale, alors que l'instruction était close, le juge d'instruction ayant ordonné le renvoi de l'affaire devant le Tribunal correctionnel, la Cour d'appel a violé par fausse application les articles 11 et 197 du Code de procédure pénale ensemble l'article 392 du Code de procédure civile ;
ALORS, en tout état de cause, que la partie civile, non tenue au secret de l'instruction, peut communiquer à un tiers, pour les besoins de sa défense dans une autre procédure, des pièces extraites du dossier d'une information pénale en cours ; qu'à compter de l'ordonnance de renvoi de l'affaire devant le Tribunal correctionnel, la partie civile est en droit d'obtenir personnellement la copie des pièces de l'information pénale ; qu'en décidant cependant qu'entre la clôture de l'instruction par renvoi de l'affaire devant le Tribunal correctionnel et l'ouverture des débats devant ce Tribunal, la partie civile n'était pas en droit de communiquer à un tiers, pour les besoins de sa défense dans une instance commerciale, les copies de pièces de la procédure pénale, la Cour d'appel a violé les articles 11, 197 et R.155 du Code de procédure pénale.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le transporteur avait commis une faute lourde et d'avoir condamné son ayant droit (la société XP France) à payer aux assureurs de l'expéditeur (les sociétés Nippon Insurance Company of Europe Ltd et Mitsui Marine and Fire Insurance Company Ltd) l'intégralité du préjudice indemnisé par eux ;
AUX MOTIFS « que les marchandises confiées aux sociétés aux droits desquelles vient la S.A. XP France par la société Toshiba pour être transportées par route et livrées au destinataire ayant son siège social en France, se trouvaient dans une remorque stationnée dans la cour des sociétés de transport lorsque la remorque a été attelée à un tracteur pour être volée et vidée de son contenu ; … qu'il résulte de l'ensemble des explications concordantes données par les parties sur les circonstances du vol ainsi que du rapport amiable d'une personne désignée par une compagnie d'assurance dont elles ne critiquent pas les constatations, que cette remorque dont l'arrière était collé à un quai de déchargement a été volée avec un tracteur situé dans la même cour entre 7h15 et 7h30 le 9 mars 1999, la cabine du tracteur et son système antivol ayant été fracturés, alors que les portes des grilles extérieures des locaux des sociétés de transport étaient ouvertes et que les entrées et sorties des camions dans la cour n'étaient pas surveillées ; … que même si la présence d'un maître chien durant toute la nuit entre 19h et 7h à l'intérieur de la cour fermée, est un instrument de sécurisation des lieux, il n'empêche que le défaut de toute surveillance à l'entrée et à la sortie des camions entre 7h et 19h constitue une très grave faute dès lors que les remorques chargées de matériels peuvent demeurer dans la cour durant plusieurs jours consécutifs, comme ce fut le cas pour la remorque litigieuse, ce qui permet des repérages par des voleurs de fret ; … qu'il doit être rappelé que ces circonstances de vol, celui-ci ayant été facilité par le défaut total de surveillance de la remorque que les sociétés de transport savaient pourtant chargée de marchandises à livrer le lendemain, caractérisent en l'espèce la faute lourde du transporteur interdisant à ce dernier de se prévaloir de la limitation légale de responsabilité prévue pour les envois de moins de trois tonnes »
ALORS que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée ; qu'en l'espèce, le transporteur, qui n'avait pas été informé de la valeur des marchandises, avait garé la remorque tôlée, plombée et dételée, face au poste de gardiennage, les portes contre le quai, dans l'enceinte de ses établissements privés, lesquels étaient entièrement clos de grilles hautes de trois mètres et protégés par la présence d'un maître chien effectuant des rondes de nuit jusqu'à l'arrivée des chauffeurs et du personnel de manutention à 7 heures, l'intérieur des bâtiments bénéficiant d'une protection volumétrique avec alarme ; que le vol avait été réalisé de jour par effraction de la portière et du système anti-vol d'un tracteur qui avait été attelé à la remorque, elle-même fermée, les clés de tous les véhicules se trouvant à l'intérieur de l'établissement ; qu'en décidant cependant que le transporteur avait commis une faute lourde au seul motif que le défaut de surveillance à l'entrée et à la sortie des camions entre 7h et 19h constituerait une très grave faute, la Cour d'appel a violé 1150 du Code civil.