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17/12/1991 | FRANCE | N°90-83534

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 décembre 1991, 90-83534


CASSATION PARTIELLE par voie de retranchement sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 30 mai 1990 qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis, 60 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et a dit que la contrainte par corps s'exécuterait conformément aux dispositions des articles 750 et suivants du Code de procédure pénale.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de

cassation pris de la violation des articles 32 de la loi du 29 juillet 18...

CASSATION PARTIELLE par voie de retranchement sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 30 mai 1990 qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis, 60 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles et a dit que la contrainte par corps s'exécuterait conformément aux dispositions des articles 750 et suivants du Code de procédure pénale.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 32 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable de diffamation publique envers un particulier ;
" aux motifs que l'auteur de l'article, après avoir affirmé un fait qui s'est avéré totalement inexact, à savoir que Marie-Christine Y... avait été entendue par le président Z..., le 14 septembre 1989, n'a pas hésité à indiquer à deux reprises dans le corps de l'article qu'elle apparaissait en deuxième position dans tous les classements des suspects, laissant ainsi supposer qu'elle était directement impliquée dans la commission du crime ; que de tels propos constituent indéniablement une atteinte à l'honneur et à la considération de Marie-Christine Y... ; que le rédacteur de l'article ne peut exciper de sa bonne foi ; qu'en effet, il s'est fondé sur des déductions personnelles qu'il n'a nullement vérifiées et qui se sont révélées inexactes ; qu'en faisant paraître cet article dans la publication dont il est le directeur, X... s'est rendu coupable du délit de diffamation envers un particulier ;
" alors que le fait, pour un journaliste, de relater sans la moindre animosité ni esprit tendancieux, un élément exact d'une enquête judiciaire, relève de l'exercice légitime du droit de l'information et ne saurait dès lors être constitutif de diffamation, quand bien même l'article incriminé contiendrait une erreur matérielle, dès lors que celle-ci ne contient intrinsèquement l'imputation d'aucun fait contraire à l'honneur ou à la considération de la personne qu'elle concerne, d'où il suit que, d'une, part, la Cour, qui a ainsi considéré qu'était diffamatoire l'affirmation non mensongère selon laquelle l'épreuve de la dictée avait permis de constater que l'écriture de Marie-Christine Y... venait en deuxième position, après celle de sa belle-soeur, Christine, pour sa ressemblance avec l'écriture du corbeau , a ainsi violé le principe de la liberté d'information autorisant la relation de faits divers, dès lors que celle-ci est faite avec impartialité et sans malveillance, ce qui était précisément le cas en l'espèce où le journaliste, précisant le taux important de discordances entre l'écriture de Marie-Christine Y... et celle du corbeau , ne permettait pas aux lecteurs de tomber dans des conclusions hâtives et dépourvues de fondement ;
" que, d'autre part, l'affirmation, même erronée, que Marie-Christine Y... était le mystérieux témoin entendu 5 heures durant par le juge Z... était en tout état de cause inopérante à constituer une diffamation, voire même à donner une coloration diffamatoire à l'ensemble de l'article, dans la mesure où une telle imputation ne saurait manifestement porter atteinte à l'honneur où à la considération d'autrui, un témoin n'étant pas un suspect et encore moins un coupable ;
" qu'enfin, la Cour qui, pour retenir la diffamation, a ainsi considéré que l'article présentait Marie-Christine Y... comme suspecte d'un crime particulièrement odieux, sans aucunement examiner, comme l'y invitait pourtant l'intégralité des conclusions de X..., l'ensemble de l'article qui, contrairement a ce qu'à affirmé la Cour, présentait Marie-Christine Y... sous un jour des plus favorable et par ailleurs comme étant une victime du corbeau , n'a pas, en l'état de ce défaut de réponse à conclusions, légalement justifié sa décision " ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X..., en sa qualité de directeur de publication, coupable de diffamation à raison d'un article publié dans A... sous la signature de B... et, réformant la décision des premiers juges, l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis ;
" aux motifs que l'auteur de l'article, après avoir affirmé qu'un fait s'est avéré totalement inexact, à savoir que Marie-Christine avait été entendue par le président Z..., le 14 septembre 1989, n'a pas hésité à indiquer à deux reprises dans le corps de l'article qu'elle apparaissait en deuxième position dans tous les classements des suspects, laissant ainsi supposer qu'elle était directement impliquée dans la commission du crime ; que le rédacteur de l'article ne peut exciper de sa bonne foi ; qu'en effet, il s'est fondé sur des déductions personnelles qu'il n'a nullement vérifiées et qui se sont révélées inexactes ; qu'en faisant paraître cet article dans la publication dont il est le directeur, X... s'est rendu coupable du délit de diffamation envers un particulier ; que le discrédit a été jeté sur une personne honorable ; qu'un tel procédé, indigne d'un journal aussi réputé que A..., a été manifestement employé dans le but simple et évident d'accroître le nombre des exemplaires vendus ; que ces révélations erronées ont eu pour effet d'entretenir un climat malsain dans une affaire qui n'a déjà connu que trop de péripéties ; qu'au vu de ces considérations, la peine infligée par les premiers juges paraît insuffisante et qu'il n'y a lieu de condamner X... à 2 mois d'emprisonnement avec sursis ;
" alors que la présomption d'innocence, proclamée par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ayant nécessairement pour corollaire l'obligation pour les parties poursuivantes de rapporter la preuve d'une faute infractionnelle, personnellement commise par la personne poursuivie, et s'opposant par conséquent à ce que la responsabilité pénale puisse être déduite de la seule qualité de la personne poursuivie, sans qu'il soit constaté à l'encontre de celle-ci un manquement caractérisé aux obligations qui sont les siennes, il s'ensuit qu'un article diffamatoire ne saurait automatiquement engager la responsabilité pénale du directeur de publication, sans qu'il soit constaté qu'il ait manqué à l'obligation de surveillance qui lui incombait raisonnablement, l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 ne se bornant à cet égard qu'à poser un ordre de responsabilité et nullement à édicter une présomption de culpabilité " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que X..., directeur de publication de l'hebdomadaire A..., a été cité devant le tribunal correctionnel à la requête de Marie-Christine Y... pour diffamation publique envers un particulier, délit prévu et réprimé par les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication dans le numéro 2533 du 28 septembre 1989 d'un article signé B... et retenu notamment à raison des passages suivants : " Affaire Grégory, le mystérieux témoin, c'est elle... Marie-Christine Y..., l'épouse de Gilbert, l'un des frères de Jean-Marie, a été entendue pendant 5 heures par un magistrat qui n'a pas la réputation de perdre son temps... elle avait rédigé la fameuse dictée du corbeau , son nom avait surgi juste après celui de Christine Y..., ... 147 personnes avaient été soumises à la dictée lors de l'enquête du capitaine C.... L'oubliée, c'était Marie-Christine et il faudra des mois au juge D... pour lui faire subir à son tour l'examen d'écriture avec les neuf finalistes. Le nom de Marie-Christine apparaît en deuxième position dans tous les classements de suspects... Dans les conclusions rendues par les experts le 13 février 1985, Christine Y... est classée première suspecte avec 23,40 % de discordance par rapport aux documents originaux, Marie-Christine, elle, était seconde avec 51,11 % ... " ;
Attendu que, pour retenir X... comme auteur principal du délit susvisé, les juges relèvent que l'article incriminé produit lors des débats, publiait la photographie de Marie-Christine Y... en indiquant que cette femme était la même que celle qui avait quitté la gendarmerie de E... dissimulée sous une couverture et relatait les déclarations du magistrat chargé de l'information selon lesquelles le mobile du crime avait été découvert et que des inculpations inattendues allaient s'ensuivre ; que les juges énoncent ensuite que l'auteur de l'article, après avoir affirmé un fait qui s'est avéré inexact, à savoir que Marie-Christine Y... avait été entendue par le président Z... le 14 septembre 1989, n'a pas hésité à indiquer à deux reprises dans le corps de l'article qu'elle apparaissait en deuxième position dans tous les classements de suspects laissant supposer qu'elle était directement impliquée dans la commission du crime ; que de tels propos constituent indéniablement une atteinte à l'honneur ou à la considération de Marie-Christine Y... ; que le rédacteur de l'article, s'étant fondé sur des déductions personnelles qu'il n'a nullement vérifiées et qui se sont révélées inexactes, ne peut exciper de sa bonne foi ; qu'en faisant paraître ledit article dans la publication dont il est directeur, X... s'est rendu coupable de délit de diffamation envers un particulier ; que l'arrêt ajoute que le prévenu n'a pas hésité à jeter le discrédit sur une personne en la désignant à l'opinion publique et même à sa vindicte comme l'auteur possible d'un crime particulièrement odieux en s'appuyant sur de pures hypothèses ; que la présentation sensationnelle de l'article n'avait d'autre but que de piquer la curiosité des lecteurs à propos d'une affaire qui avait déjà connu trop de péripéties ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ; que, sans s'arrêter à la relation, en partie inexacte, de faits relatifs au déroulement d'une information judiciaire non susceptibles de revêtir un caractère diffamatoire, elle a, à bon droit, caractérisé les éléments légaux d'une diffamation commise par la voie d'une insinuation laquelle entre, au même titre que l'imputation ou l'allégation, dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Que, sans encourir le grief de défaut de réponse à conclusions, elle a, à partir d'éléments extrinsèques échappant au contrôle de la Cour de Cassation, constaté que, loin d'être montrée sous un jour favorable, la partie civile était, au contraire, l'objet d'une présentation faite avec une désinvolture et une légèreté exclusives de toute bonne foi alors que, de surcroît, la volonté de renseigner le public et l'absence d'animosité personnelle ne suffisent pas, par elles-mêmes, à détruire l'intention de nuire ; qu'enfin, lorsqu'elle est commise au moyen d'un écrit périodique au sens de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881, la diffamation est imputable, en sa qualité d'auteur principal, au directeur de publication qui rend public ledit écrit et dont le devoir est de surveiller et de vérifier tout ce qui est inséré ; qu'il est ainsi responsable de droit, en application de l'article 42 de la loi susvisée, - lequel n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - de tout ce qui est publié par la voie dudit écrit périodique lorsque le caractère diffamatoire en est démontré ;
Qu'il s'ensuit que les moyens ne sont pas fondés ;
Mais sur le moyen pris d'office de la violation de l'article 749 du Code de procédure pénale ;
Vu ledit article ;
Attendu que la contrainte par corps ne doit pas être prononcée en matière politique ; que les délits de presse sont assimilés aux délits politiques ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE par voie de retranchement et sans renvoi l'arrêt de la cour d'appel de Nancy du 30 mai 1990 et seulement dans ses dispositions relatives à la contrainte par corps, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 90-83534
Date de la décision : 17/12/1991
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - Présomption d'innocence - Portée - Presse - Responsabilité pénale - Directeur de la publication - Auteur principal.

1° PRESSE - Responsabilité pénale - Directeur de la publication - Auteur principal.

1° Dès que le caractère diffamatoire d'un écrit périodique est démontré, le directeur de publication qui l'a rendu public est responsable de droit, en qualité d'auteur principal, du délit de diffamation, en application de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881 dont les dispositions ne sont pas incompatibles avec celles de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (1).

2° PRESSE - Diffamation - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Mauvaise foi - Preuve contraire - Désinvolture et légèreté dans les imputations (non).

2° Les imputations portées avec désinvolture et légèreté sont exclusives de toute bonne foi


Références :

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950 art. 6
Loi du 29 juillet 1881 art. 29
Loi du 29 juillet 1881 art. 42

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy (chambre correctionnelle), 30 mai 1990

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1955-02-15 , Bulletin criminel 1955, n° 103, p. 183 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1957-05-28 , Bulletin criminel 1957, n° 451, p. 808 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1961-11-15 , Bulletin criminel 1961, n° 467, p. 892 (cassation) ;

Chambre criminelle, 1976-12-22 , Bulletin criminel 1976, n° 379, p. 961 (rejet) ;

Chambre criminelle, 1986-07-08 , Bulletin criminel 1986, n° 233, p. 596 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 déc. 1991, pourvoi n°90-83534, Bull. crim. criminel 1991 N° 481 p. 1231
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1991 N° 481 p. 1231

Composition du Tribunal
Président : Président :M. Le Gunehec
Avocat général : Avocat général :M. Amiel
Rapporteur ?: Rapporteur :M. Dardel
Avocat(s) : Avocats :la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, la SCP Guiguet, Bachelier et Potier de la Varde

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1991:90.83534
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