LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 mars 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 240 FS-P
Pourvoi n° M 19-22.971
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
La société Système U Centrale régionale Est, société coopérative à forme anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 19-22.971 contre l'arrêt rendu le 3 juillet 2019 par la cour d'appel de Riom (3e chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Finamur, société anonyme, dont le siège est [...] ,
2°/ à la société CMCIC Lease, société anonyme, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Cevede, société anonyme,
4°/ à la société Jacmar, société civile immobilière,
toutes deux ayant leur siège [...] ,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Système U Centrale régionale Est, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Cevede, de la société Jacmar, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Finamur, de la société CMCIC Lease, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, M. Jobert, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 3 juillet 2019), par acte authentique du 11 août 2006, la société Cevede et la société civile immobilière Jacmar, détenues par les consorts M... , ont cédé aux sociétés Finamur et CMCIC lease les parcelles d'assiette d'un hypermarché exploité sous l'enseigne Super U, moyennant régularisation au profit de la société Jacmar d'un contrat de crédit-bail immobilier pour une durée de quinze années.
2. La société Cevede ayant, le 11 juin 2007, notifié sa décision de prendre l'enseigne Carrefour, la société coopérative Système U centrale régionale Est (la société Système U) a assigné les sociétés Finamur, CMCIC lease, Cevede et Jacmar en nullité de la vente et en substitution dans les droits des acquéreurs, pour violation de son droit de préemption sur l'immobilier des points de vente inscrit dans les articles 9 de ses statuts et 19 de son règlement intérieur, auxquels avaient adhéré la société Cevede, ainsi que M. et Mme M... .
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Système U fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ qu'il appartient en toutes circonstances à tout acquéreur professionnel, dès lors qu'il a connaissance de l'existence d'un droit de préférence, de s'informer sur les intentions de son bénéficiaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que les sociétés CMCIC Lease et Finamur, professionnels des opérations immobilières, savaient que le réseau de la société Système U-Est était protégé par l'existence d'un droit de préférence ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter ses demandes, qu'il appartenait à la société Système U-Est d'apporter la preuve de leur connaissance de son intention de se prévaloir de ce droit et qu'elle ne pouvait valablement leur reprocher un manque de précaution à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1382 du même code dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ qu'il appartient en toutes circonstances à tout acquéreur professionnel, dès lors qu'il a connaissance de l'existence d'un droit de préférence, de s'informer sur les intentions de son bénéficiaire ; qu'à défaut de pouvoir en
justifier, il doit être présumé avoir eu connaissance de l'intention du bénéficiaire de ce droit de l'exercer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que les sociétés CMCIC Lease et Finamur, professionnels des opérations immobilières, savaient que le réseau de la société Système U-Est était protégé par l'existence d'un droit de préférence ; qu'en retenant néanmoins qu'il appartenait à cette dernière d'apporter la preuve de leur connaissance de son intention de se prévaloir de ce droit et que cette preuve ne pouvait être inférée de l'obligation pour ces professionnels du financement immobilier de s'informer, la société Système U-Est ne pouvant valablement leur reprocher un manque de précaution à cet égard, pour en déduire que, faute pour la société Système U-Est d'établir cette connaissance, ses demandes devaient être rejetées, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil, devenu l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. D'une part, ayant énoncé à bon droit qu'il incombe au bénéficiaire d'un droit de préférence et de préemption qui sollicite l'annulation de la vente et sa substitution dans les droits du tiers acquéreur de rapporter la double preuve de la connaissance, par celui-ci, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, la cour d'appel a exactement retenu qu'il ne pouvait être reproché aux crédits-bailleurs, professionnels du financement immobilier, de s'être abstenus de procéder à des vérifications autres que celles opérées au fichier immobilier.
5. D'autre part, ayant relevé que le projet des consorts M... et de leurs sociétés de transférer l'hypermarché en recourant à un crédit-bail immobilier sur les parcelles concernées était connu de la société Système U, qui avait reconnu y avoir, dans un premier temps, prêté son concours, et que seul le groupe Carrefour avait été mis en garde, par la bénéficiaire du pacte, des conséquences d'une violation de son droit de préemption concernant les offres préalables de vente des droits sociaux et des fonds de commerce, la cour d'appel en a souverainement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu'il n'était pas prouvé que les sociétés CMCIC lease et Finamur étaient informées de la volonté de la société Système U d'exercer son droit de préemption sur les terrains vendus.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Système U aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Système U et la condamne à payer aux sociétés Finamur et CMCIC lease la somme globale de 3 000 euros et aux sociétés Cevede et Jacmar la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour la société Système U Centrale régionale Est.
En ce que l'arrêt attaqué, par confirmation du jugement dont appel, a rejeté la demande d'annulation des actes de cession immobilière du 11 août 2006 et de l'ensemble des actes subséquents et a débouté la société Système U Centrale Régionale Est de toute autre demande plus ample ou contraire ;
Aux motifs sur l'existence d'une fraude et d'une collusion frauduleuse avec les crédits-bailleurs que la société Système U-Est reproche aux sociétés Cevede et Jacmar par un concert frauduleux avec les crédits-bailleurs, d'avoir par les actes de cession des parcelles constituant l'assiette de l'hypermarché de Cusset aux sociétés CMCIC Lease et Finamur, puis par la mise en crédit-bail des mêmes parcelles consenties par ces deux sociétés au bénéfice de la SCI Jacmar, constatés par les actes du 11 août 2006, soustraits les actifs immobiliers soumis à son droit de préférence, sans l' en avoir avertie, et ce au mépris du droit de préemption qui lui était reconnu par les statuts de la coopérative et son règlement intérieur.
Elle en tire pour conséquence qu'elle doit être substituée aux acquéreurs des biens cédés en fraude de ses droits.
En droit, si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir (en ce sens Cass. Chambre mixte, 26 mai 2006, Bull. 2006, Ch. mixte, no 4, ou encore Cass. Civ. 3ème, 31 janvier 2007, Bull. 2007, III, no 16).
Il incombe ainsi au bénéficiaire d'un droit de préférence et de préemption, de rapporter cette double preuve.
En l'espèce, le comportement fautif des sociétés Cevede et Jacmar à l'égard de la société Système U-Est, établi par la sentence arbitrale, ne peut être sujet à plus ample discussion et, eu égard aux usages en cours dans la grande distribution pour assurer la protection des réseaux de vente du fait de leur caractère stratégique pour cette activité, l'argumentation développée par la société coopérative selon laquelle les crédits bailleurs, professionnels des opérations immobilières, savaient que son réseau était protégé par l'existence d'un droit de préférence, mérite d'être approuvée.
En revanche, le fait que les sociétés CMCIC Lease et Finamur connaissaient sa propre intention de s'en prévaloir, ne saurait, contrairement à ce qui est soutenu par la société Système U-Est, être valablement inféré de l'absence, dans l'acte authentique dressé par Me G... le 11 août 2006, d'une clause type relative à l'absence d'un droit de préemption, et de l'obligation pour ces professionnels du financement immobilier de s'informer.
Il apparaît, en effet, que le projet des consorts M... et de leurs sociétés de transférer l'hypermarché, soumis à la CEP le 23 novembre 2006, était connu de la société Système U-Est qui reconnaît d'ailleurs y avoir, dans un premier temps, prêté son concours avant que les relations entre les parties ne se détériorent.
En outre, dans un contexte où il est effectif que le droit de préemption ne faisait l'objet d'aucune publicité, il est démontré par les attestations de M. K... L..., ancien chargé d'affaires au Crédit Agricole, dont la société Finamur est une filiale (pièce n° 20) et de M. K... Y..., maître d'oeuvre de l'opération d'agrandissement (pièce n° 21) qu'en 2005 et 2006, le projet de transfert de l'hypermarché a donné lieu à plusieurs réunions en présence d'un chef de projet de la société Système U-Est. Et, s'il ressort de l'attestation de M. L... que d'autres organismes de crédit-bail que les sociétés intimées étaient présents à ces réunions (Ucabail et la filiale de crédit-bail de la société Lyonnaise de Banque), la société Système U-Est ne pouvait ignorer qu'un tel moyen de financement était envisagé par ses cocontractants, et qu'il pouvait s'avérer prudent de prendre toutes précautions utiles à ce sujet.
Ainsi, alors qu'il existait, comme l'indique la société Système U-Est, courant 2005 et début 2006, d'intenses négociations entre les parties relatives à la prise en charge par la société coopérative de la pénalité infligée aux sociétés Cevede et Mocrixa en suite de leur départ du groupement Intermarché, la société Système U-Est, qui n'ignorait pas la possibilité d'un financement du transfert au moyen d'un crédit-bail immobilier, ne peut valablement reprocher aux créditsbailleurs un manque de précaution dont elle a elle-même fait preuve, et de s'être abstenus de procéder à des vérifications autres que celles opérées au fichier immobilier.
Dès lors c'est à bon escient, que ne se livrant pas à une inversion de la charge de la preuve incombant à la société Système U-Est, les premiers juges - qui ont relevé que si le groupe Carrefour avaient été mis en garde des conséquences d'une violation de ses droits par la société Système U-Est, il n'en avait pas été de même des crédits-bailleurs - ont considéré qu'il n'était pas prouvé que les sociétés CMCIC Lease et Finamur étaient informées de la volonté de la société coopérative d'exercer son droit de préemption (arrêt attaqué, p. 14 et 15) ;
1°/ Alors qu'il appartient en toutes circonstances à tout acquéreur professionnel, dès lors qu'il a connaissance de l'existence d'un droit de préférence, de s'informer sur les intentions de son bénéficiaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que les sociétés CMCIC Lease et Finamur, professionnels des opérations immobilières, savaient que le réseau de la société Système U-Est était protégé par l'existence d'un droit de préférence ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter ses demandes, qu'il appartenait à la société Système U-Est d'apporter la preuve de leur connaissance de son intention de se prévaloir de ce droit et qu'elle ne pouvait valablement leur reprocher un manque de précaution à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1382 du même code dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ Et alors qu'il appartient en toutes circonstances à tout acquéreur professionnel, dès lors qu'il a connaissance de l'existence d'un droit de préférence, de s'informer sur les intentions de son bénéficiaire ; qu'à défaut de pouvoir en justifier, il doit être présumé avoir eu connaissance de l'intention du bénéficiaire de ce droit de l'exercer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel relève que les sociétés CMCIC Lease et Finamur, professionnels des opérations immobilières, savaient que le réseau de la société Système U-Est était protégé par l'existence d'un droit de préférence ; qu'en retenant néanmoins qu'il appartenait à cette dernière d'apporter la preuve de leur connaissance de son intention de se prévaloir de ce droit et que cette preuve ne pouvait être inférée de l'obligation pour ces professionnels du financement immobilier de s'informer, la société Système U-Est ne pouvant valablement leur reprocher un manque de précaution à cet égard, pour en déduire que, faute pour la société Système U-Est d'établir cette connaissance, ses demandes devaient être rejetées, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil, devenu l'article 1353 du code civil.