LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 juin 2020
Cassation sans renvoi
Mme BATUT, président
Arrêt n° 368 F-P+B
Pourvoi n° A 18-22.543
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 24 JUIN 2020
M. Q... N..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° A 18-22.543 contre l'ordonnance rendue le 7 juillet 2018 par le premier président de la cour d'appel de Paris, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet du Loiret, domicilié préfecture du Loiret, 181 rue de Bourgogne, 45000 Orléans,
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris cedex 01,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gargoullaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. N..., de Me Laurent Goldman, avocat du préfet du Loiret, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mai 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Gargoullaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 7 juillet 2018), et les pièces de la procédure, le 3 juillet 2018, M. N..., de nationalité sri-lankaise, en situation irrégulière en France, a fait l'objet d'un arrêté de placement en rétention administrative, en exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire national du 7 mai précédent.
2. Le 5 juillet 2018, le juge des libertés et de la détention a été saisi, par l'étranger, d'une requête en contestation de la régularité de la décision et, le lendemain, par le préfet, d'une requête en prolongation de la mesure.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. M. N... fait grief à l'ordonnance de prolonger la mesure, alors « que l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication qu'en cas de nécessité ; qu'en énonçant que la nécessité du recours à l'interprétariat par téléphone résultait de ce que l'intéressé s'était présenté volontairement le 3 juillet 2018 à 14 h 30 dans le cadre de son obligation de pointage et que les gendarmes devaient donc l'entendre immédiatement sur sa volonté de quitter la France, puis compte tenu du refus opposé, sur son placement en rétention, le délégué du premier président a statué par des motifs impropres à caractériser la nécessité d'un interprétariat par téléphone et ainsi violé l'article L. 111-8 du CESEDA. »
Réponse de la Cour
4. Vu l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
5. Il résulte de ce texte que, lorsqu'il est prévu qu'une décision ou une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend par l'intermédiaire d'un interprète, cette assistance ne peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication qu'en cas de nécessité.
6. Pour prolonger la mesure à l'égard de M. N..., l'ordonnance retient, par motifs propres et adoptés, que la procédure de notification de la décision de placement en rétention est régulière dès lors que la nécessité du recours à l'interprétariat par téléphone résultait, d'une part, de ce que l'interprète ne se tenait pas dans les locaux de la gendarmerie à la disposition de l'agent notificateur, d'autre part, de ce que l'intéressé s'était présenté volontairement pour satisfaire à son obligation de pointage et devait donc être entendu immédiatement sur sa volonté de quitter la France, puis, compte tenu du refus opposé, sur son placement en rétention.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la nécessité d'une assistance de l'interprète par l'intermédiaire de moyens de télécommunication, le premier président a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 7 juillet 2018, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. N...
Il est fait grief à la décision attaquée D'AVOIR ordonné la prolongation de la rétention de M. N... dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire ;
AUX MOTIFS QUE «la cour considère que c'est par une analyse circonstanciée et des motifs pertinents qu'il convient d'adopter que le premier juge a statué sur les moyens d'irrégularité et de nullité soulevés devant lui et repris en cause d'appel, étant ajouté, sur le moyen relatif à l'atteinte au droit résultant de l'intervention d'un interprète par téléphone et qui ne serait pas inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Orléans, que si effectivement Mme W... L... ne figure pas sur cette liste, pour l'année 2018, il n'en demeure pas moins que, d'une part, l'intéressé ne rapporte pas la preuve que l'intervention téléphonique de cet interprète a porté atteinte à ses droits, et que, d'autre part, aucun éléments du dossier ne vient établir que l'interprète aurait mal traduit les dires des gendarmes et de l'intéressé, ainsi que les droits notifiés dans le cadre de son placement en rétention et ce, alors qu'il apparaît que l'étranger a été entendu librement et sans contrainte, le 3 juillet 2018, de 14.45 à 15 h 20 et s'est clairement exprimé sur sa volonté de ne pas quitter le territoire national, avant de se voir notifier ses droits, dans le cadre de son placement en rétention, à 16 heures, ce qui confirme que jusqu'alors, il était « libre de ses mouvements », le procès-verbal dressé à 15 h 20 précisant que « les services de la préfecture du Loiret allaient prendre à son encontre une mesure de rétention avec un placement au [...] » ; il en résulte que s'il n'est pas démontré que l'interprète qui est intervenu par téléphone figure sur l'une des listes prévues à l'article L. 111-9 du ceseda, il n'est toutefois pas contestable que Q... N... a signé les procès-verbaux d'audition et de placement en rétention administrative et n'a donc allégué aucun grief spécifique à l'encontre de cet interprétariat ; en outre, la nécessité du recours à l'interprétariat par téléphone résultait de ce que l'intéressé s'était présenté volntairement le 3 juillet 2018 à 14 h 30 dans le cadre de son obligation de pointage et que les gendarmes devaient donc l'entendre immédiatement sur sa volonté de quitter la France, puis compte tenu du refus opposé, sur son placement en rétention ; ce moyen sera donc rejeté ; il convient, en conséquence, de confirmer l'ordonnance attaquée » ;
ET AUX MOTIFS PARTIELLEMENT ADOPTES QUE « il a été procédé à l'audition de l'intéressé et la notification de l'arrêté de placement avec les droits afférents, par le truchement d'un interprète en langue sri-lankaise dont l'identité et la qualité sont mentionnés en tête du procès-verbal : Mme L... W..., expert près la cour d'appel d'Orléans ; que cette diligence répond aux prévisions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la nécessité de recourir à l'interprétariat par téléphone n'étant pas, dans ce cadre juridique, subordonné à l'impossibilité pour l'interprète de se déplacer, mais découlant de la seule circonstance que l'interprète ne se tenait pas dans les locaux de la gendarmerie à la disposition de l'agent notificateur ; que la qualité d'expert de l'interprète était par soi une garantie de la qualité de l'assistance qui a été apportée à l'intéressé lors de son audition et de la notification de la décision de placement en rétention et des droits afférents ; au surplus, l'intéressé ne rapporte pas la preuve qu'il a été causé, du fait de l'irrégularité qu'il invoque une atteinte à ses droits, au sens de l'article L. 552-13 du Ceseda » ;
1°) ALORS QUE l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication qu'en cas de nécessité ; que celle-ci résulte de l'impossibilité pour un interprète de se déplacer ; qu'en considérant que la nécessité de recourir à l'interprétariat par téléphone n'était pas subordonnée à l'impossibilité pour l'interprète de se déplacer, mais découlait de la seule circonstance que l'interprète ne se tenait pas dans les locaux de la gendarmerie à la disposition de l'agent notificateur, le délégué du premier président a violé l'article L. 111-8 du Ceseda ;
2°) ALORS QUE l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication qu'en cas de nécessité ; qu'en énonçant que la nécessité du recours à l'interprétariat par téléphone résultait de ce que l'intéressé s'était présenté volontairement le 3 juillet 2018 à 14 h 30 dans le cadre de son obligation de pointage et que les gendarmes devaient donc l'entendre immédiatement sur sa volonté de quitter la France, puis compte tenu du refus opposé, sur son placement en rétention, le délégué du premier président a statué par des motifs impropres à caractériser la nécessité d'un interprétariat par téléphone et ainsi violé l'article L. 111-8 du Ceseda ;
3°) ALORS QUE l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication en cas de nécessité ; dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration ; que la méconnaissance de cette exigence porte nécessairement atteinte aux droits de l'étranger ; qu'aucun grief ne doit donc être prouvé ; que la cour d'appel a relevé qu'il n'était pas démontré que l'interprète qui est intervenu par téléphone figurait sur l'une des listes prévues à l'article L. 111-8 du ceseda ; qu'en énonçant, pour écarter toutefois le moyen tiré de ce que l'interprète ne figurait pas sur l'une des listes visées par la loi, que l'étranger n'avait allégué aucun grief spécifique à l'encontre de cet interprétariat et qu'il ne rapporterait pas la preuve qu'il a été causé, du fait de l'irrégularité qu'il invoque une atteinte à ses droits, le délégué du premier président a violé les articles L. 111-8 et L. 552-13 du Ceseda ;
4°) ALORS QUE, en tout état de cause, en énonçant, pour écarter le moyen tiré de ce que l'interprète n'était pas inscrit sur les listes prévues par la loi, que l'étranger ne justifiait pas d'un grief, lors même qu'il faisait état d'un grief dans ses conclusions d'appel, le délégué du premier président a dénaturé ses conclusions et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE, tout aussi subsidiairement, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication en cas de nécessité ; dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration ; qu'en énonçant, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de cette disposition que l'étranger ne justifiait pas d'un grief, sans rechercher, comme il y était invité, si ce grief ne résultait pas de son souhait, manifesté au cours de l'audition, de s'entretenir avec son avocat, le délégué du premier président a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-8 et L.552-13 du Ceseda.