Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 17 mars 2006 sous le n° 06MA00816 présentée par la SCP d'avocats Causse-Delpech, pour la COMMUNE DE BEZIERS, représentée par son maire en exercice et pour la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, dont le siège social est 10 Boulevard Alexandre Oyon à Le Mans (72030) ;
La COMMUNE DE BEZIERS et la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES demandent à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 005091 du 21 décembre 2005 du Tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à leur demande tendant à la condamnation de la SA Julien Viticulture à payer les sommes de 646 446,67 euros (4 240 412,20 F) TTC à la COMMUNE DE BEZIERS et de 625 040,97 euros (4 100 000 F) TTC à la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, assorties des intérêts légaux ;
2°/ de condamner la SA Julien Viticulture à verser les sommes, assorties des intérêts légaux, de 646 446,67 euros à la COMMUNE DE BEZIERS et de 625 040,97 euros à la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES à compter du 24 mars 2000 ;
3°/ de condamner la SA Julien Viticulture à verser à chacune des requérantes une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mai 2008 ;
- le rapport de Mme Chenal Peter, rapporteur ;
- les observations de Me Alary, avocat, pour la SA Julien Viticulture ;
- et les conclusions de Mme Steck-Andrez, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'à la suite d'un incendie qui a frappé l'usine de traitement des ordures ménagères de Beziers le 26 juin 1998, la COMMUNE DE BEZIERS et sa compagnie d'assurances, la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, ont demandé au Tribunal administratif de Montpellier de condamner la SA Julien Viticulture, qui effectuait des travaux ce jour là sur le site, à leur verser respectivement les sommes de 646 446,67 euros et de 625 040,97 euros, au titre des travaux nécessaires pour remettre en marche son unité de traitement , de ses pertes d'exploitation et des frais consécutifs ; que par jugement en date du 21 décembre 2005, le Tribunal administratif de Montpellier a condamné la SA Julien Viticulture à verser à la COMMUNE DE BEZIERS la somme de 289 789,59 euros TTC et à la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES la somme de 105 440,74 euros TTC, lesdites sommes étant assorties des intérêts légaux à compter du 25 octobre 2000 ; que la COMMUNE DE BEZIERS et la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes ; que les conclusions de la SA Julien Viticulture doivent être regardées comme étant des conclusions d'appel incident, demandant à la Cour de la décharger du paiement de toute indemnité aux requérantes ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que le jugement attaqué a été notifié à la COMMUNE DE BEZIERS et à la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES le 25 janvier 2006 et que la requête a été enregistrée au greffe de la Cour le 17 mars 2006, dans le délai de deux mois fixé à l'article R.811-2 du code de justice administrative ; que la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête doit dès lors être écartée ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2132-1 du code général des collectivités territoriales : Sous réserve des dispositions du 16° de l'article L.2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune ; qu'aux termes de l'article L.2122-22 du même code : Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal ; qu'il résulte de ces dispositions que le conseil municipal peut légalement donner au maire une délégation générale pour ester en justice au nom de la commune pendant la durée de son mandat ; qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que, par délibération du 10 juillet 1995, le conseil municipal de Béziers a, sur le fondement de ces dispositions, donné au maire délégation pour agir en justice pour la durée du mandat, soit jusqu'en 2001, en reproduisant les termes du 16° de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales ; que, de la même façon, une délibération du 10 avril 2001 donne également au maire délégation pour agir en justice pour la durée de ce nouveau mandat; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que ces délégations, bien qu'elles ne définissent pas les cas dans lesquels le maire pourra agir en justice, lui ont l'une et l'autre donné qualité pour agir en justice au nom de la commune et la représenter régulièrement dans l'instance opposant la commune à la SA Julien Viticulture, tant devant le Tribunal administratif de Montpellier que devant la Cour administrative d'appel ; que par suite, la SA Julien Viticulture n'est pas fondée à soutenir que la requête est irrecevable à ce titre ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les requérantes ont présenté devant la Cour, dans le délai de recours, un mémoire d'appel qui ne constituait pas la seule reproduction de leurs mémoires de première instance et comprenait des critiques du jugement de première instance ; qu'une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; que la fin de non-recevoir opposée par la SA Julien Viticulture sur ce fondement doit être écartée ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que si les requérantes soutiennent que le rapport effectué par M. Mazabraud, produit par la SA Julien Viticulture devant le tribunal administratif aurait dû être écarté des débats, pour non respect du contradictoire, il ressort du dossier de première instance que cette pièce jointe produite par ladite société à l'appui de ses mémoires doit être considérée comme une analyse du rapport d'expertise, et ne constitue donc pas une seconde expertise ; que cette pièce a été communiquée à la commune le 13 septembre 2005 ; que les requérantes avaient donc la possibilité de formuler des observations ou critiques sur ce rapport jusqu'à la clôture de l'instruction fixée au 4 novembre 2005 ; qu'ainsi, elles ne sont pas fondées à soutenir que la procédure devant les premiers juges n'a pas respecté le principe du contradictoire et que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité pour ce motif ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise établi par l'expert désigné par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Béziers en date du 3 juillet 1998, que l'incendie qui a frappé l'usine de traitement des ordures ménagères de la ville de Béziers le 26 juin 1998 s'est déclaré au niveau du tambour de criblage n° 4, en sortie du cylindre de fermentation de cette usine, à l'endroit où les ouvriers de la SA Julien Viticulture effectuaient ce jour là des travaux de soudure ; qu'il est établi qu'un précédent départ de feu était intervenu au même endroit vers 9 h 00, les ouvriers de la SA Julien Viticulture parvenant à y mettre en fin à coups de pelle ; qu'il résulte également de ce rapport que le départ de feu à l'origine du sinistre ne pouvait ni être spontané, ni résulter d'une cause accidentelle d'origine électrique, mais qu'il provenait soit de la renaissance du premier départ, soit de la chute d'éléments en fusion résultant de l'utilisation d'un chalumeau ou d'un poste de soudure à arc, utilisés par les employés de la SA Julien Viticulture, couvant dans les restes de composts collés au tapis ; qu'eu égard à sa qualité de professionnel de travaux comportant des risques d'incendie et aux négligences des ouvriers de la SA Julien Viticulture, lesquels ont installé un tapis de protection s'étant révélé inefficace et n'ont pas pris des précautions supplémentaires après le premier départ d'incendie qu'ils avaient provoqué, lequel a été éteint manuellement, la SA Julien Viticulture doit être déclarée responsable des conséquences dommageables du sinistre qu'elle a provoqué ;
Considérant toutefois que les travaux exécutés par la SA Julien Viticulture, de 8 heures à 12 heures, nécessitaient la fermeture l'usine pour toute la journée du 26 juin 1998 et un nettoyage préalable du site où les ouvriers de cette société devaient effectuer leurs travaux ; qu'en premier lieu, il résulte du rapport de l'expert qu'un tel nettoyage n'a pas été correctement exécuté par le personnel de l'usine, le départ de feu ayant été rendu possible par la présence de déchets demeurés sur le tapis de criblage ; qu'un tel constat est corroboré par deux rapports de l'inspecteur des installations classées établis en juillet 1993 et octobre 1995 faisant état de graves négligences dans l'entretien de cette installation, laquelle était de façon permanente dans un état d'empoussièrement préjudiciable à la sécurité du personnel et du matériel ; qu'en second lieu, il ressort d'un rapport en date du 30 juin 1998 établi par le directeur général des services de la commune de Béziers qu'avant de quitter le site en fin de matinée, les ouvriers de la SA Julien Viticulture ont averti les responsables de l'UTOM du premier départ de feu ; qu'en troisième lieu, la COMMUNE DE BEZIERS n'établit pas avoir mis en place une procédure suffisante en matière de protection contre les incendies, ainsi que le prévoit notamment l'arrêté préfectoral du 3 août 1987 l'autorisant à exploiter une telle installation classée, et alors que les rapports de l'inspecteur des installations classées susmentionnés signalaient les risques d'incendies liés à une absence de nettoyage du site et à la défectuosité du matériel de lutte contre les incendies ; que la commune n'a pas non plus mis en place de plan de prévention écrit pour les travaux dangereux ni délivré de permis de feu à la SA Julien Viticulture, lequel était pourtant nécessaire dès lors que ses employés effectuaient les travaux de soudage en vertu des dispositions de l'article R. 237-8 du code du travail alors en vigueur ; que contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette exigence incombait exclusivement à la commune, en tant qu'employeur et exploitant d'une installation classée présentant des risques particuliers d'incendie ; qu'en dernier lieu, alors qu'ils avaient été informés du début d'incendie dès 13 h 30, les responsables de l'usine de traitement des ordures ménagères n'ont alerté les services d'incendie que tardivement, à 13 h 55, après avoir tenté de lutter contre le feu par leurs propres moyens, un tel retard ayant contribué à aggraver l'étendue du sinistre ; que la gravité des fautes de la COMMUNE DE BEZIERS est de nature à exonérer de 70 % la responsabilité encourue par la SA Julien Viticulture à son égard ; qu'il a lieu de réformer le jugement du Tribunal administratif de Montpellier en ce sens ;
Sur le montant des préjudices :
Considérant que la somme de 646 446,67 euros (4 240 412,20 francs TTC) réclamée par la COMMUNE DE BEZIERS, telle que chiffrée par l'expert désigné, correspond, d'une part, aux coûts de traitement des ordures ménagères dans une autre unité de traitement située à Narbonne, puis, à la suite de l'interdiction d'un tel transfert par le préfet de l'Aude, aux coûts de réalisation d'un casier de stockage dans une décharge située à Saint-Jean-de-Libron, et d'autre part, aux coûts de remise en marche provisoire de son unité de traitement, d'exhumation des déchets stockés dans le casier de stockage qu'elle a fait réaliser et, enfin, de pertes de recettes tenant à l'impossibilité de commercialisation de compost ;
Considérant que la SA Julien Viticulture conteste la réalité des préjudices pour lesquels la COMMUNE DE BEZIERS n'a pas fourni de justificatifs des dépenses correspondantes ; qu'il résulte de l'instruction qu'en particulier, la collectivité requérante ne justifie ni des coûts de location de matériel pour la confection du casier qu'elle a fait réaliser sur le site de Saint-Jean-de-Libron, ni de la réalité des travaux d'exhumation des déchets stockés dans ledit casier ; que, par suite, la COMMUNE DE BEZIERS ne saurait prétendre à une indemnisation à ce titre ; qu'en revanche, et en dépit des contestations de la SA Julien Viticulture, il résulte de l'ensemble des documents et factures annexés au rapport d'expertise que les autres chefs de préjudice doivent être considérés comme établis et apparaissent comme étant la conséquence directe du sinistre survenu le 26 juin 1998 ; qu'il y a lieu de retenir l'évaluation qui en a été faite par l'expert ; qu'après avoir déduit de cette évaluation les demandes de la commune relatives au coût de location de matériel pour la confection du casier et aux travaux d'exhumation de déchets, le montant total du préjudice indemnisable auquel peut prétendre la COMMUNE DE BEZIERS doit être évalué à 478 353 euros (3 137 789,8 F) ; que compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus fixé, il y a lieu de ramener l'indemnité que la SA Julien Viticulture est condamnée à payer à la COMMUNE DE BEZIERS à la somme de 143 506 euros ;
Considérant que, en sa qualité d'assureur de la COMMUNE DE BEZIERS, la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES demande que la SA Julien Viticulture soit condamnée à lui payer la somme de 625 040,97 euros (4 100 0000 francs) qu'elle a versée à la commune, afin de compenser d'une part, les coûts de nettoyage du site après incendie et de démolition des bâtiments sinistrés, d'autre part, les coûts de reconstruction des installations ;
Considérant qu'il convient de fixer le montant des frais de nettoyage et de démolition au montant retenu par l'expert, soit à la somme de 169 467 francs HT ; qu'afin d'estimer le coût de reconstruction de l'usine qui doit être supportée par la SA Julien Viticulture, il y a lieu de tenir compte de la vétusté de cette installation, laquelle doit s'apprécier à la date d'apparition des désordres ; que les requérantes n'établissent ni que la COMMUNE DE BEZIERS aurait effectué pour 3. 577 889 francs de travaux de rénovation de l'usine de traitement des ordures ménagères en 1996 et 1997, ni que la machinerie aurait été changée peu de temps avant ; qu'à la date de survenance de l'incendie, l'usine sinistrée était en fonctionnement depuis onze ans ; que les requérantes n'établissent pas que la durée de fonctionnement d'un tel équipement est de 25 ans ; que dès lors, la durée normale de fonctionnement de cette installation doit être fixée en l'espèce conformément à sa durée d'amortissement, dont il n'est pas contesté qu'elle est de quinze années ; que l'expert a estimé en valeur à neuf les travaux de reconstruction des installations, à 447 075,6 euros HT (2.932.624 francs HT), et que le montant indemnisable à ce titre doit être diminué des 11/15èmes ; qu'ainsi, le montant total du préjudice indemnisable auquel peut prétendre la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES doit être évalué à 119 221,16 euros ; que, eu égard au partage de responsabilité susmentionné, il y a lieu de ramener l'indemnité que la SA Julien Viticulture a été condamnée à payer à l'assureur de la COMMUNE DE BEZIERS à 30 % de cette somme, ce qui correspond à 35 766 euros HT , soit 43 134 euros TTC ;
Sur les intérêts :
Considérant que la COMMUNE DE BEZIERS et la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES demandent que leur soient accordés les intérêts sur les condamnations prononcées ; qu'il y aura donc lieu de faire droit à leurs demandes à compter de la date d'enregistrement de la requête, soit le 25 octobre 2000 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation» ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la COMMUNE DE BEZIERS et la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES doivent dès lors être rejetées ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la COMMUNE DE BEZIERS et la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES à payer à la SA Julien Viticulture une somme de 750 euros chacune au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE DE BEZIERS et de la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES sont rejetées.
Article 2 : L'indemnité de 289 789,59 euros TTC que la SA Julien Viticulture a été condamnée à verser à la COMMUNE DE BEZIERS est ramenée à 143 506 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 25 octobre 2000.
Article 3 : L'indemnité de 105 440,74 euros TTC que la SA Julien Viticulture a été condamnée à verser à la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES est ramenée à 43 134 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 25 octobre 2000.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Montpellier du 21 décembre 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La COMMUNE DE BEZIERS et la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES verseront à la SA Julien Viticulture une somme de 750 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de la SA Julien Viticulture est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE DE BEZIERS, à la société LES MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, et à la SA Julien Viticulture.
N° 06MA00816 2
sar