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28/03/2019 | FRANCE | N°18PA02832

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 28 mars 2019, 18PA02832


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 16 946,01 euros en réparation des pertes de gains professionnels subies du fait de l'illégalité de l'arrêté du 30 juin 2015 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, ainsi que la somme de 1 696,14 euros au titre des frais exposés pour solliciter un visa pour le Royaume-Uni depuis son pays d'origine, et la somme

de 10 000 euros au titre de son préjudice moral

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Par un jugement n° 1704192/6-1 du 27 juillet 2018, le Tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 16 946,01 euros en réparation des pertes de gains professionnels subies du fait de l'illégalité de l'arrêté du 30 juin 2015 par lequel le préfet de police lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, ainsi que la somme de 1 696,14 euros au titre des frais exposés pour solliciter un visa pour le Royaume-Uni depuis son pays d'origine, et la somme

de 10 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1704192/6-1 du 27 juillet 2018, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A...la somme totale de 16 271,78 euros en réparation de ses préjudices, ainsi que la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I) Par une requête enregistrée le 20 août 2018 sous le n° 18PA02832, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 27 juillet 2018 en tant qu'il condamne l'Etat à verser à M. A...la somme de 16 271,78 euros au titre de ses préjudices ;

2°) d'allouer à M. A...la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de rejeter le surplus des conclusions présentées par M. A...devant le tribunal, notamment celles formulées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a commis une erreur de droit dans la qualification de la faute, dès lors que son arrêté du 30 juin 2015 n'a été annulé, par un précédent jugement du même tribunal, que pour défaut d'examen de la demande de titre de séjour présentée par M.A..., au regard des articles

L. 121-1 et L. 121-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non pour erreur de droit ;

- M. A...ayant été illégalement embauché par la société Axway, dès lors qu'il ne disposait d'aucune autorisation de travailler en France, il ne pouvait se prévaloir d'aucun préjudice financier résultant d'une perte de salaire qui soit lié à la décision de refus de séjour du 30 juin 2015 ;

- la décision du 30 juin 2015 n'ayant pas été assortie d'une obligation de quitter le territoire français, M.A..., qui a d'ailleurs ultérieurement été convoqué pour un réexamen de sa demande, n'était pas tenu de quitter le territoire français ; en conséquence, il n'existe aucun lien direct entre la décision annulée et le préjudice financier résultant des frais engagés par l'intéressé pour s'établir dans un autre pays de l'Union européenne ;

- M. A...ayant quitté le territoire français de son propre chef, c'est à tort que le tribunal lui a alloué une somme de 8 000 euros au titre de son préjudice moral ;

- il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. A...en lui allouant une somme de 1 000 euros.

II) Par une requête enregistrée le 20 août 2018 sous le n° 18PA02837, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1704192/6-1 du Tribunal administratif de Paris en date du 27 juillet 2018.

Par des mémoires en défense, enregistrés dans ces deux instances les 14 et

21 décembre 2018, M.A..., représenté par Me B...demande à la Cour de rejeter les demandes du préfet de police et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a estimé que le préfet de police avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité de la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- les préjudices indemnisés par le tribunal sont dûment établis.

Par ordonnance du 19 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée

au 4 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision du Conseil d'Etat n° 407687 du 22 octobre 2018.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brotons,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.

- et les observations de MeB..., représentant M.A....

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant néo-zélandais régulièrement entré en France en décembre 2009, sous couvert d'un visa long séjour en qualité de salarié, puis bénéficiant d'un titre de séjour en cette qualité, régulièrement renouvelé jusqu'au 17 décembre 2013, a sollicité, en mars 2015, alors qu'il indiquait avoir quitté le territoire français en décembre 2013 et y être récemment revenu, la délivrance d'un titre de séjour. Après avoir fondé sa demande sur l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, puis renoncé expressément à cette demande par un courrier du 9 avril 2015, il déposait, le 6 mai 2015 en préfecture, une nouvelle demande fondée sur le 7° de l'article L. 313-11 de ce code, au motif qu'il avait signé un pacte civil de solidarité avec un ressortissant tchèque résidant en France. Enfin, il déposait en préfecture, le 10 juin 2015, une nouvelle demande, fondée cette-fois sur les articles L. 121-1 et L. 121-3 du même code, en se prévalant de sa qualité de conjoint d'un ressortissant européen. Par un arrêté du 30 juin 2015 le préfet de police rejetait sa demande au motif qu'il n'avait pas produit suffisamment d'éléments probants permettant d'attester de l'ancienneté et de la stabilité de la vie commune, cette décision n'étant pas assortie d'une obligation de quitter le territoire français. Saisi par M.A..., le Tribunal administratif de Paris annulait cette décision par jugement n° 1515424/1-1 du 18 mai 2016, devenu définitif, pour défaut d'examen de la demande sur le dernier fondement invoqué par M.A.... Après avoir en vain demandé au préfet de police l'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité de cet arrêté, M. A...a saisi une nouvelle fois le Tribunal administratif de Paris, lequel a, par jugement n° 1704192/6-1 du 27 juillet 2018, condamné l'Etat à lui verser la somme totale de 16 271,78 euros en réparation de ses préjudices, mis à la charge de l'Etat une somme

de 2 000 euros au titre des frais d'instance et rejeté le surplus de ses demandes. Par sa requête

n° 18PA02832, le préfet de police relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 18PA02837, en demande le sursis à exécution.

2. Les requêtes n° 18PA02832 et 18PA02837 étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions de la requête n° 18PA02832 :

3. La décision illégale du 30 juin 2015 par laquelle le préfet de police a refusé d'admettre au séjour M. A...est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a causé à l'intéressé. Par suite, et en tout état de cause, le préfet de police ne soutient pas utilement que le tribunal, avant d'examiner les préjudices indemnisables de M.A..., se serait mépris sur la qualification de la faute imputable à l'Etat.

4. Toutefois, il résulte des articles 515-1 à 514-5 du code civil et de l'article 2 de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 que le législateur a fait le choix de réserver le bénéfice du régime des dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui transposent le droit de séjourner librement sur le territoire des États membres prévu par la directive n° 2004/38/CE du 29 avril 2004, aux seuls conjoints, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité bénéficiant des dispositions de l'article 12 de la loi du

15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité qui favorisent leur droit au séjour, conformément aux objectifs fixés par l'article 3, paragraphe 2, de la directive. Eu égard aux différences organisées par la loi entre ces deux formes d'union, le pacte civil de solidarité ne peut être regardé comme constituant un partenariat enregistré équivalent au mariage conformément à la législation de l'Etat membre d'accueil, au sens du b) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive du 29 avril 2004. Par suite, la situation de M. A...ne permettait pas, contrairement à ce qu'il soutient, la délivrance automatique d'un titre de séjour, mais devait faire l'objet d'un examen de sa situation personnelle au regard de l'intensité de ses liens personnels en France, examen auquel avait effectivement procédé le préfet de police, la conclusion d'un pacte civil de solidarité constituant l'un des éléments d'appréciation de tels liens au sens du 7° de l'article

L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du requérant résulte, dès lors, seulement de l'absence d'examen particulier de sa situation au regard du dernier fondement invoqué et non du défaut de délivrance d'un titre de séjour.

5. En tout état de cause, il est constant que lorsque M. A...a signé, le 24 avril 2015, un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Axway, prévoyant une prise de fonction le 6 mai suivant, il n'était titulaire d'aucun droit au séjour en cours de validité, faute pour lui d'avoir sollicité le renouvellement de son titre de séjour dont la durée de validité avait expirée le 17 décembre 2013. A la date de signature de ce contrat, M. A...avait expressément renoncé, par courrier du 9 avril 2015, à sa demande de titre de séjour " salarié " déposée un mois plus tôt, et ce n'est que 6 mai puis le 10 juin 2015, soit postérieurement à la signature de ce contrat, qu'il a présenté en préfecture de nouvelles demandes de titre de séjour, une première fois, en invoquant sa vie privée et familiale sur le territoire français, une seconde fois, en invoquant, à tort compte tenu de ce qui est dit au point 4., sa qualité de conjoint de ressortissant de l'Union européenne. Par suite, la circonstance que son contrat de travail a été suspendu faute de régularisation de sa situation ne résulte en aucun cas de la décision illégale du 30 juin 2015. Le préfet de police est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont alloué à M. A...une somme de 6 575,64 euros en réparation de la perte de revenus qu'il indiquait avoir subie.

6. Par ailleurs, il ressort du dossier que la décision du 30 juin 2015 n'était pas assortie d'une obligation de quitter le territoire français. Dès lors, la circonstance que M. A...ait, dès le mois d'août 2015, engagé des frais, notamment de vol à destination d'Auckland, en vue de l'obtention d'un visa pour s'établir au Royaume-Uni, ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour. Le préfet de police est en conséquence fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont alloué à M. A...une somme de 1 696,14 euros en remboursement de ces frais, lesquels résultaient avant tout d'un choix de l'intéressé.

7. En revanche, il est constant que la décision illégale du 30 juin 2015 a causé à M. A...un préjudice moral. Toutefois, eu égard aux circonstances de l'espèce, notamment aux modifications plusieurs fois apportées par l'intéressé dans le fondement légal de sa demande de titre de séjour, aux motifs qui lui ont été opposés, tirés de l'insuffisance des éléments joints à sa demande, de nature à attester de l'ancienneté et de la stabilité de la vie commune, et à la circonstance qu'il ne pouvait prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour, pour les motifs indiqués au point 4., le préfet de police est fondé à soutenir que l'indemnité due à raison de ce chef de préjudice doit être évalué à la somme de 1 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener à la somme de 1 000 euros l'indemnité mise à la charge de l'Etat en réparation des préjudices subis par M.A... et de réformer en ce sens le jugement du 27 juillet 2018. En revanche, il n'y a pas lieu de réformer ce jugement en ce qu'il met à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en remboursement des frais supportés par M. A...dans le cadre de l'instance devant le tribunal, et dès lors, les conclusions présentées à cette fin par le préfet de police doivent être rejetées.

Sur les conclusions de la requête n° 18PA02837 :

9. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions tendant à la réformation du jugement n° 1704192/6-1 du Tribunal administratif de Paris en date

du 27 juillet 2018, les conclusions de la requête n° 18PA02837 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet.

Sur les conclusions présentées par M. A...au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'allouer à M. A...la somme qu'il demande sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité due par l'Etat à M. A...en réparation de ses préjudices est fixée à la somme de 1 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1704192/6-1 du Tribunal administratif de Paris du 27 juillet 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de police n° 18PA02832 et les conclusions présentées par M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18PA02837.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...A....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 13 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 28 mars 2019.

Le président rapporteur,

I. BROTONSL'assesseur le plus ancien

S. APPECHE

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 18PA02832, 18PA02837


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02832
Date de la décision : 28/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Isabelle BROTONS
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SELARL BEHANZIN-OUDY ; SELARL BEHANZIN-OUDY ; SELARL BEHANZIN-OUDY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-03-28;18pa02832 ?
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