Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... H... et Mme K... H..., en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs Jean-Maxime H..., Pauline H... et C... H..., ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional d'Orléans ou l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 910 228 euros ainsi qu'une rente trimestrielle indexée de 25 550 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des conditions de prise en charge de Mme K... H... lors de son accouchement le 12 juin 2010 ou, subsidiairement, d'ordonner une nouvelle expertise médicale.
Par un jugement n° 1503825 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 21, 22 février 2018 et le 10 décembre 2019 M. A... H... et Mme K... H..., en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs Pauline H... et C... H..., ainsi que M. J... H..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 21 décembre 2017 ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional d'Orléans ou l'ONIAM à leur verser la somme de 910 228 euros ainsi qu'une rente trimestrielle indexée de 25 550 euros ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional d'Orléans ou de l'ONIAM les frais de l'expertise et la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le manquement au devoir d'information ouvre à la victime un droit à réparation de son préjudice d'impréparation ;
- contrairement à ce qui a été jugé en première instance, la responsabilité du centre hospitalier régional d'Orléans est engagée à raison de la faute commise par la sage-femme qui, en tardant à appeler un gynécologue-obstétricien de garde, n'a pas permis à Mme H... de bénéficier d'une césarienne avant la survenue de la rupture utérine dont elle a souffert et d'éviter ainsi les complications de son accouchement ; elle est également engagée pour un manquement de cet établissement de santé à son devoir d'information, dès lors que Mme H... n'a pas été informée du risque de rupture utérine qui s'est réalisé ;
- à titre subsidiaire, ils ont droit à la réparation de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale, la rupture utérine subie par Mme H... revêtant la nature d'un accident médical au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique puisqu'elle a été provoquée par le déclenchement médicalisé du travail ;
- ils ont droit aux indemnités suivantes : 5 000 euros au titre des dépenses de santé restées à leur charge, 5 000 euros au titre des frais divers, 758 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 511 000 euros au titre du besoin en assistance par une tierce personne, outre une rente trimestrielle de 25 550 euros indexée, 60 000 euros au titre des souffrances endurées, 30 000 euros au titre du préjudice esthétique, 28 470 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 150 000 euros au total au titre du préjudice d'affection et 120 000 euros au total au titre du préjudice d'impréparation.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 mai 2019 le centre hospitalier régional d'Orléans et la société Amtrust International Underwriters LTD, représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par M. H... et autres ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2019 l'ONIAM, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. H... et autres ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant M. H... et autres, et de Me I..., représentant le centre hospitalier régional d'Orléans et la société Amtrust International Underwriters LTD.
Considérant ce qui suit :
1. Mme K... H... a été admise le 10 juin 2010 au centre hospitalier régional d'Orléans pour y donner naissance à son troisième enfant. Dans la nuit du 11 au 12 juin, elle a souffert d'une rupture utérine. Une césarienne a été pratiquée en urgence. Son enfant C..., née en état de mort apparente à la suite d'une anoxie, reste atteinte de séquelles neurologiques importantes et de troubles du langage. M. et Mme H..., estimant que la prise en charge de Mme H... par le centre hospitalier régional d'Orléans avait été fautive, ont adressé à cet établissement de santé une demande indemnitaire qui a été rejetée par une décision expresse du 21 novembre 2014. Ils ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans d'une demande d'expertise. Par une ordonnance du 5 mars 2015, un gynécologue-obstétricien a été désigné, assisté d'un pédiatre en qualité de sapiteur. Le rapport d'expertise a été déposé le 19 septembre 2015. M. et Mme H... ont également saisi, le 18 novembre 2015, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) du Centre qui, après avoir à son tour désigné des experts, lesquels ont remis leur rapport le 13 mai 2016, a rendu un avis défavorable à toute indemnisation le 8 juin 2016. Par une demande enregistrée le 18 novembre 2015, M. et Mme H..., en leur nom propre et au nom de leurs trois enfants mineurs, C..., Pauline et Jean-Maxime, ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional d'Orléans à leur verser une indemnité de 910 228 euros et une rente trimestrielle de 25 550 euros ou, à titre subsidiaire, de mettre les mêmes sommes à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. Par un jugement du 21 décembre 2017, le tribunal a rejeté leur demande. M. et Mme H..., en leur nom propre et au nom de leurs deux enfants mineurs, ainsi que M. J... H..., devenu majeur, relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif d'Orléans, dès lors qu'il a écarté tout manquement au devoir d'information du centre hospitalier régional d'Orléans, n'avait pas à se prononcer sur le droit à réparation des requérants au titre de leur préjudice d'impréparation. Le jugement attaqué n'est donc pas entaché d'une omission d'examen de ce chef de préjudice et n'est par conséquent pas irrégulier.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne la prise en charge de Mme H... :
3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
4. Mme K... H..., qui avait accouché par voie basse de ses deux premiers enfants, a été admise le 10 juin 2010 au centre hospitalier régional d'Orléans après la rupture spontanée de la poche des eaux et alors qu'elle souffrait de contractions particulièrement douloureuses. Le 11 juin, à 10h05 du matin, il a été décidé de déclencher le travail compte tenu du laps de temps écoulé depuis la rupture de la poche des eaux et du fait que la parturiente était porteuse d'un streptocoque. Mme H... a été transférée en salle de travail à 23h et prise en charge par un maïeuticien. Le 12 juin, à 1h34 du matin, celui-ci a demandé un avis à la gynécologue-obstétricienne de garde en raison d'un ralentissement du rythme cardiaque foetal, puis a demandé son intervention vers 1h40, après que Mme H... a ressenti des signes clairs de rupture utérine. Le médecin de garde est arrivé à 1h45 et a pratiqué une césarienne en urgence. C... H... est née à 2h du matin après avoir été victime d'une anoxie qui est à l'origine des troubles neurologiques dont elle souffre aujourd'hui. Les requérants soutiennent que le maïeuticien a tardé à alerter la gynécologue-obstétricienne de garde. Ils en déduisent que la césarienne aurait pu être pratiquée avant le déclenchement de la rupture utérine et que l'anoxie dont a souffert C... aurait pu être évitée.
5. Il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions des deux collèges d'experts, que les ruptures utérines sur utérus non-cicatriciel sont très rares, difficiles à diagnostiquer, et que celle dont a souffert Mme H... ne peut être imputée au déclenchement du travail par prostaglandines, décision justifiée en l'espèce et bien conduite. Si les experts judiciaires relèvent que, s'agissant d'un troisième accouchement par voie basse long et difficile alors que les deux premiers avaient été rapides, le maïeuticien aurait dû solliciter l'avis d'un médecin de garde vers 1h du matin au plus tard, ils indiquent toutefois qu'aucun signe clinique ne permettait de prévoir la rupture utérine dont a été victime Mme H... à 1h40, de sorte qu'en tout état de cause la décision de pratiquer une césarienne n'aurait pas été prise plus tôt. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, le retard avec lequel le maïeuticien a sollicité l'avis du médecin de garde, s'il est bien constitutif d'une faute, doit être regardé comme ne présentant pas de lien de causalité direct et certain avec les complications de l'accouchement de Mme H... et donc avec les préjudices des requérants.
En ce qui concerne le devoir d'information du centre hospitalier :
6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".
7. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins, en application de ces dispositions, de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.
8. Ainsi qu'il a été dit au point 5, rien ne permettait de prévoir, au regard notamment de son état de santé et de ses antécédents, que Mme H... encourait un risque de rupture utérine à l'occasion de son accouchement programmé par voie basse. Par conséquent, le centre hospitalier régional d'Orléans n'a pas méconnu les dispositions du code de la santé publique rappelées au point 6 en ne l'informant pas d'un tel risque.
Sur l'engagement de la solidarité nationale :
9. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. ".
10. Les requérants soutiennent que le déclenchement du travail par prostaglandines est à l'origine de la rupture utérine, de sorte que celle-ci doit être regardée comme un accident médical au sens des dispositions rappelées au point précédent. Il résulte toutefois de l'instruction, en particulier des conclusions scientifiquement étayées des experts désignés par la CCI du Centre, que la rupture d'un utérus non-cicatriciel est plus fréquente en l'absence d'un déclenchement du travail par prostaglandines et qu'aucun lien de causalité ne peut donc être retenu entre les actes de soins prodigués à Mme H... pendant son accouchement et la rupture utérine, inexpliquée, dont elle a été victime. Par suite, les conditions d'engagement de la solidarité nationale n'étant pas remplies, M. H... et autres ne sont pas fondés à demander que la réparation de leurs préjudices soit mise à la charge de l'ONIAM.
11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, M. H... et autres ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande indemnitaire.
Sur les frais de l'instance :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du centre hospitalier régional d'Orléans les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 6 octobre 2015 du président du tribunal administratif d'Orléans à la somme de 1 290 euros. Le jugement attaqué sera réformé dans cette mesure.
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier régional d'Orléans la somme de 1 500 euros à verser à M. H... et autres au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le centre hospitalier.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1503825 du 21 décembre 2017 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a mis les frais de l'expertise à la charge de M. H... et autres.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. H... et autres est rejeté.
Article 3: Les frais d'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 6 octobre 2015 du président du tribunal administratif d'Orléans à la somme de 1 290 euros sont mis à la charge définitive du centre hospitalier régional d'Orléans.
Article 4 : Le centre hospitalier régional d'Orléans versera à M. H... et autres la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par le centre hospitalier régional d'Orléans au titre de ce même article sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... H..., à Mme K... H..., à M. J... H..., au centre hospitalier régional d'Orléans, à la société Amtrust International Underwriters LTD, à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher, et à l'ONIAM.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme L..., présidente assesseure,
- M. E..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 février 2020.
Le rapporteur
E. E...La présidente
N. L...
Le greffier
M. G...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00798