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29/01/2008 | FRANCE | N°07-83695

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 janvier 2008, 07-83695


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Claude,

contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 26 avril 2007, qui, pour provocation à la discrimination raciale, l'a condamné à 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 131-26 du code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, dé

faut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Cl...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant : Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Claude,

contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 26 avril 2007, qui, pour provocation à la discrimination raciale, l'a condamné à 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 24 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 131-26 du code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude X... coupable de provocation à la discrimination nationale, raciale ou religieuse ;
"aux motifs qu'il résulte des pièces du dossier et des débats à l'audience que, le 6 février 2005 à 17 heures, à l'aéroport de Blagnac, Zohra Y..., en qualité de superviseur qualité chargée de la sûreté aéroportuaire, a demandé à Claude X..., commandant de bord, de retirer sa veste pour la soumettre au rayon X, après que l'alarme du portique avait sonné à son passage ; que le commandant de bord s'est exécuté avec réticence et a proféré une phrase qui a beaucoup choqué Zohra Y... qui s'est plaint du comportement de Claude X... auprès du chef d'escale de permanence Henri Z... ; que ce dernier, chargé d'expliquer aux équipages les dernières mesures de contrôle de sécurité, est intervenu auprès du commandant de bord qui lui a confirmé « qu'il était allé un peu loin », regrettait ses paroles et était prêt à présenter des excuses à Zohra Y... ; que, si les excuses ont été présentées immédiatement, elles n'étaient, selon Zohra Y..., pas sincères, Claude X... lui ayant déclaré que « lui avait tout à perdre et, elle, tout à gagner » ; que, selon Zohra Y..., les propos tenus par Claude X... au moment du contrôle étaient les suivants : « si je vous avais connue il y a 60 ans à Vichy, je vous aurais cramée » ; qu'elle précise qu'elle n'a pas réagi immédiatement car elle n'a réalisé la portée de cette affirmation que dans un second temps, que des collègues ont été témoins de l'incident et ont entendu la même phrase ; que, lors de son audition par les enquêteurs et à l'audience, Claude X... a contesté la teneur des propos reprochés et a affirmé qu'il avait dit à la personne qui le contrôlait et parce qu'il était agacé par l'excès des contrôles à l'aéroport de Toulouse : « nous voilà à Vichy, il y a 60 ans » ; qu'il conteste avoir ajouté «je vous aurais cramée » ; qu'il résulte des témoignages des personnes présentes lors des faits et notamment de Naïla A... et de Ramia B..., collègues de Zohra Y..., qu'elles ont également entendu les propos dénoncés par Zohra Y..., la seconde étant plus incertaine sur le seul terme « brûlée » ; que Claude X... a fait citer devant l'audience du tribunal plusieurs témoins de moralité ; qu'il n'a pas fait citer son copilote Michel C... qui, selon lui, avait entendu ses propos ; que le témoignage éventuel de Michel C... n'a pas été recueilli au cours de l'enquête ; qu'à l'audience de la cour, le prévenu a maintenu ses déclarations mais n'a pu expliquer de façon cohérente pourquoi, alors qu'il était agacé par un système de contrôle tatillon, il avait fait référence à l'époque de Vichy 60 années en arrière auprès de son interlocutrice chargée du contrôle ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les déclarations de Zohra Y... sont constantes et sincères ; qu'en effet, la sincérité de ses propos découlent de leur confirmation par les deux témoins Naïla A... et Ramia B... mais surtout du déroulement des événements tels qu'ils sont rapportés par le témoin Henri Z... qui a demandé aussitôt après l'incident des explications au commandant de bord qui a admis qu'il était allé un peu loin et qui a accepté de présenter ses excuses ; que le seul fait de dire « nous voilà à Vichy il y a 60 ans » ne justifiait pas que Claude X... reconnaisse qu'il était allé un peu loin à l'égard de Zohra Y... et qu'il lui présente des excuses car elle ne devait pas ressentir cette phrase comme une attaque personnelle mais davantage comme la dénonciation d'un système et l'expression de récriminations adressées aux autorités de l'aéroport ; que si, comme l'affirme le prévenu, les contrôles opérés à Blagnac sont plus tatillons qu'ailleurs, Zohra Y... était habituée à de telles récriminations et n'a pas porté plainte à titre personnel chaque fois que le système de contrôle mis en place était dénoncé ; qu'il ne fait donc aucun doute que les propos de Claude X... étaient suffisamment précis pour atteindre Zohra Y... personnellement et justifier que, lui-même, ait à reconnaître aussitôt après qu'il était allé un peu loin et qu'il devait s'excuser auprès de cette personne ; qu'à l'audience, le prévenu a insisté sur le fait qu'il n'était pas animé par des sentiments racistes et avait vécu notamment plusieurs années aux Antilles ; que, toutefois, la référence à Vichy soixante années en arrière suivie de l'expression « je vous aurais cramée » cherchait à cibler Zohra Y... comme présentant les caractéristiques d'une personne à éliminer physiquement en raison de sa nuisance alléguée notamment liée à sa race ou à sa religion comme cela se faisait sous le régime de Vichy ; que ces propos ont été tenus en public et ont été entendus par plusieurs personnes ; que le délit d'incitation à la discrimination ou à la haine raciale est par conséquent établi en tous ses éléments constitutifs ; qu'en revanche, le délit d'injure raciale n'est pas établi, l'intention de Claude X... ne visant pas à porter injure publique à l'encontre de Zohra Y... mais davantage à la cibler comme appartenant à une communauté à éliminer (arrêt, page 5 à 7) ;
"alors que, pour caractériser une provocation à la discrimination raciale, une opinion, serait-elle désobligeante ou outrageante à l'égard d'une communauté, doit être exprimée dans des termes impliquant la volonté de son auteur de convaincre un auditoire, même indirectement, de la nécessité d'y adhérer ; qu'ainsi, à défaut de toute incitation du public, les propos que le prévenu adresse exclusivement à un interlocuteur particulier ne caractérisent pas une telle provocation, encore qu'ils aient pu être entendus par des tiers ; qu'en l'espèce, pour déclarer le demandeur coupable de provocation à la discrimination raciale, la cour d'appel s'est bornée à énoncer d'une part que lors d'un contrôle de sécurité à l'aéroport de Blagnac, Claude X... a déclaré à Zohra Y..., chargée dudit contrôle, « si je vous avais connu il y a 60 ans à Vichy, je vous aurais cramée », d'autre part que ces propos étaient suffisamment précis pour atteindre Zohra Y... personnellement, enfin que ces propos ont été tenus en public et entendus par plusieurs personnes ; qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il ne résulte pas que les propos litigieux aient eu pour objet d'inciter à la discrimination raciale les tiers ayant entendu les paroles litigieuses, adressées personnellement à la partie civile, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Vu l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il appartient à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si, dans les propos retenus par la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, telle que définie par l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 modifiée ;
Attendu que le délit de provocation prévu et réprimé par ledit article n'est caractérisé que si les juges constatent que, tant par son sens que par sa portée, le propos incriminé tend à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le ministère public a fait citer Claude X... devant le tribunal correctionnel, des chefs d'injure raciale et de provocation à la discrimination raciale, en raison du propos suivant, tenu par lui à Zohra Y..., à la suite d'un différend les ayant opposés : "Si je vous avais connue il y a 60 ans à Vichy, je vous aurais cramée" ; que le tribunal a relaxé le prévenu du chef d'injure raciale, mais l'a déclaré coupable du délit de provocation à la discrimination raciale ; qu'appel a été interjeté par toutes les parties ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt énonce, notamment, que le fait de présenter Zohra Y... comme une personne à éliminer physiquement en raison de sa race ou de sa religion, constitue le délit d'incitation à la haine raciale ; que les juges ajoutent que ces propos ont été tenus en public et ont été entendus par plusieurs personnes ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs qui n'établissent pas que le propos tendait, tant par son sens que par sa portée, à provoquer autrui à la discrimination, à la haine ou à la violence, la cour d'appel a fait une fausse application de l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse, en date du 26 avril 2007 et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Toulouse, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli conseillers de la chambre ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 07-83695
Date de la décision : 29/01/2008
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Eléments constitutifs - Provocation - Notion

Le délit de provocation à la haine raciale n'est caractérisé que si les juges constatent que, tant par son sens que par sa portée, le propos incriminé tend à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées. En conséquence, encourt la cassation l'arrêt qui retient cette qualification à l'encontre d'un prévenu, commandant de bord, ayant, à l'occasion d'une altercation avec un agent de sécurité aéroportuaire, déclaré à cette personne que "s'il l'avait connu il y a 60 ans, à Vichy, il l'aurait cramée"


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, 26 avril 2007

Sur les éléments constitutifs du délit de provocation à la haine raciale, dans le même sens que : Crim., 16 juillet 1992, pourvoi n° 91-86156, Bull. crim. 1992, n° 273 (rejet).Sur les conditions de la caractérisation de ce délit, à rapprocher : Crim., 21 mai 1996, pourvoi n° 94-83365, Bull. crim. 1996, n° 210 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 29 jan. 2008, pourvoi n°07-83695, Bull. crim. criminel 2008 N° 25 p. 98
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2008 N° 25 p. 98

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Fréchède
Rapporteur ?: Mme Ménotti
Avocat(s) : Me Luc-Thaler

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2008:07.83695
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