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19/06/2024 | FRANCE | N°22DA00597

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 19 juin 2024, 22DA00597


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société OGF a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'annuler la convention de délégation de service public relative à l'exploitation des crématoriums de Rouen et de Petit-Quevilly conclue par la métropole Rouen Normandie avec la société des Crématoriums de France, et, à titre subsidiaire, de résilier cette convention de délégation de service public.



Par un jugement n° 1903542 du 11 janvier 2022, le tribunal administrat

if de Rouen a prononcé la résiliation de cette convention avec un effet différé au 1er décembre 2022.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société OGF a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, d'annuler la convention de délégation de service public relative à l'exploitation des crématoriums de Rouen et de Petit-Quevilly conclue par la métropole Rouen Normandie avec la société des Crématoriums de France, et, à titre subsidiaire, de résilier cette convention de délégation de service public.

Par un jugement n° 1903542 du 11 janvier 2022, le tribunal administratif de Rouen a prononcé la résiliation de cette convention avec un effet différé au 1er décembre 2022.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 11 mars 2022 sous le n° 22DA00597, et un mémoire en réplique enregistré le 14 février 2023, la métropole Rouen Normandie, représentée par Me Chocron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 janvier 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société OGF devant le tribunal administratif de Rouen ;

3°) de mettre à la charge de la société OGF une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il omet de se prononcer sur les moyens tirés de l'irrégularité de l'offre remise par la société OGF en tant que celle-ci a engagé une négociation sur le régime de responsabilité du concessionnaire et la liste des prestations figurant dans le cahier des charges, pourtant considérés comme des caractéristiques minimales par cette société ;

- les premiers juges ne pouvaient, sans contradiction de motifs, retenir l'impossibilité pour la société des crématoriums de France de proposer une modification de la formule d'indexation des tarifs prévue à l'article 43.5 du cahier des charges, tout en admettant la possibilité d'une telle modification pour la société OGF en ce qui concerne le montant maximal de la redevance fixée à l'article 47 ;

- l'autorisation de proposer des modifications du projet de contrat, prévue aux article 6 et 8, auraient dû conduire les premiers juges à interpréter de la même façon les articles 43.5 et 47 ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit dès lors que l'offre initiale de la société des crématoriums de France présentait une irrégularité non substantielle qui pouvait faire l'objet d'une régularisation avant l'établissement de son offre finale et que l'administration n'était pas tenue de préciser, dans le règlement de consultation, les conditions et caractéristiques minimales de la concession de service public ;

- contrairement à ce que soutient la société OGF, les stipulations des articles 43, 5.1 et 9.2 du cahier des charges ne constituent pas des caractéristiques minimales du contrat, mais de simples besoins et exigences qui, conformément au règlement de consultation et alors même qu'aucune réponse n'était attendue de leur part, pouvaient faire l'objet de modifications par les candidats pour être intégrées, à l'issue des négociations, dans le contrat final ;

- aucune négociation n'a porté sur les stipulations de l'article 43.5 du cahier des charges dès lors que la société des crématoriums de France a régularisé son offre afin de rétablir un terme fixe d'au moins 15 % dans sa formule d'indexation ;

- les modalités de rémunération du concessionnaire prévues à l'article 43 du cahier des charges pouvaient faire l'objet de négociations ;

- les stipulations des articles 5.1 et 9.2 du projet de contrat, qui déterminent respectivement l'étendue de la responsabilité du concessionnaire et le régime des biens de la concession, ne constituent pas des caractéristiques minimales et pouvaient être modifiées dans le cadre de la négociation ;

- la société OGF, qui avait proposé de modifier ces mêmes articles 5.1 et 9.2 dans son offre, n'a souffert d'aucune rupture d'égalité ;

- à supposer que la part fixe minimum d'indexation prévue par l'article 43.5 du cahier des charges soit considérée comme une condition et caractéristique minimale, l'offre de la société des crématoriums de France pouvait être régularisée sur ce point dès lors que l'irrégularité était sans influence sur la comparaison entre les offres et le choix des candidats admis à participer à la négociation, et que cette irrégularité ne faisait pas obstacle à ce que soit appréciée la conformité de l'offre aux exigences du cahier des charges ;

- tous les candidats ont présenté des formules d'indexation dont les charges ont évolué entre l'offre initiale et l'offre finale, de sorte qu'aucune rupture dans l'égalité de traitement entre les candidats ne peut être alléguée ;

- la société OGF, dont l'offre initiale incluait une part fixe maximale supérieure au montant prévu à l'article 47 du cahier des charges, aurait dû être écartée comme irrégulière, de sorte qu'elle n'a subi aucune rupture d'égalité ;

- la société des crématoriums de France pouvait modifier le cahier des charges en proposant dans son offre initiale le reversement intégral à l'administration des recettes perçues dans le cadre de la distribution d'énergie dans les réseaux puis, après négociation sur cette base, inclure ce reversement dans son offre finale ;

- la société OGF, dont l'offre initiale proposait la mise en place d'un site cinéraire non prévu par le cahier des charges, aurait dû être écartée comme irrégulière, de sorte qu'elle n'a subi aucune rupture d'égalité ;

- la société OGF, qui ne peut invoquer que les vices d'ordre public et les manquements aux règles de passation en rapport direct avec son éviction, n'est pas recevable à contester les modifications apportées au contrat tel qu'il a été conclu ;

- les modifications apportées au projet de contrat à la suite des négociations menées entre la société des crématoriums de France et la Métropole Rouen Normandie n'ont pas modifié de manière irrégulière et excessive l'économie générale du contrat de concession dès lors que les candidats étaient préalablement informés de la possibilité de modifier le cahier des charges et n'ont donc souffert d'aucune discrimination, que les modifications retenues aux articles 5.1, 5.4, 9.2, 25.1 et 53 ont une portée limitée et que ces modifications sont justifiées par l'intérêt du service ;

- les irrégularités alléguées par la société OGF, qui se rapportent au régime des biens de la concession, à la responsabilité du délégataire et aux modalités de facturation de la salle des cérémonies, ne font pas obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat et peuvent faire l'objet d'une mesure de régularisation ;

- à supposer fondé l'un des moyens soulevés par la société OGF se rapportant à la régularité de l'offre initiale et de l'offre finale de la société des crématoriums de France ou aux négociations engagées avec cette société, il appartiendra à la juridiction de prononcer la résiliation du contrat de concession avec un effet différé de dix-huit mois.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2022, la société OGF, représentée par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Métropole Rouen Normandie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la requérante sont inopérants ou ne sont pas fondés ;

- les mentions des articles 5.1, 5.3, 9.2 et 25.1 du cahier des charges n'appellent aucune réponse de la part des candidats et constituent donc des caractéristiques minimales exclues de la négociation ;

- la société des crématoriums de France a proposé, pour la détermination des tarifs, une part fixe minimum d'indexation contraire à l'article 43.5 du cahier des charges qui ne pouvait être régularisée dans le cadre de la négociation ;

- la société des crématoriums de France ne pouvait prévoir dans son offre initiale le reversement intégral à l'administration des recettes perçues dans le cadre de la distribution d'énergie dans les réseaux puis, après négociation sur cette base, inclure ce reversement dans son offre finale ;

- la société attributaire a été autorisée à apporter des adaptations aux articles 5.1, 9.3 et 53 du cahier des charges, qui modifient l'équilibre financier du projet de contrat, ne sont pas justifiées par l'intérêt du service et présentent un caractère discriminatoire ;

- aucun motif d'intérêt général ne fait obstacle à l'annulation ou à la résiliation du contrat.

Par une ordonnance du 9 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 27 février 2023, à 12 heures.

II. Par une requête enregistrée le 16 mars 2022 sous le n° 22DA00617, la société des crématoriums de France, représentée par Me Seyfritz, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 janvier 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société OGF devant le tribunal administratif de Rouen ;

3°) de mettre à la charge de la société OGF une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ne pouvaient se référer aux dispositions de l'article 25 du décret du 1er février 2016, en application desquelles les offres ne respectant pas les conditions et caractéristiques minimales sont éliminées, dès lors que ces dispositions relèvent du domaine de la loi ;

- l'irrégularité concernant la part fixe minimale de la formule d'indexation entachait sa seule offre initiale, était non substantielle, ne relevait pas des conditions et caractéristiques minimales de la concession de service public et pouvait faire l'objet d'une régularisation dans le cadre de la négociation, lui permettant de remettre une offre finale régulière ;

- elle pouvait proposer le reversement intégral à l'administration des recettes perçues dans le cadre de la distribution d'énergie dans les réseaux puis, après négociation sur cette base, inclure ce reversement dans son offre finale puis dans le contrat de concession ;

- l'offre de la société OGF était elle-même irrégulière en tant qu'elle incluait une redevance d'un montant supérieur aux prévisions de l'article 47 du projet de contrat, de telle sorte que ses moyens étaient inopérants ;

- la société OGF ne justifie d'aucun intérêt lésé en rapport direct avec son éviction ;

- l'administration n'était pas tenue de préciser les conditions et caractéristiques minimales dans les documents du marché ;

- les modifications apportées au contrat de concession ne sont pas irrégulières et ne présentent pas de caractère excessif.

Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2022, la métropole Rouen Normandie, représentée par Me Chocron, demande à la cour d'annuler le jugement du 11 janvier 2022, de rejeter la demande présentée par la société OGF devant le tribunal administratif de Rouen et de mettre à la charge de la société OGF une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle invoque les mêmes moyens que ceux qui sont exposés ci-dessus, sous la requête n° 22DA00597.

La requête a été communiquée à la société OGF qui n'a pas présenté d'observations.

Par une ordonnance du 9 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 27 février 2023, à 12 heures.

III. Par une requête enregistrée le 16 mars 2022 sous le n° 22DA00618, la société des crématoriums de France, représentée par Me Seyfritz, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 janvier 2022 en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative et de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la société OGF en application de l'article L. 761-1 du même code.

Elle soutient que les moyens soulevés dans la requête enregistrée sous le n° 22DA00617 sont sérieux, de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif.

Par deux mémoires enregistrés les 22 août 2022 et 29 mars 2023, la métropole Rouen Normandie, représentée par Me Chocron, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 janvier 2022 en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société OGF une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés dans les requêtes enregistrées sous les n° 22DA00597 et 22DA00617 sont sérieux, de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif ;

- un nouveau contrat de concession a été conclu à compter du 1er décembre 2022, en exécution du jugement attaqué.

La requête a été communiquée à la société OGF qui n'a pas présenté d'observations.

IV. Par une requête enregistrée le 7 avril 2022 sous le n° 22DA00774, et des mémoires enregistrés les 7 octobre 2022 et 29 mars 2023, la métropole Rouen Normandie, représentée par Me Chocron, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 janvier 2022 en application des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative et de mettre une somme de 4 000 euros à la charge de la société OGF en application de l'article L. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés dans les requêtes enregistrées sous les n° 22DA00597 et 22DA00617 sont sérieux, de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif ;

- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;

- un nouveau contrat de concession a été conclu à compter du 1er décembre 2022, en exécution du jugement attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2022, la société OGF, représentée par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la métropole Rouen Normandie.

Elle soutient que l'exécution du jugement attaqué n'entraîne aucune conséquence difficilement réparable, que les moyens ne sont pas sérieux et donc pas de nature à entraîner l'annulation de ce jugement.

Par un mémoire enregistré le 25 octobre 2022, la société des crématoriums de France, représentée par Me Seyfritz, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 janvier 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Chocron, représentant la métropole Rouen Métropole, et de Me Marson, représentant la société des crématoriums de France.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 12 mars 2018, le conseil de la métropole de Rouen Normandie a décidé de déléguer, à compter du 1er octobre 2019, l'exploitation des deux crématoriums situés à Rouen et Petit-Quevilly par la voie d'une seule concession de service public. La société OGF, concessionnaire en place pour le crématorium de Rouen, la société des crématoriums de France et la société PFM Berthelot ont répondu à l'avis d'appel public à la concurrence publié le 27avril 2018. A l'issue d'une phase de négociation avec ces trois candidats, la métropole de Rouen Normandie a attribué la concession de service public à la société des crématoriums de France, par un contrat signé le 31 juillet 2019. La société OGF a saisi le tribunal administratif de Rouen en vue d'obtenir l'annulation ou à la résiliation de cette convention. Par un jugement du 11 janvier 2022, le tribunal administratif a fait droit à cette requête en prononçant la résiliation de la convention avec un effet différé au 1er décembre 2022. Par quatre requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un même arrêt, la métropole de Rouen Normandie et la société des crématoriums de France relèvent appel de ce jugement et demandent qu'il soit sursis à son exécution dans l'attente que la cour se prononce sur leur appel.

Sur le moyen retenu par le tribunal administratif de Rouen :

2. Aux termes de l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : " Les autorités concédantes peuvent organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par voie réglementaire. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". Aux termes de l'article 25 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : " Les offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation sont éliminées (...) ".

3. Pour annuler la convention de concession conclue entre la métropole Rouen Normandie et la société des crématoriums de France, le tribunal administratif a relevé que l'article 43.5 du projet de contrat exigeait, dans la formule d'indexation permettant d'actualiser le prix facturé aux usagers, un terme fixe d'au moins 15 %. Estimant que ce taux minimal constituait une condition minimale de l'offre, il en a déduit que l'offre initiale de la société, qui prévoyait un terme fixe de 2 %, ne pouvait faire l'objet d'une négociation, ainsi qu'il est prévu à l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016, et aurait dû être éliminée conformément aux dispositions précitées de l'article 25 du décret du 1er février 2016. Toutefois, si les dispositions précitées des articles 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 et 25 du décret du 1er février 2016 interdisent au pouvoir adjudicateur de porter la négociation sur les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation et de retenir une offre méconnaissant ces conditions et caractéristiques, elles ne font obstacle ni à ce que le candidat régularise son offre afin de la rendre conforme à cet égard, ni à ce que ce candidat et le pouvoir adjudicateur négocient ensuite sur la base de l'offre ainsi régularisée. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'analyse des offres initiales et du rapport relatif au choix du délégataire, que la société des crématoriums de France a procédé à la régularisation de son offre initiale en portant le terme fixe de la formule d'indexation de 2 % à 15 %, que la négociation a porté sur l'offre ainsi régularisée et que le contrat signé prévoit ce terme fixe de 15 % prescrit par l'article 43.5 du projet. Par suite, la métropole Rouen Normandie et la société des crématoriums de France sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé la convention de concession de service public pour l'exploitation des crématoriums de Rouen et Petit-Quevilly en raison d'une méconnaissance des dispositions précitées des articles 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 et 25 du décret du 1er février 2016.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société OGF à l'encontre de cette convention de concession de service public.

Sur les autres moyens soutenus par la société OGF devant le tribunal administratif de Rouen :

5. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

6. En premier lieu, les dispositions précitées des articles 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 et 25 du décret du 1er février 2016 n'imposent pas à l'autorité concédante d'indiquer aux candidats les caractéristiques minimales sur lesquelles il ne peut y avoir de négociation.

7. En deuxième lieu, l'article 47 du projet de contrat transmis aux candidats prévoyait le versement par le concessionnaire d'une redevance à la métropole Rouen Normandie, comportant une part fixe de 360 000 euros et une part variable correspondant à un pourcentage à déterminer du chiffre d'affaires global annuel. La société OGF soutient que l'offre de la société des crématoriums de France incluait le reversement à la métropole de l'intégralité des recettes tirées par le concessionnaire de la vente de l'énergie issue de l'activité du crématorium

de Petit-Quevilly, proposition qualifiée de non conforme au cahier des charges dans le rapport d'analyse des offres initiales. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'offre de la société des crématoriums de France comportait également l'engagement de verser, au titre de la redevance, une part fixe de 360 000 euros et une part variable correspondant à 23 % du chiffre d'affaires annuel ou à 35 % lorsque ce chiffre d'affaires serait supérieur au montant prévisionnel, conformément aux prescriptions de l'article 47 du projet de contrat. Il ne ressort ni du rapport relatif au choix du délégataire, dont les conclusions ne font pas état du versement complémentaire proposé par la société des crématoriums de France au titre des recettes résultant de la vente d'énergie, ni des stipulations du contrat litigieux sur la redevance, fixées à l'article 46, qui ne prévoient aucun versement complémentaire, que la négociation aurait porté sur celui-ci ou que l'offre de la société attributaire portant sur ce versement aurait été retenue. Dans ces conditions, la société OGF n'est pas fondée à soutenir que la métropole Rouen Normandie a méconnu les articles 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 et 25 du décret du 1er février 2016 sur ce point.

8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les articles 5.1 et 9.3 du projet de contrat régissant les conditions dans lesquelles la responsabilité du concessionnaire peut être engagée en raison d'un dysfonctionnement du service ont été modifiés au cours de la négociation entre la métropole Rouen Normandie et la société des crématoriums de France, afin d'exclure toute responsabilité de la société attributaire lorsque le dommage trouve son origine dans une malfaçon, un défaut ou le non-respect de la réglementation affectant l'un des ouvrages mis à disposition du concessionnaire par la métropole. Estimant que la métropole Rouen Normandie et la société attributaire avaient ainsi porté la négociation sur des caractéristiques minimales indiquées dans le dossier de consultation, puis conclu le contrat en méconnaissance de ces caractéristiques, la société OGF soutient avoir proposé des investissements pour un montant de 708 000 euros afin de faire face aux risques induits par le régime de responsabilité prévu dans le dossier de consultation, alors que la société des crématoriums de France s'est trouvée en mesure de limiter le montant de ses investissements à la somme de 141 000 euros en raison de la modification apportée aux articles 5.1 et 9.3 du projet de contrat. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société OGF a accepté, au cours de la négociation avec la métropole, de réduire le montant de ses investissements à la somme de 114 000 euros, à un niveau équivalent à celui des investissements envisagés par la société des crématoriums de France, fixés à 101 000 euros au terme du processus de négociation. Dans ces conditions, la société OGF n'établit pas que le manquement reproché à la métropole Rouen Normandie et à la société attributaire présente un rapport direct avec son éviction.

9. En quatrième lieu, l'article 9.2 du projet de contrat prévoyait que " tous les biens dont le montant d'acquisition ou de réalisation est inscrit dans les comptes de la concession sont automatiquement considérés comme des biens de retour ". Relevant la disparition de cette mention dans le contrat litigieux, la société OGF soutient que la métropole Rouen Normandie et la société attributaire ont irrégulièrement modifié les caractéristiques minimales du contrat en réduisant le nombre de biens de retour et en assurant au concessionnaire, qui a prévu d'acquérir des équipements pour un montant de 108 000 euros, d'en obtenir l'indemnisation comme des biens de reprise au terme de la concession. Toutefois, il ressort de l'article 9.2 précité, non modifié sur ce point dans le contrat signé entre les parties, que sont considérés comme des biens de retour " l'ensemble des immobilisations incorporelles et corporelles acquises, réalisées, aménagées ou renouvelées par le concessionnaire avec l'accord de la métropole en début ou en cours de contrat et nécessaires à l'exécution du service ". Dès lors, il n'est pas démontré que la suppression de la mention se rapportant aux biens inscrits dans les comptes de la concession aurait eu pour effet d'exclure du régime des biens de retour les équipements dont la société des crématoriums de France a proposé l'acquisition. Par suite, la société OGF n'établit pas que la modification de l'article 9.2 aurait avantagé la société des crématoriums de France, conduisant à son éviction de la procédure de passation du contrat.

10. En cinquième lieu, l'article 25.1 du projet de contrat prévoyait que le versement de la redevance de crémation donnait droit aux familles à l'utilisation d'une salle de cérémonie. Relevant la disparition de cette mention dans le contrat litigieux, dont l'annexe 4 prévoit une redevance complémentaire de 90 euros pour l'utilisation de la salle de cérémonie, au-delà de quinze minutes d'occupation, la société OGF en déduit que la métropole Rouen Normandie et la société des crématoriums de France ont méconnu l'une des caractéristiques minimales imposées par le dossier de consultation. Toutefois, il ressort des rapports d'analyse des offres initiales et du choix du délégataire que tous les candidats ont présenté des offres incluant une redevance complémentaire au-delà de quinze minutes d'utilisation de la salle de cérémonie. Dans ces conditions, le manquement relevé par la société OGF, qui n'a pas fait obstacle à la comparaison de son offre avec celle de la société attributaire, est sans rapport avec le motif de son éviction.

11. En sixième lieu, les stipulations figurant à l'article 5.4 du projet de contrat, prévoyant la possibilité de résilier le contrat dans les conditions de l'article 57 du projet en cas d'évènement de force majeure, ont été modifiées dans le contrat final, dont l'article 5.4 prévoit qu'à défaut d'accord amiable sur la poursuite de l'exploitation et l'indemnisation du concessionnaire, la métropole Rouen Normandie et la société attributaire peuvent demander au juge administratif de résilier le contrat. Si l'article 5.4 ne se réfère plus à l'article 57 qui, dans le projet de contrat, fixaient les conditions dans lesquelles pouvait intervenir une résiliation pour un motif d'intérêt général, ses stipulations ont été intégralement reprises à l'article 56 du contrat litigieux, permettant à la métropole Rouen Normandie de résilier le contrat à tout moment pour un motif d'intérêt général. Dans ces conditions, la modification apportée à l'article 5.4, qui a seulement eu pour objet d'aménager la possibilité d'un accord amiable avant d'envisager une résiliation, n'a pas pour effet, contrairement à ce que soutient la société OGF, de réduire le pouvoir de la métropole de résilier le contrat en cas de force majeure. Par suite, la société OGF n'est pas fondée à soutenir que cette modification constitue un manquement en lien avec son éviction.

12. En dernier lieu, la société OGF reproche à la métropole Rouen Normandie d'avoir modifié l'article 54 du contrat fixant le régime des pénalités auquel est soumis le concessionnaire en cas d'inexécution du contrat, en ajoutant des causes exonératoires en cas de force majeure, de pollution ou contamination des terrains dont le concessionnaire n'a pas été informé avant la signature du contrat, de faute de la métropole et de défaut non fautif d'une autorisation administrative. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la modification ainsi apportée au contrat, restée sans conséquence sur les conditions dans lesquelles les offres des candidats ont été comparées, présente un rapport direct avec l'éviction de la société OGF.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que la métropole Rouen Normandie et la société des crématoriums de France sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rouen a résilié la convention de concession de service public pour l'exploitation des crématoriums de Rouen et Petit-Quevilly.

Sur les conclusions tendant au sursis à l'exécution du jugement :

14. Par le présent arrêt, la cour statue sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 janvier 2022. Par suite, les conclusions des requêtes enregistrées sous les n° 22DA00618 et 22DA00774 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la métropole Rouen Normandie et de la société des crématoriums de France, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes dont la société OGF demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société OGF la somme totale de 4 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions, à verser aux requérantes pour un montant de 2 000 euros chacune.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les requêtes de la métropole Rouen Normandie et de la société des crématoriums de France enregistrées sous les n° 22DA00618 et 22DA00774.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 1903542 du 11 janvier 2022 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par la société OGF devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La société OGF versera, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros à la métropole Rouen Normandie et une somme de même montant à la société des crématoriums de France.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole Rouen Normandie, à la société des crématoriums de France et à la société OGF.

Délibéré après l'audience publique du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 22DA00597, 22DA00617, 22DA00618, 22DA00774


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00597
Date de la décision : 19/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP LONQUEUE-SAGALOVITSCH- EGLIE RICHTERS & ASSOCIÉS;SCP LONQUEUE-SAGALOVITSCH- EGLIE RICHTERS & ASSOCIÉS;SCP LONQUEUE-SAGALOVITSCH- EGLIE RICHTERS & ASSOCIÉS;SCP LONQUEUE-SAGALOVITSCH- EGLIE RICHTERS & ASSOCIÉS;SEYFRITZ

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-19;22da00597 ?
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