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21/11/2018 | FRANCE | N°17PA02757

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 21 novembre 2018, 17PA02757


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... Z... a saisi le Tribunal administratif de Paris de trois demandes tendant :



- sous le numéro 1519580 à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des affaires étrangères et du développement international a refusé de faire droit à sa demande en date du 16 août 2015 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle ;



- sous le numéro 1519670 à l'annulation de l'arrêté en date du 5 juin 2015 par lequel le ministre des affaires étr

angères et du développement international a décidé qu'il devait " rompre son établissement ", à compter du 31 mai...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Z... a saisi le Tribunal administratif de Paris de trois demandes tendant :

- sous le numéro 1519580 à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des affaires étrangères et du développement international a refusé de faire droit à sa demande en date du 16 août 2015 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle ;

- sous le numéro 1519670 à l'annulation de l'arrêté en date du 5 juin 2015 par lequel le ministre des affaires étrangères et du développement international a décidé qu'il devait " rompre son établissement ", à compter du 31 mai 2015, l'a placé en congé annuel pour une durée correspondant à ses droits à congés, sans que cette durée n'excède 25 jours ouvrés, et l'a affecté à l'issue de cette période pour plus de six mois en administration centrale ;

- sous le numéro 1519595 à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme

de 998 400 euros, assortie des intérêts au taux légal en réparation des préjudices qu'il estime avoir subi du fait de l'illégalité de l'arrêté susmentionné du 5 juin 2015, de l'illégalité de la décision de refus d'octroi de la protection fonctionnelle, et de l'absence de proposition, de la part de son administration, d'un poste sur lequel il pourrait être affecté.

Par un jugement n°s 1519580/5-3, 1519670/5-3, 1519595/5-3 du 7 juin 2017, le Tribunal administratif de Paris, après avoir joint ces demandes, y a partiellement fait droit en annulant l'arrêté ministériel du 5 juin 2015 et la décision implicite portant refus d'octroi de la protection fonctionnelle, et en condamnant l'Etat à verser à M. Z... une somme de 3 500 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2015 ainsi qu'une somme

de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés respectivement les 7 août 2017,

20 février et 30 octobre 2018, avant clôture, M. Z..., représenté par la SCP Jérôme Rousseau et Guillaume Tapie, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement n°s 1519580/5-3, 1519670/5-3, 1519595/5-3 du 7 juin 2017 en tant que le Tribunal administratif de Paris n'a que partiellement fait droit à ses demandes ;

2°) d'ordonner que soient versées au débat contradictoire les deux notes en délibéré produites par l'Etat les 18 et 19 mai 2017 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 442 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularités faute de comporter la signature des magistrats qui l'ont rendu ; il l'est également faute de statuer sur ses conclusions tendant à la capitalisation des intérêts ; c'est irrégulièrement que les premiers juges ont fait courir les intérêt de la sommes allouée à compter de l'introduction du recours, au motif qu'il n'était pas justifié de la date de réception par l'administration de la demande préalable, alors qu'il demandait le bénéfice des intérêts à compter du 31 juillet 2015, et que l'administration ne contestait pas avoir reçu sa demande à cette date ; le tribunal a méconnu le principe du contradictoire ;

- ce jugement est entaché de contradiction de motifs dès lors que les premiers juges ont écarté comme non probants les rapports mettant en cause sa manière de servir, tout en considérant que les critiques sur sa manière de servir étaient avérées ;

- c'est à tort que le tribunal a refusé de l'indemniser, au motif que la décision de changement d'affectation dont il a prononcé l'annulation n'était entachée que d'un vice de procédure ;

- l'arrêté du 5 juin 2015 l'affectant en administration centrale constituait une sanction déguisée dont l'illégalité fautive ouvrait droit à réparation ;

- c'est au prix d'une appréciation inexacte des faits et d'une erreur de droit que le tribunal a estimé qu'il n'avait pas subi de préjudice du fait du caractère rétroactif de son placement en congé annuel, déniant ainsi le fait qu'il s'était acquitté de ses services durant la période en cause entre le lundi 1er et le vendredi 5 juin 2015 ; il pouvait prétendre à la réparation à ce titre d'un préjudice moral ;

- l'arrêté du 5 juin 2015 n'a pas été pris dans l'intérêt du service et le ministre ne pouvait légalement décider d'une mutation d'office ; contrairement aux affirmations du jugement, il avait été informé par lettre du 26 mai 2015 de la présidence de l'OSCE, en la personne du ministre des affaires étrangères du pays exerçant la présidence, du renouvellement de ses fonctions de chef de mission par l'OSCE pour une durée de deux mois du 1er juin au 31 juillet 2015; il aurait été prolongé dans ses fonctions pour une nouvelle année s'il n'avait fait l'objet d'une opération de dénigrement et de diffamation ; aucun élément ne corrobore l'allégation du ministre des affaires étrangères selon laquelle une décision avait été prise par l'OSCE en ce qui concerne la fermeture de sa mission à Bakou ; une telle décision n'est intervenue que postérieurement à l'intervention de l'arrêté litigieux ;

- l'arrêté attaqué prononçant la rupture de son établissement apparaît d'autant plus entaché d'erreur manifeste d'appréciation que l'absence de poste vacant sur lequel il aurait pu être affecté à l'ambassade de France à Bakou n'est pas établie et que son retour en administration centrale ne répondait à aucun besoin réel, aucune mission ne lui ayant été confiée à son retour ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que, dès lors qu'il avait été placé en disponibilité sur sa demande, il ne pouvait se prévaloir d'un préjudice de carrière et d'un préjudice financier ; c'est en effet, en raison de l'inertie fautive de l'administration qu'il a formé une telle demande ;

- l'indemnité allouée par le tribunal au titre du préjudice moral est insuffisante ; il a subi, du fait de la fin anticipée de deux mois de sa mission, un préjudice matériel et financier évalué

à 25 390 euros ;

- à ce préjudice s'ajoute un préjudice de carrière correspondant à la perte d'une chance sérieuse d'être prolongée, au-delà du 31 juillet 2015, pour deux années supplémentaires, soit jusqu'au 31 juillet 2017, dans sa mission auprès de l'OSCE à Bakou.

Par des mémoires en défense enregistrés les 22 mars et 20 juin 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête, à titre principal comme irrecevable, et à titre subsidiaire comme non fondée.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable, comme l'étaient les demandes de première instance, faute de satisfaire aux exigences de motivation posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 16 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 30 octobre 2018 à 12 h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,

- et les observations de Me Rousseau, avocat de M. Z....

Une note en délibéré a été déposée le 7 novembre 2018 pour le requérant.

1. Considérant que M. Z..., conseiller des affaires étrangères, a été mis à disposition de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de 2007 à 2009 ; qu'ultérieurement, par un arrêté du 19 février 2014, il a été affecté auprès de l'ambassade de France à Bakou et mis à disposition de l'OSCE en qualité de chef de mission, coordonnateur de projets de l'OSCE à Bakou ; que la dernière convention de mise à disposition conclue par l'intéressé avec la présidence de l'OSCE et les autorités françaises expirait le 31 mai 2015 ; que le ministre des affaires étrangères a refusé de prolonger sa mise à disposition ; que par un arrêté du 5 juin 2015, ledit ministre a décidé, d'une part, que M. Z..., devait " rompre son établissement " pour être placé en position de congés annuels prévue par l'article 23 du décret n° 67-290 du 28 mars 1967 à compter du 31 mai 2015 pour une durée correspondant à ses droits à congés, sans que cette durée ne puisse excéder 25 jours ouvrés, et, d'autre part, qu'il serait affecté, à l'issue de cette période de congés, en administration centrale pour une période d'au moins six mois ; que par ailleurs, M. Z... a sollicité le 16 août 2015 le bénéfice de la protection fonctionnelle, prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, qui lui a été implicitement refusée ; que M. Z... a saisi le Tribunal administratif de Paris de trois demandes tendant respectivement, à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des affaires étrangères a refusé de faire droit à sa demande du 16 août 2015 tendant à l'octroi de la protection fonctionnelle, à l'annulation de l'arrêté susmentionné du 5 juin 2015 et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 998 400 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 5 juin 2015, de l'illégalité du refus implicite d'octroi de la protection fonctionnelle, et de l'absence de proposition, de la part de son administration, d'un poste sur lequel il pourrait être affecté ; que par un jugement n°s 1519580/5-3, 1519670/5-3, 1519595/5-3 du 7 juin 2017, le Tribunal administratif de Paris, après avoir joint ces demandes, y a partiellement fait droit en annulant l'arrêté ministériel du 5 juin 2015 ainsi que la décision implicite portant refus d'octroi de la protection fonctionnelle et en condamnant l'Etat à verser à M. Z... une somme de 3 500 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2015, date de l'enregistrement de sa demande indemnitaire au greffe du tribunal ; que M. Z..., relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à ses conclusions indemnitaires ;

Sur la recevabilité de la requête et des demandes de première instance :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

3. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, la requête de M. Z..., tout comme ses demandes faites devant le tribunal, contient l'exposé des faits et des moyens soulevés à l'appui des conclusions aux fins d'annulation et d'indemnisation ; que par suite, la fin de non recevoir doit être écartée comme non fondée ;

Sur la régularité du jugement :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué comporte, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier de l'audience ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le jugement méconnaîtrait ces dispositions doit être écarté ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que dans son mémoire produit devant le tribunal le

30 novembre 2015 dans le cadre de l'instance n° 1519595, M. Z... demandait la condamnation de l'Etat au paiement d'une somme de 150 000 euros majorée des intérêts de droit à compter du 31 juillet 2015 avec capitalisation des intérêts ; que les premiers juges ont estimé, au point 21 de leur jugement, que la somme qu'ils allouaient à M. Z... en réparation de l'ensemble de ses préjudices indemnisables devait être assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2015, date d'enregistrement au greffe du tribunal du recours de l'intéressé, en l'absence de preuve de la date de notification à l'administration de la demande préalable d'indemnisation ; que ce faisant, les premiers juges ont estimé que M. Z... ne justifiait pas, comme il lui appartenait selon eux de le faire, de la date de notification à l'administration de sa demande indemnitaire préalable ; qu'en retenant la date du 30 novembre 2015 et non celle du

31 juillet 2015, les premiers juges n'ont pas fondé leur décision sur un moyen relevé d'office, cela alors même que l'administration ne contestait pas avoir été destinataire d'une réclamation préalable, sans toutefois l'admettre expressément contrairement à ce que prétend le requérant, et sans, en tout état de cause, indiquer dans ses écritures avoir réceptionné ladite demande indemnitaire à une date précise, et notamment le 31 juillet 2015 ;

6. Considérant en troisième lieu, qu'ainsi que le soutient M. Z..., le tribunal s'est abstenu de statuer sur les conclusions qu'il a présentées dans ses mémoires enregistrés les

30 novembre 2015 et 30 mars 2016 dans l'instance n°1519595 et tendant à la capitalisation des intérêts afférents aux sommes demandées à titre d'indemnités ; que par suite, le jugement attaqué doit être annulé pour irrégularité en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions ;

7. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour, dans cette mesure, de se prononcer par voie d'évocation sur les conclusions de première instance tendant à la capitalisation des intérêts et, pour le surplus, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions de la requête ;

Sur le droit à indemnisation :

En ce qui concerne l'arrêté ministériel du 5 juin 2015 en tant qu'il porte affectation en administration centrale :

S'agissant la responsabilité de l'administration :

8. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " La mise à disposition est la situation du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce des fonctions hors du service où il a vocation à servir. / Elle ne peut avoir lieu qu'avec l'accord du fonctionnaire et doit être prévue par une convention conclue entre l'administration d'origine et l'organisme d'accueil. / Le fonctionnaire peut être mis à disposition auprès d'un ou de plusieurs organismes pour y effectuer tout ou partie de son service " ; que l'article 6 du décret du 16 septembre 1985 susvisé précise : " La durée de la mise à disposition (...) est fixée dans l'arrêté prévu à l'article 2 du présent décret. Elle ne peut excéder trois ans mais est renouvelable (...). La mise à disposition peut prendre fin avant le terme qui lui a été fixé à la demande (...) du ministre ayant autorité sur le corps auquel appartient le fonctionnaire " ; qu'en vertu de ces dispositions, la durée de la mise à disposition d'un agent est circonscrite à celle de la convention conclue avec l'organisation d'accueil et l'agent n'a pas de droit au renouvellement de sa mise à disposition à l'expiration de cette durée ;

9. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 susvisée: " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté " ;

10. Considérant, en premier lieu, que M. Z... a été affecté à l'ambassade de France à Bakou, pour exercer les fonctions de chargé de mission auprès de l'OSCE ; qu'il est constant que le contrat de mise à disposition conclu entre le requérant, l'OSCE et le ministre des affaires étrangères, arrivait à son terme le 31 mars 2015 et que les autorités françaises ont décidé de ne pas renouveler cette mise à disposition ; qu'en effet si, par lettre du 26 mai 2015 l'OSCE avait informé le requérant de sa décision de prolonger pour deux mois, du 1er juin au 31 juillet 2015, ses fonctions auprès de l'organisation, il ne résulte pas de l'instruction qu'une convention en ce sens, telle qu'exigée par les dispositions de l'article 41 de la loi du 11 janvier 1984, ait été conclue entre les parties en cause ; que la fin de la mise à disposition de M. Z... n'imposant pas, à elle seule, qu'il fût nécessairement et automatiquement mis fin à son affectation à l'ambassade de France à Bakou, il appartenait au ministre des affaires étrangères de décider du lieu d'affectation de l'intéressé en conséquence de la fin des missions de ce dernier auprès de l'OSCE ; que les premiers juges ont annulé l'arrêté du 5 juin 2015, en tant qu'il procédait au changement d'affectation d'office de l'intéressé, au motif que cette mutation d'office avait été prononcée en considération de la personne sans être précédée de la formalité instituée par l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, l'administration française n'ayant pas mis le requérant à même de demander la communication de son dossier et de faire connaître à l'autorité compétente ses observations préalablement à l'édiction de l'arrêté attaqué portant changement d'affectation de l'ambassade de Bakou vers l'administration centrale ;

11. Considérant, en second lieu, que M. Z... soutient que la décision de mutation en administration centrale contenue dans l'arrêté ministériel du 5 juin 2015 est non seulement intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière pour les motifs analysés ci-dessus, mais constitue également une sanction déguisée infligée illégalement ; que toutefois, aucun élément du dossier ne corrobore cette allégation et ne permet de tenir pour établie l'intention de l'autorité ministérielle de sanctionner M. Z..., par cet arrêté, pour des agissements qu'elle aurait regardés comme des fautes disciplinaires ; que le requérant n'est pas fondé à soutenir que son changement d'affectation serait constitutif d'une sanction disciplinaire déguisée qui lui aurait été infligée irrégulièrement et sans justification et que ce changement revêtirait de ce fait également un caractère fautif de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'en effet, il résulte de l'instruction que l'arrêté affectant l'intéressé à l'issue de sa période de congés en administration centrale est intervenu en raison, d'une part, de la fin de sa mise à disposition auprès de l'OSCE à Bakou et de l'absence de poste vacant sur lequel il aurait pu être affecté sur place à l'ambassade de France, et, d'autre part, compte tenu de l'intérêt s'attachant à la préservation de bonnes relations entre la France et l'OSCE ; que cet arrêté n'a dès lors pas été pris pour un motif étranger à l'intérêt du service ; qu'enfin, cet arrêté n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'octroi au requérant de la protection fonctionnelle prévue à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dont M. Z... n'avait d'ailleurs pas sollicité le bénéfice à cette date, et dont l'octroi n'aurait pas nécessairement impliqué son maintien dans ses fonctions de chef de mission ; qu'eu égard au contexte particulier de l'espèce, et alors même que M. Z... aurait été victime d'une cabale injustifiée visant à le discréditer, le ministre des affaires étrangères ne peut être regardé comme ayant agi pour des motifs étrangers à l'intérêt du service en décidant de ne pas le maintenir à son poste de chef de mission à Bakou et de le changer d'affectation ;

S'agissant du préjudice indemnisable à ce titre :

12. Considérant qu'il résulte de ce qui est dit aux points 10 et 11 ci-dessus que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que M. Z... n'était pas fondé à être indemnisé des préjudices financiers et de carrière qu'il soutient avoir subis du fait de son changement d'affectation, fondé dans son principe ; qu'en revanche, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. Z..., du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de consulter son dossier et de présenter ses observations avant l'intervention de cette mesure, a subi un préjudice moral dont il est en droit d'obtenir réparation ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 5 000 euros ;

En ce qui concerne l'arrêté ministériel du 5 juin 2015 en tant qu'il place M. Z... en congé annuel à compter du 31 mai 2015 :

13. Considérant que le requérant était, à l'issue de sa mise à disposition, en position régulière d'activité ; que son placement en congé annuel ne pouvait légalement être décidé le 5 juin 2015 avec effet rétroactif à compter du 31 mai 2015, alors que l'intéressé, qui n'était pas en situation d'absences irrégulières entre le 31 mai au 5 juin 2015, devait être regardé comme ayant, sur cette période, effectué son service ; que dans ces conditions, la rétroactivité illégale de cet arrêté, sanctionnée par le tribunal, est à l'origine, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, d'un préjudice moral dont M. Z... est en droit d'obtenir réparation et dont il sera fait une juste appréciation en le fixant à 500 euros ;

En ce qui concerne le refus de protection fonctionnelle :

14. Considérant que les premiers juges ayant, dans leur jugement, estimé que M. Z... avait été illégalement privé du bénéficie de la protection fonctionnelle qu'il sollicitait sur le fondement de l'article 11 de la loi du 11 juillet 1983, ont annulé le refus implicite opposé à sa demande et condamné l'administration à indemniser le préjudice moral résultant de la faute commise de ce fait ; qu'eu égard aux circonstances dans lesquelles M. Z... , victime de tentatives de destabilisation et objet de graves accusations, s'est vu illégalement refuser la protection qu'il sollicitait, celui-ci est fondé à soutenir que le préjudice moral subi directement de ce fait a été mal apprécié dans sa nature et son étendue par le tribunal administratif et à obtenir que l'indemnité accordée à ce titre soit fixée à la somme de 7 000 euros ;

En ce qui concerne l'absence de proposition d'un nouvel emploi :

15. Considérant que tout fonctionnaire en activité est en droit de recevoir une affectation correspondant à son grade, dans un délai raisonnable ; qu'il résulte de l'instruction qu'après la fin de sa mise à disposition, le 31 mai 2015, M. Z... a été affecté en administration centrale et placé en situation dite d'inter-affectation dans l'attente d'un poste correspondant à son grade ; que s'il soutient que l'administration l'a fautivement maintenu sans emploi durant une longue période, il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de son grade et du faible nombre d'emplois correspondant à celui-ci, le délai de trois mois écoulé entre le 31 mai 2015 et le 8 septembre 2015, date à laquelle M. Z... a obtenu, sur sa demande, son placement en disponibilité, aurait été excessif et constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Z... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a limité à 3 500 euros la somme mise à la charge de l'Etat en réparation des préjudices ouvrant droit à indemnisation qu'il a subis, et à obtenir que cette somme soit portée, ainsi que cela résulte des points 12 à 14 ci-dessus, à la somme totale de 12 500 euros ;

Sur les intérêts :

17. Considérant que les intérêts moratoires, qui sont dus lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue à l'administration ou, à défaut, à compter de la saisine du juge ;

18. Considérant que, si M. Z... a versé au dossier du tribunal la copie d'un courrier daté du 31 juillet 2015 destiné au ministre des affaires étrangères dans lequel il sollicite le retrait de l'arrêté susmentionné du 5 juin 2015 et le réexamen de sa situation ainsi que la prise de toute mesure utile afin de réparer tous les préjudices dont il a été victime du fait notamment de cet arrêté, préjudice dont, au demeurant, il ne précisait pas le montant, il ne justifie, ni par la production d'un accusé de réception postal ni par tout autre moyen, de la date de réception par l'administration de sa demande préalable ; que dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que les intérêts afférents aux sommes qui lui sont allouées à titre d'indemnité devraient courir non pas à compter de la date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif de sa demande, soit le

30 novembre 2015, mais à compter d'une date antérieure ;

Sur la capitalisation des intérêts :

19. Considérant, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : "Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière" ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que M. Z... a demandé la capitalisation des intérêts devant le tribunal administratif par mémoires des 30 novembre 2015 et

30 mars 2016 ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'à ces dates les intérêts, qui ont commencé à courir le 30 novembre 2015, avaient couru depuis moins d'un an ; que dès lors, cette demande ne pouvait prendre effet qu'à compter du 30 novembre 2016, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ; que les intérêts dus sur la somme de 12 500 euros accordée par le présent arrêté seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter du 30 novembre 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que M. Z... est seulement fondé à obtenir l'annulation du jugement attaqué pour irrégularité, en tant qu'il n'a pas statué sur ses conclusions à fin de capitalisation des intérêts, la condamnation de l'Etat à lui verser, à titre d'indemnité, la somme de 12 500 euros, assortie des intérêts à compter du 30 novembre 2015 et de la capitalisation de ceux-ci à compter du 30 novembre 2016 et la réformation, en ce qu'il a de contraire au présent arrêté dudit jugement ; que dans les circonstance de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative de Paris ;

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. Z... une somme de 12 500 euros à titre de réparation des préjudices subis par ce dernier.

Article 2 : La somme mentionnée à l'article 1er portera intérêts à compter du 30 novembre 2015. Les intérêts échus le 30 novembre 2016 sur cette somme seront capitalisés pour porter eux mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n°s 1519580/5-3, 1519670/5-3,

1519595/5-3 en date du 7 juin 2017 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions à fin de capitalisation des intérêts présentées par M. Z..., et réformé pour le surplus, en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. Z... une somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de la requête de M. Z... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Z... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- Mme Magnard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 21 novembre 2018.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre de l'Europe et des affaires étrangères en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 17PA02757


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA02757
Date de la décision : 21/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SCP JEROME ROUSSEAU & GUILLAUME TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2018-11-21;17pa02757 ?
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