Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Ikea France a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 27 juin 2011 par laquelle le ministre chargé du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 6 janvier 2011 lui refusant l'autorisation de licencier pour faute M. A... B...et refusé d'accorder l'autorisation sollicitée et la décision du 12 septembre 2012 par laquelle le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par M. B...contre la décision de l'inspectrice du travail du 20 janvier 2012 autorisant la société Ikea France à le licencier et a annulé cette décision.
Par un jugement n° 1107099 du 11 mai 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du ministre chargé du travail du 27 juin 2011 en tant qu'il a refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. B...et rejeté le surplus des conclusions de la société Ikea France.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 11 juin 2015 sous le numéro 15VE01845, M. B..., représenté par la AARPI Volga Avocats, avocats, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du ministre chargé du travail du 27 juin 2011 et qu'il a rejeté ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2° de rejeter les conclusions présentées par la société Ikea France devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise et tendant à l'annulation de la décision du ministre chargé du travail du 27 juin 2011 ;
3° de mettre à la charge de la société Ikea France le versement de la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- la procédure de licenciement est irrégulière en ce qu'elle a méconnu le respect des droits de la défense et violé les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en l'absence de délai suffisant pour préparer sa défense lors de son audition devant le comité d'établissement ;
- les faits invoqués par la société au soutien de sa demande de licenciement sont prescrits en vertu des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
- les fautes alléguées ne sont pas établies ;
- la demande de licenciement est en rapport avec l'exercice de son mandat syndical.
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II. Par une requête enregistrée le 1er juillet 2015 sous le numéro 15VE02102, la société Ikea France, représentée par la SELARLU RCCL Avocat, avocats, demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement du tribunal en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre chargé du travail du 12 septembre 2012 et d'annuler cette décision ;
2° de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspectrice du travail n'était pas tenue de procéder à une nouvelle enquête contradictoire dans le cadre de l'examen du recours gracieux formé par la société Ikea France contre la décision implicite par laquelle elle avait refusé l'autorisation de licencier M.B... ; notamment, elle n'était pas tenue de communiquer ce recours gracieux à M. B...et de le mettre à même de présenter ses observations avant de retirer sa décision implicite de refus ; le ministre du travail a donc entaché sa décision d'erreur de droit en annulant la décision de l'inspectrice du travail du 20 janvier 2012 au motif qu'elle avait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- en tout état de cause, l'irrégularité de la procédure suivie par l'inspectrice du travail dans le cadre de l'examen du recours gracieux de la société ne pouvait être utilement invoquée dès lors que l'inspectrice était en situation de compétence liée pour retirer la décision implicite par laquelle elle avait refusé d'autoriser le licenciement de M.B... ;
- le ministre a commis une erreur de droit en considérant qu'il n'était pas saisi de la demande initiale d'autorisation de licenciement de la société, l'annulation de la décision expresse de l'inspectrice du travail du 20 janvier 2012 n'ayant pas pour effet de faire revivre sa décision implicite de refus d'autorisation ;
- la procédure d'examen de son recours hiérarchique a été conduite en méconnaissance du principe de neutralité et d'impartialité qui s'impose à l'administration ;
- la décision du ministre est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que la réintégration de M. B...met en danger les autres salariés de l'établissement de Franconville.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guibé,
- les conclusions de Mme Orio, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour M. B... et de Mes Charat et Hamzaoui pour la société Ikea France.
1. Considérant que les requêtes nos 15VE01845 et 15VE02102 sont relatives à la situation d'un même salarié et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que la société Ikea France a sollicité l'autorisation de licencier pour faute M. B..., délégué du personnel, délégué syndical, représentant syndical au comité d'établissement et délégué au comité d'entreprise européen ; que, par une décision du 6 janvier 2011, l'inspectrice du travail du Val-d'Oise a refusé cette autorisation ; que, par une décision du 27 juin 2011 rendue sur le recours hiérarchique de la société, le ministre du travail a annulé la décision du 6 janvier 2011 au motif qu'elle avait été prise en méconnaissance du respect du principe du contradictoire et a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée au motif que la procédure de licenciement était irrégulière ; que, saisie d'une nouvelle demande par la société Ikea France notifiée le 28 octobre 2011, l'inspectrice du travail du Val-d'Oise a implicitement refusé d'accorder l'autorisation sollicitée ; que, saisie d'un recours gracieux de la société, l'inspectrice du travail a, par une décision du 20 janvier 2012, retiré sa décision implicite de refus et accordé l'autorisation sollicitée ; que M. B...a saisi le ministre du travail d'un recours hiérarchique contre cette décision le 16 mars 2012 ; que, par une décision du 12 septembre 2012, le ministre du travail a retiré la décision implicite née du silence gardé sur cette demande, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 20 janvier 2012 au motif qu'elle avait été prise en méconnaissance du respect du principe du contradictoire et a estimé que cette annulation avait pour effet de faire revivre la décision implicite de rejet du 28 décembre 2011, faisant obstacle à ce que le ministre soit regardé comme de nouveau saisi de la demande initiale d'autorisation présentée par la société Ikea France ; que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par la société Ikea France de demandes d'annulation des décisions du ministre chargé du travail a annulé la décision du 27 juin 2011 en tant seulement qu'elle a refusé l'autorisation de licencier M. B...et rejeté le surplus des conclusions ;
Sur la légalité de la décision du ministre chargé du travail du 27 juin 2011 :
3. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 2421-3 du code du travail prévoit que le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement ; que l'article R. 2421-8 du même code dispose que l'entretien préalable au licenciement a lieu avant la consultation du comité d'entreprise ; que son article R. 2421-9 du code du travail prévoit que l'avis du comité d'entreprise est exprimé après audition de l'intéressé ;
4. Considérant que le comité d'entreprise appelé à donner un avis sur le licenciement de M. B...s'est réuni le 1er décembre 2010 ; que, par courrier du 12 novembre 2010, la société Ikea France avait informé le salarié qu'elle ne pouvait tolérer les pressions, agissements agressifs et provocations dont faisait l'objet son directeur des ressources humaines, altérant ses conditions de travail et susceptibles de porter atteinte à sa dignité et à sa santé et a demandé à M. B...de cesser immédiatement ces agissements ; que, par une note d'information du 24 novembre 2010 annexée à la convocation du comité d'entreprise, dont M. B...a été destinataire, la société Ikea France a fait état des agissements répétés de l'intéressé, ayant entraîné une dégradation des conditions de travail, ressentie par certains salariés comme constitutifs de harcèlement moral, a précisé qu'une plainte pour harcèlement moral avait été déposée le 18 novembre 2010, que de nombreux salariés redoutaient l'agressivité et le comportement de l'intéressé et que son attention avait été attirée plusieurs fois sur le caractère inadmissible de son attitude, sans résultat ; qu'ainsi, M. B...avait été informé de la nature des griefs retenus à son encontre avant l'entretien préalable au licenciement ; que les précisions quant aux faits en cause, apportées par l'employeur au cours de l'entretien préalable qui s'est déroulé le matin même de la réunion du comité d'entreprise, n'imposaient pas d'accorder au salarié un délai plus important que celui dont il a effectivement disposé pour préparer son audition devant ce comité ; qu'il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. B... a refusé de s'exprimer devant le comité d'entreprise sans faire état de ce qu'il n'aurait pas eu le temps de préparer ses observations ni demander le report de la réunion ; qu'enfin, le requérant ne saurait utilement invoquer les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'audition devant le comité d'entreprise ne constituant pas une procédure juridictionnelle ; qu'ainsi, le ministre a commis une erreur d'appréciation en refusant d'autoriser le licenciement de M. B...au motif que le salarié n'avait pas disposé d'un délai suffisant pour préparer son audition devant le comité d'entreprise ;
5. Considérant, en second lieu, que le ministre n'est pas en situation de compétence liée lorsqu'il refuse d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé au motif que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas de nature à justifier son licenciement ou que la demande n'est pas sans lien avec les mandats détenus par le salarié ; que, par suite, M.B..., ne saurait utilement faire valoir que les faits invoqués par la société Ikea France sont prescrits, que les fautes alléguées ne sont pas établies ou que la procédure de licenciement est en rapport avec l'exercice de son mandat syndical pour faire obstacle à l'annulation de la décision en litige ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à la demande de la société Ikea France tendant à l'annulation de la décision du ministre chargé du travail du 27 juin 2011 en tant qu'elle refuse l'autorisation de le licencier ;
Sur la légalité de la décision du ministre chargé du travail du 12 septembre 2012:
7. Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-547 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales " ; et qu'aux termes de l'article 18 de la même loi : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre, les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives " ;
8. Considérant que si, en excluant les décisions prises sur demande de l'intéressé du champ d'application de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, le législateur a entendu dispenser l'administration de recueillir les observations de l'auteur d'un recours gracieux ou hiérarchique, il n'a pas entendu pour autant la dispenser de recueillir les observations du tiers au profit duquel la décision contestée par ce recours a créé des droits ; qu'il suit de là qu'il ne peut être statué sur un tel recours qu'après que le bénéficiaire de la décision créatrice de droits a été mis à même de présenter ses observations, notamment par la communication du recours ;
9. Considérant qu'il n'est pas contesté que l'inspectrice du travail du Val-d'Oise n'a pas communiqué à M. B...le recours gracieux formé par la société Ikea France le 9 janvier 2012 avant de retirer la décision implicite par laquelle elle avait refusé d'accorder le licenciement sollicité, alors que cette décision avait créé des droits au profit du salarié ; qu'ainsi, la décision de l'inspectrice du Val-d'Oise du 20 janvier 2012 a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ; que, par ailleurs, l'inspectrice du Val-d'Oise n'avait pas compétence liée pour retirer sa décision implicite de rejet dès lors qu'elle était nécessairement conduite à porter une appréciation sur les faits de l'espèce pour relever l'existence d'une faute du salarié d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; que, par suite, c'est à bon droit que le ministre chargé du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 20 janvier 2012 ;
10. Considérant que, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision ; qu'il en est ainsi y compris lorsque l'inspecteur du travail a, par la décision faisant l'objet du recours hiérarchique, retiré une précédente décision en sens contraire à l'issue de l'examen effectué dans le cadre d'un recours gracieux ; que la société Ikea France est fondée à soutenir que le ministre chargé du travail a entaché sa décision d'erreur de droit en estimant que l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 20 janvier 2012 avait pour effet de faire revivre la décision implicite de rejet du 28 décembre 2011 et faisait obstacle à ce qu'il soit regardé comme de nouveau saisi de la demande d'autorisation de licenciement ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Ikea France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre chargé du travail du 12 septembre 2012 en tant seulement que le ministre ne s'est pas prononcé de nouveau sur sa demande d'autorisation de licenciement ;
Sur les conclusions de la société Ikea France tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
12. Considérant que, en vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs peuvent, dans les causes dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ;
13. Considérant que les passages de la requête de M. B...dont la société Ikea France demande la suppression n'excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Ikea France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B...demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. B...et de l'Etat les sommes respectives de 1 000 euros et de 1 500 euros à verser à la société Ikea France sur le fondement des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...enregistrée sous le numéro 15VE01845 est rejetée.
Article 2 : La décision du ministre chargé du travail du 12 septembre 2012 est annulée en qu'elle ne s'est pas prononcée de nouveau sur la demande d'autorisation de licencier M. B...présentée par la société Ikea France.
Article 3 : Le jugement n°1107099 du 11 mai 2015 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la société Ikea France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : M. B...versera à la société Ikea France une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la société Ikea France est rejeté.
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N° 15VE01845, 15VE02102