AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les deux moyens réunis :
Attendu que la société Norddeutsche Landesbank Girozentrale a successivement consenti deux prêts à une société civile immobilière, le premier garanti par une inscription hypothécaire de premier rang sur trois parcelles de terrain cadastrées AP1, AL58 et AL59, le second qui devait être garanti par une inscription hypothécaire de second rang sur ces mêmes parcelles ; que M. X..., notaire qui a instrumenté le second prêt, ayant tardé à inscrire la seconde hypothèque sur les parcelles AP1 et AL59 et omis de l'inscrire sur la parcelle AL58, la société Norddeutsche Landesbank Girozentrale n'a bénéficié que d'une inscription de quatrième rang sur les deux premières parcelles, de sorte que, s'étant vu attribuer, à la suite de la défaillance de la SCI, partie du prix de vente de celles-ci en remboursement du premier prêt, elle n'a pu, au titre du second prêt, en percevoir le reliquat, attribué à deux créanciers bénéficiaires d'inscriptions préférables de deuxième et troisième rangs ; qu'elle a, cependant, obtenu ultérieurement l'inscription d'une hypothèque judiciaire de premier rang sur la parcelle AL58 ; que, restant créancière au titre du second prêt, elle a réclamé au notaire le montant du solde du prix de vente des parcelles AP1 et AL59, dont elle avait été privée par le retard de l'inscription hypothécaire ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 18 octobre 2001) d'avoir accueilli la demande alors, selon les moyens :
1 / que seul le préjudice actuel et certain est indemnisable ;
que le préjudice n'est ni actuel ni certain tant que le créancier n'a pas mis en oeuvre toutes les sûretés dont il bénéficie ; que la mise en oeuvre des sûretés s'entend d'une mise en oeuvre effective, c'est-à-dire de leur réalisation et non pas d'une simple approximation anticipatoire faite par expert ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que la banque créancière bénéficie d'une hypothèque judiciaire en garantie de sa créance, hypothèque qui n'a pas été mise en oeuvre ; qu'en condamnant néanmoins le notaire à réparation alors qu'en l'absence de mise en oeuvre d'une garantie restante, le préjudice allégué par la banque n'était ni actuel ni certain, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 / que le préjudice hypothétique n'est pas indemnisable ;
que, pour évaluer le préjudice allégué, la cour d'appel se fonde sur l'estimation faite par l'expert de l'une des parties et énonce ensuite "qu'à supposer que la valeur de la parcelle ait augmenté, il n'en demeure pas moins que le produit de sa vente ne pourra couvrir intégralement la créance de la banque" ; qu'en statuant ainsi, sur le fondement d'une hypothèse, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le préjudice ne peut donner lieu à réparation que si un lien causal existe entre la faute reprochée et le préjudice allégué ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel énonce que la faute reprochée au notaire a causé à la banque le préjudice consistant en la perte de la somme de 649 692,58 francs, somme à laquelle la banque aurait pu prétendre si elle avait bénéficié d'une hypothèque de deuxième rang ; que la cour d'appel relève par ailleurs que la banque créancière bénéficie d'une hypothèque judiciaire de premier rang sur un immeuble d'une valeur de 800 000,00 francs ; qu'en considérant que le notaire devait réparation à la banque à hauteur de 649 692,58 francs, alors que la garantie hypothécaire de premier rang, dont l'organisme bancaire bénéficiait, anéantissait le préjudice résultant de la perte de la garantie hypothécaire de deuxième rang, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 1147 du Code civil ;
4 / qu'en toute hypothèse, seul le préjudice actuel et certain est indemnisable ; que la cour d'appel constate que la banque créancière bénéficie d'une hypothèque judiciaire de premier rang, sur un immeuble évalué en 1990 à la somme de 800 000 francs ; qu'en condamnant le notaire à payer la somme de 649 692,58 francs représentant la perte de l'hypothèque de deuxième rang, sans rechercher quel était le montant des sommes revenant à la banque en vertu de son hypothèque de premier rang, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'est certain le dommage subi par une personne par l'effet de la faute d'un professionnel, alors même que la victime disposerait, contre un tiers, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ; que, dès lors, est légalement justifié l'arrêt, qui, ayant constaté que la Norddeutsche Landesbank Girozentrale n'avait dû inscrire une hypothèque judiciaire sur la parcelle AL58 qu'à la suite de la faute commise par M. X..., laquelle avait privé la banque du reliquat du prix de vente des deux premières parcelles, a condamné le notaire à payer le montant correspondant à cette banque ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. X... à payer à la société Norddeutsche Landsbank Girozentrale la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille quatre.