Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux demandes séparées, la société Sopra Steria Group a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 12 octobre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... A... pour motif disciplinaire, ensemble la décision du 1er août 2019 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique dirigé à l'encontre de cette décision.
Par un jugement nos 1906229 et 1912071 du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a joint ces deux demandes, annulé ces décisions et enjoint à l'inspecteur du travail de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 février 2023, 24 avril 2023, 26 septembre 2023, 17 avril 2024 et 25 juin 2024, M. B... A..., représenté par Me Temps, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de la société Sopra Steria Group présentées devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
3°) de mettre à la charge de la société Sopra Steria Group la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il n'a pas commis de faute en refusant le poste qui lui était proposé, dès lors que ce poste constituait une régression dans sa carrière.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 mars 2023, 12 septembre 2023 et 19 juin 2024, la société Sopra Steria Group, représentée par Me Courtine, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le moyen soulevé par M. A... n'est pas fondé.
La procédure a été communiquée au ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ortoli pour la société Sopra Steria Group.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... a été recruté le 2 octobre 1989 par la société Steria, à laquelle a succédé la société Sopra Steria Group en janvier 2015, qui propose des services en ingénierie informatique et numérique. Il a été élu au mois de mai 2003 délégué du personnel et membre du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail au mois de septembre 2003, puis désigné délégué syndical au mois de juin 2004. Alors qu'il occupait un poste de consultant senior dans le cadre de la mission " Project office " exécutée pour le compte d'EDF, il a été repositionné à compter du 9 juillet 2004 en tant que consultant junior et placé sous la hiérarchie d'un consultant junior qu'il était précédemment chargé d'encadrer. La direction de la société a refusé en 2006 d'attribuer à M. A... un poste de Responsable Assistance et Expertise (RAE) au motif que ce poste, qui est investi des prérogatives de l'employeur, n'est pas compatible avec ses attributions de représentant du personnel. Par un arrêt du 12 janvier 2011, la cour d'appel de Versailles a reconnu le déclassement professionnel subi par M. A... en 2004 et a enjoint à la société Steria de le réintégrer dans des fonctions de RAE ou équivalent avec un plan de carrière. M. A... a été réintégré dans des fonctions de RAE, mais n'a bénéficié d'aucun plan de carrière.
2. Par un courrier du 17 juillet 2014, la société Sopra Steria Group a sollicité auprès des services de l'inspection du travail des Hauts-de-Seine l'autorisation de licencier ce salarié au motif qu'il aurait commis une faute de nature à justifier son licenciement en refusant l'emploi de chef de projet ASP qui lui était proposé. Par une décision du 16 septembre 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. A... en raison d'une irrégularité dans la procédure de licenciement. La ministre du travail a implicitement rejeté le recours hiérarchique formé à l'encontre de cette décision. Par jugement n° 1504126 du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé ces décisions et a enjoint à l'inspecteur du travail de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement. Par décision du 12 octobre 2018, l'inspecteur du travail a de nouveau refusé d'autoriser le licenciement de M. A.... Par décision du 1er août 2019, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique de la société Sopra Steria Group dirigé à l'encontre de cette décision. Par un jugement nos 1906229 et 1912071 du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé ces décisions et a enjoint à l'inspecteur du travail de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement. M. A... relève appel de ce jugement.
3. D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
4. D'autre part, le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.
5. En l'espèce, l'inspecteur du travail et la ministre du travail ont considéré que M. A... n'avait pas commis une faute de nature à justifier son licenciement en refusant l'emploi de chef de projet ASP qui lui était proposé, dès lors que cet emploi constituait une rétrogradation par rapport aux postes qu'il avait précédemment exercés.
6. En premier lieu, M. A... justifie, en produisant, entre autres, devant la cour son entretien annuel de 1999 établissant son passage de chef de projet à directeur de projet, sa feuille d'objectifs de l'année 2000 indiquant comme objectif la " progression dans la dimension de directeur de projet ", sa fiche de mission nominative d'affectation en qualité de directeur de projet, ses cartes de visite de directeur de projet de 1999 et de 2002, plusieurs échanges de courriels et les curriculum-vitae envoyés aux clients qui le présentent comme directeur de projet, qu'il a bien exercé les fonctions de directeur de projet avant le déclassement subi en 2004. Si la société Sopra Steria Group soutient que cette qualification de directeur de projet lui avait été attribuée à des fins exclusivement commerciales mais ne reflétait pas la réalité, il n'en reste pas moins que les prestations de M. A... vendues par cette société étaient celles d'un directeur de projet, ce qui implique qu'il a dû exercer effectivement ces fonctions. En outre, cette qualification de directeur de projet ne se retrouve pas seulement dans des courriels à destination commerciale, mais également dans des courriels internes, comme le courriel du 27 octobre 1999 l'invitant à la réunion des directeurs de projet. Or, le poste de directeur de projet figure sur la bande 4 du référentiel des métiers applicable avant la fusion des sociétés Stéria et Sopra, ce référentiel comportant un total de huit bandes, la qualification du poste étant d'autant plus élevée que le numéro de la bande est faible.
7. La société Sopra Steria Group fait valoir que le poste de RAE que M. A... occupait est l'équivalent d'un poste de resource manager, qui relève de la bande 5 de ce référentiel des métiers. Toutefois, il ressort de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Versailles du 12 janvier 2011 précité que M. A... a été repositionné au poste de RAE comme correspondant aux attributions qui étaient les siennes avant d'être victime de discrimination syndicale. Ce poste de RAE, qui ne figure pas sur le référentiel des métiers, doit donc être considéré comme relevant de la bande 4.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'un courrier du 23 avril 2014 adressé par la société Steria à M. A..., que le poste de chef de mission ASP comprenait la gestion d'une équipe constituée de 6 personnes au démarrage, puis de 21 personnes en fin de montée de charge. Si la société Steria soutient que cette équipe s'est finalement élevée à 38 personnes, il ressort des pièces du dossier que le personnel affecté sur cette mission était de 23 emplois temps plein sur l'année 2014, et de 14 emplois temps plein sur l'année 2015. Par ailleurs, le chiffre d'affaires affecté aux deux missions ASP Synergie Conseil et ASP Synergie était d'un montant global 5 395 220 euros de 2015 à 2018, sans que la société Sopra Steria Group ne précise le chiffre d'affaires de 2014, qu'elle dit devoir se rajouter à cette somme, ni si le poste proposé à M. A... concernait ces deux missions ou seulement l'une d'entre elles. Par suite, ce poste ne correspond pas à un poste de directeur de projet qui, selon la fiche de poste afférente, gère des projets de 1,5 million d'euros de chiffre d'affaires annuel et encadre des équipes de plus de 30 personnes. Il s'ensuit que l'administration a pu légalement considérer que M. A... avait un motif légitime pour refuser ce poste et que ce refus ne revêtait pas de caractère fautif.
9. Par ailleurs, si la société Sopra Steria fait valoir que M. A... a refusé toutes les propositions qui lui ont été faites depuis 2012, il ressort des pièces du dossier que celles-ci concernaient des postes de chef de projet et non de directeur de projet. Par suite, ses refus d'occuper ces postes, constitutifs d'une rétrogradation, étaient légitimes.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 12 octobre 2018 de l'inspecteur du travail et la décision du 1er août 2019 de la ministre du travail.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Sopra Steria Group demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Sopra Steria Group une somme de 2 000 euros à verser à M. A... sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 1906229 et 1912071 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 12 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par la société Sopra Steria Group devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La société Sopra Steria Group versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Sopra Steria Group, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pilven, président,
M. Ablard, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
La rapporteure,
C. Pham
Le président,
J-E. Pilven
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 23VE00335