LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 octobre 2024
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 998 F-B
Pourvois n°
A 23-10.488
B 23-10.489
C 23-10.490
D 23-10.491
E 23-10.492
F 23-10.493
H 23-10.494
G 23-10.495
J 23-10.496 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 OCTOBRE 2024
1°/ M. [R] [O], domicilié [Adresse 7],
2°/ M. [C] [K], domicilié [Adresse 11],
3°/ M. [F] [J], domicilié [Adresse 9],
4°/ M. [Z] [A], domicilié [Adresse 1],
5°/ M. [D] [P], domicilié [Adresse 5],
6°/ Mme [I] [L], domiciliée [Adresse 4],
7°/ Mme [S] [T], épouse [N], domiciliée [Adresse 3],
8°/ M. [X] [T], domicilié [Adresse 6],
9°/ M. [C] [H], domicilié [Adresse 10],
ont formé respectivement les pourvois n° A 23-10.488, B 23-10.489, C 23-10.490, D 23-10.491, E 23-10.492, F 23-10.493, H 23-10.494, G 23-10.495 et J 23-10.496 contre neuf arrêts rendus le 7 novembre 2022 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale, A), dans les litiges les opposant :
1°/ à la société La Française des Jeux, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8],
2°/ à la société Franmarie, société en nom collectif,
3°/ à la société Jacklot, société en nom collectif,
ces deux dernières ayant leur siège [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, chacun, à l'appui de leur pourvoi, un moyen identique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de M. [O] et des huit autres salariés, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société La Française des Jeux, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat des sociétés Franmarie et Jacklot, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 23-10.488, 23-10.489, 23-10.490, 23-10.491, 23-10.492, 23-10.493, 23-10.494, 23-10.495 et 23-10.496 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 7 novembre 2022) et les productions, MM. [O], [K], [J], [A], [P] et [H] ont été engagés, en qualité d'attaché commercial, par M. [W], entre 1995 et 2006. Mme [L] ainsi que et M. et Mme [T] ont été engagées, par le même employeur, respectivement, en qualité de femme de ménage en 2000, de cadre adjointe de direction en 1985 et d'employé de commerce en 1992.
3. M. [W] est décédé le 3 février 2009 et, dans l'attente d'un repreneur, les contrats de travail de ses salariés se sont poursuivis avec le GIE Région centre auquel il appartenait en vue d'exercer son activité de courtier mandataire de la société La Française des Jeux (la société FDJ) à laquelle il était lié par un contrat d'exploitation en vue de la distribution des produits de jeux sur le département du Loiret et une partie de celui du Loir-et-Cher.
4. Le 24 juillet 2012, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale afin de faire reconnaître l'existence d'un lien de travail direct entre eux et la société FDJ et obtenir sa condamnation au paiement de rappels de salaires.
5. A compter du 15 octobre 2012, le secteur géographique auparavant exploité par M. [W] a été confié à la société Franmarie, créée à cet effet, et les contrats de travail des salariés lui ont été transférés.
6. Au cours de l'année 2014, la société Franmarie, ayant modifié le lieu de son activité, a proposé à Mme [L] une modification de son contrat de travail qu'elle a refusée. La salariée a été licenciée pour motif économique par lettre du 2 juillet 2014.
7. Le 30 mars 2015, la société FDJ a signé avec la société Jacklot un contrat prévoyant l'exploitation par cette dernière du secteur géographie repris par la société Franmarie puis, par avenants du 13 juin 2016, il a été prévu que les salariés exercent leurs fonctions pour le compte de la société Jacklot.
8. Par lettres du 13 juillet 2016, Mme [T] et MM. [H] et [T] ont été licenciés pour motif économique.
9. Le 24 novembre 2017, la société FDJ et la société Jacklot ont signé un nouveau contrat restreignant, à compter du 29 janvier 2018, son secteur géographique aux seuls départements du Loiret et de l'Eure-et-Loir et la société Jacklot a décidé de regrouper l'ensemble de ses activités sur un seul site.
10. MM. [O], [P], [K], [A] et [J] ont accepté le contrat de sécurisation professionnelle qui leur a alors été proposé et la rupture de leur contrat de travail est intervenue le 4 janvier 2018.
11. Les sociétés Franmarie et Jacklot ont été mises en cause dans l'instance prud'homale initialement engagée à l'encontre de la société FDJ. Les salariés ont contesté les ruptures de leur contrat de travail à l'occasion d'une autre instance prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
12. Les salariés font grief aux arrêts de dire que la société FDJ n'avait pas la qualité d'employeur ni celle de coemployeur avec les sociétés Franmarie et Jacklot et de les débouter de leur demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice pour comportement déloyal, alors :
« 1°/ que la qualité de coemployeur d'une société doit être reconnue, même en l'absence de lien de subordination direct avec le salarié, dès lors qu'il existe une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de l'employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de ce dernier ; que les salariés faisaient valoir et justifiaient par les pièces produites que les intermédiaires exerçaient leur activité avec des moyens matériels exclusivement fournis par La Française des Jeux, qu'il s'agisse des matériels et programmes informatiques, des véhicules ou des matériels distribués aux détaillants ; qu'ils faisaient aussi valoir et justifiaient que La Française des Jeux fixait les priorités commerciales et déterminait les plannings d'activité de ses intermédiaires, qu'elle leur fixait des objectifs dont elle contrôlait la réalisation chaque semaine et qu'elle intervenait constamment pour leur imposer la marche à suivre auprès de chaque détaillant ; qu'ils exposaient en outre que la formation des salariés était assurée directement par La Française des Jeux ; qu'en se bornant à énoncer que ''les pièces produites relèvent des relations commerciales librement consenties, une domination d'une société sur une autre étant admise sans pour autant caractériser le coemploi dès lors qu'elle n'aboutit pas à une immixtion permanente de la première sur la gestion économique de la seconde qui se trouverait ainsi privée de toute autonomie'' et qu'elle ne constatait ''aucun élément d'immixtion dans la gestion sociale des sociétés Franmarie puis Jacklot, notamment en matière de recrutement ou de départ, de salaires, primes ou commissions, régimes sociaux, évolution de carrière'', sans se prononcer sur les éléments concrets invoqués par les salariés établissant l'immixtion de La Française des Jeux dans la gestion économique et sociale des intermédiaires, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les salariés faisaient valoir que les licenciements économiques intervenus en 2016 étaient la conséquence de la réorganisation commerciale décidée par La Française des Jeux entraînant la résiliation par cette dernière du contrat conclu avec la société Franmarie et l'attribution de ses secteurs à la société Jacklot ainsi que du contrat de courtier mandataire de cette dernière à la société Jacklot et la conclusion avec celle-ci d'un nouveau contrat d'intermédiaire et que les licenciements intervenus en 2018 étaient la conséquence d'une nouvelle réorganisation décidée par La Française des Jeux, se traduisant par la conclusion d'un nouveau contrat de prestataire avec la société Jacklot comportant une réduction du secteur d'activité et une diminution de la rémunération de l'intermédiaire ; qu'en se bornant à affirmer que les intermédiaires restaient libres de contracter avec la société La Française des Jeux puis de gérer et d'administrer librement leur société, sans rechercher si la situation de monopole de La Française des Jeux et l'exclusivité à laquelle étaient tenus les intermédiaires qui leur interdisait de travailler pour d'autres clients les privaient de toute autonomie dans la gestion de leur entreprise lorsque la société La Française des Jeux décidait d'une nouvelle organisation les contraignant à s'y adapter en procédant au licenciement de leur personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
13. Hors l'existence d'un lien de subordination, une société ne peut être qualifiée de coemployeur, à l'égard du personnel employé par une autre société, que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre elles et l'état de domination économique que peuvent engendrer leur relation commerciale, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.
14. Les arrêts relèvent d'abord, que la situation de monopole d'Etat de la société FDJ sur la commercialisation des jeux de loterie et de paris sportifs, son organisation centralisée et la coordination des actions commerciales et l'étroitesse des liens commerciaux qu'il induit ne permettent pas en eux-mêmes de retenir l'existence d'un coemploi, les intermédiaires, bien que tenus de se conformer à la politique commerciale définie contractuellement, restant libres de contracter ou non avec la société FDJ, puis de gérer et d'administrer librement leur société ou entité et que s'il y a des intérêts communs, les activités de la société FDJ et des sociétés Franmarie et Jacklot sont distinctes et il ne peut être retenu une confusion de direction, les gérants de sociétés ou les courtiers conservant la maîtrise de l'organisation de leur propre structure et particulièrement la gestion sociale de leur personnel.
15. Ils précisent ensuite que l'utilisation de matériels sérigraphiés FDJ ou de cartes de visite mentionnant les liens avec la Française des Jeux est compatible avec le statut de mandataire de cette société et les fonctions de représentation de la société FDJ auprès des détaillants.
16. Ils retiennent encore que l'immixtion invoquée et les pièces produites relèvent des relations commerciales librement consenties, une domination d'une société sur une autre étant admise sans pour autant caractériser le coemploi dès lors qu'elle n'aboutit pas à une immixtion permanente de la première sur la gestion économique de la seconde qui se trouverait ainsi privée de toute autonomie et constatent, d'une part, qu'aucun élément d'immixtion dans la gestion sociale des sociétés Franmarie puis Jacklot, notamment en matière de recrutement ou de départ, de salaires, primes ou commissions, régimes sociaux, évolution de carrière, pas même occasionnelle, la clause du contrat d'exploitation du 15 octobre 2012 précisant que la gestion du personnel reste l'affaire de l'intermédiaire n'étant pas utilement contredite par les salariés, d'autre part, que la société Franmarie a décidé au printemps 2014, de réduire la surface de son local commercial en transférant l'activité d'un site à un autre et de réorganiser la partie administrative de son activité par un regroupement en Eure-et-Loir, ce dont elle a informé ses salariés avant de leur proposer des modifications de leurs contrats de travail le 23 avril 2014 dans le cadre de l'article L. 1222-6 du code du travail.
17. Ils concluent que ces décisions, dont rien n'établit qu'elles résultent de la volonté de la société FDJ de capter les prérogatives de la société Franmarie attachées à sa condition d'employeur qu'elle-même revendique, attestent que le mandataire est resté décideur de son organisation et de ses choix de gestion et n'a pas perdu son autonomie.
18. Ils retiennent également qu'il n'est pas davantage démontré que l'organisation d'une réunion le 25 septembre 2017 par la société FDJ ayant pour objet la mise en place d'une nouvelle forme d'organisation commerciale entraînant l'application de nouvelles procédures commerciales et financières auprès des intermédiaires et des détaillants aurait emporté immixtion dans la gestion sociale de l'entreprise.
19. De ces seules énonciations et constatations, dont il résultait tant l'absence de toute immixtion de la société FDJ dans la gestion économique et sociale des sociétés Franmarie et Jacklot que la préservation de leur autonomie d'action, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu déduire que la société FDJ n'avait pas la qualité de coemployeur.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne MM. [O], [K], [J], [A], [P], [H] et [T] ainsi que Mmes [L] et [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille vingt-quatre.