Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 30 juin 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a établi le tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020, d'annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 10 avril 2020, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'arrêter un nouveau tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 et, à titre principal, de le promouvoir au grade de major de police au titre de l'année 2020 ou, à titre subsidiaire, de réexaminer son dossier, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, d'annuler les mesures de nomination de MM. D... A... et C... B... au grade de major de police au titre de l'année 2020 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2012065/5-4 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a dit n'y avoir lieu de statuer sur les conclusions de M. E... tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2020 du ministre de l'intérieur, de la décision implicite de rejet du recours gracieux du 10 avril 2020 ainsi que sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte, a annulé l'arrêté du 20 août 2020 portant avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 en tant qu'il concerne MM. A... et B... et a rejeté le surplus des conclusions de M. E....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 juin 2023 et le 19 juin 2023, MM. C... B... et D... A..., représentés par Me Pinet, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2012065/5-4 du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les demandes de M. E... ;
3°) de mettre à la charge de M. E... le paiement de la somme totale de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les arrêtés du 20 août 2020 les nommant respectivement au grade de majors de police, qui n'ont pas été annulés par le précédent jugement du 12 octobre 2022 du tribunal administratif de Paris, sont devenus définitifs deux mois après leur publication et que c'est à tort que le tribunal, sans autre motivation et en entachant son jugement d'erreur de droit, en a prononcé l'annulation ;
- c'est encore à tort que le tribunal n'a pas estimé que les conclusions à fin d'annulation étaient tardives dès lors que M. E... ne peut se prévaloir de deux recours hiérarchiques successifs ; le premier d'entre eux ayant été formé le 6 mars 2020, une décision implicite de rejet est née le 7 mai suivant, en conséquence de quoi le recours formé le 8 août 2020 est intervenu au-delà de l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois ;
- c'est également à tort que les premiers juges ont estimé que la demande formée à leur encontre par M. E... ainsi qu'à l'encontre de la décision rejetant son recours hiérarchique était recevable dès lors, qu'en méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, les décisions contestées n'ont pas été produites ;
- l'annulation des arrêtés de nomination du 20 août 2020 avec effet rétroactif entraîne pour eux des conséquences manifestement excessives en raison, tant des effets produits par les actes de nomination, que des situations individuelles qui en ont découlé, de l'intérêt général qui s'attache au maintien temporaire de leurs effets ; le tribunal aurait ainsi dû prendre en considération leurs situations pour limiter les effets de la rétroactivité et maintenir ceux-ci, à titre exceptionnel, en dépit de l'annulation du tableau d'avancement.
Par courrier en date du 10 juillet 2023, M. E... a fait savoir à la cour qu'il renonçait à ses demandes.
La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoires en défense.
Par un courrier du 16 juillet 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le tribunal administratif de Paris avait prononcé à tort un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. E....
Le 19 juillet 2024, la cour a été avisée du décès de M. E..., survenu le 17 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 30 juin 2020, le ministre de l'intérieur a fixé le tableau d'avancement au grade de major au titre de l'année 2020. M. E..., brigadier-chef de la police nationale dont la candidature n'a pas été retenue, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cet arrêté ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 10 avril 2020, d'annuler les nominations au grade de major de police de MM. D... A... et C... B... au grade de major de police au titre de l'année 2020, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'arrêter un nouveau tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 et, à titre principal, de le promouvoir à ce grade au titre de la même année ou, à titre subsidiaire, de réexaminer son dossier. Par un jugement du 14 avril 2023, dont MM. A... et B... relèvent appel, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a fixé le tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 et de la décision implicite de rejet du recours gracieux du 10 avril 2020, ainsi que sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte, a annulé les arrêtés de nomination au grade de major de police de MM. A... et B... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. E....
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le tribunal n'a pas relevé l'irrecevabilité de la demande de première instance n'entache pas la régularité du jugement mais doit être examiné, le cas échéant d'office, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, l'omission qu'aurait ainsi commise le tribunal administratif a trait au bien-fondé du jugement attaqué et demeure sans incidence sur sa régularité.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Les premiers juges, qui ont explicitement estimé que l'ensemble des mesures individuelles de nomination, intervenues en exécution du tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 annulé, qui ne sont pas devenues définitives, devaient également être annulées par voie de conséquence, sans tenir compte de la valeur professionnelle des agents concernés, ont expliqué de façon suffisamment précise les raisons pour lesquelles ils ont prononcé leur annulation, au point 3 du jugement contesté.
4. En troisième lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Les requérants ne peuvent donc utilement se prévaloir d'une erreur de droit et d'appréciation qu'aurait commis le tribunal pour demander l'annulation du jugement attaqué.
5. En revanche, le jugement attaqué prononce, en son article 1er, un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'injonction de la requête. Ce faisant, les premiers juges doivent être regardés comme ayant prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par M. E..., en ce comprises celles tendant au réexamen de la demande de ce-dernier tendant à son inscription au tableau d'avancement. Or, la seule circonstance que l'arrêté du 30 août 2020 portant tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Paris en date du 12 octobre 2022 ne faisait pas perdre leur objet aux conclusions à fin d'injonction présentées par M. E... tendant à ce que le ministre de l'intérieur réexamine sa demande d'inscription au tableau d'avancement et à ce qu'il arrête un nouveau tableau. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentée par M. E.... Par suite, l'article 1er du jugement doit être annulé dans cette mesure.
6. Il y a ainsi lieu, pour la Cour, de se prononcer par la voie de l'évocation sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. E... devant le tribunal administratif de Paris et de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions de la requête.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Par son courrier enregistré le 10 juillet 2023, M. E... doit être regardé comme s'étant désisté de ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'arrêter un nouveau tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 et de le promouvoir au grade de major de police au titre de l'année 2020 ou de réexaminer son dossier. Ce désistement étant pur et simple, il y a lieu d'en donner acte.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
8. En premier lieu, d'une part, les requérants ne sauraient se prévaloir de la tardiveté du recours formé le 8 août 2020 par M. E... à l'encontre des décisions emportant leur nomination au grade de major de police, dès lors que l'arrêté ministériel du 20 août 2020 modifié le 26 août 2020 portant avancement de brigadiers-chefs au grade de major de police au titre de l'année 2020 est postérieur à la saisine du tribunal. D'autre part, si les appelants font grief au recours que M. E... d'avoir été prématuré, l'irrecevabilité de conclusions présentées contre une décision non encore intervenue peut être couverte par l'intervention en cours d'instance de la décision prématurément attaquée. M. E... était ainsi recevable à demander l'annulation des mesures individuelles de nomination intervenues en exécution du tableau d'avancement et qui n'étaient pas devenues définitives.
9. En second lieu, aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation ". Il résulte de ces dispositions qu'une requête est irrecevable et doit être rejetée comme telle lorsque son auteur n'a pas, en dépit d'une invitation à régulariser, produit soit la décision attaquée, dont tient lieu la pièce justifiant de la date de dépôt de la demande faite à l'administration lorsqu'il s'agit d'une décision implicite de rejet d'une demande, soit, en cas d'impossibilité, tout document justifiant des diligences qu'il a accomplies pour en obtenir la communication.
10. Il ressort des pièces du dossier, qu'en première instance, aucune fin de non-recevoir n'a été opposée en réponse à la demande de M. E... et que le tribunal n'a pas davantage invité ce-dernier à la régulariser. Par suite, l'irrecevabilité de la demande ne peut être utilement opposée pour la première fois en cause d'appel, dès lors que les premiers juges n'auraient pu l'opposer sans avoir préalablement invité M. E... à produire les actes dont celui-ci demandait l'annulation.
11. En troisième lieu, par un jugement n°2021167 du 12 octobre 2022, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 30 août 2020 portant tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Par suite, cet acte a disparu rétroactivement de l'ordonnancement juridique. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale. Le tableau d'avancement au grade de major au titre de l'année 2020 ayant été annulé, l'ensemble des mesures individuelles de nomination intervenues en exécution de ce tableau et qui ne sont pas devenues définitives doivent être annulées par voie de conséquence.
12. En l'espèce, les requérants ne justifient pas que leurs nominations dans le grade de major de police seraient devenues définitives en raison de leur publication.
13. Comme indiqué au point 11, l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause, de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il aura déterminée.
14. Contrairement à ce que soutiennent MM. B... et A..., eu égard en particulier à la possibilité pour l'autorité administrative de reprendre une nouvelle procédure d'élaboration du tableau d'avancement et d'édiction des décisions de nomination, il n'y a pas lieu, en l'espèce, de déroger à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses.
15. Il résulte de tout ce qui précède que MM. B... et A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a fixé le tableau d'avancement au grade de major de police au titre de l'année 2020 et a annulé les arrêtés du 20 août 2020 prononçant leurs nominations au grade de major de police. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2012065/5-4 du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé, en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. E....
Article 2 : Il est donné acte du désistement des conclusions à fin d'injonction de M. E....
Article 3 : La requête de MM. B... et A... est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à M. D... A..., au ministre de l'intérieur et aux ayants-droit de M. F... E....
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA02572