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26/03/2021 | FRANCE | N°20NT02934

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 26 mars 2021, 20NT02934


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier de Laval à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur les préjudices qu'il a subis en raison de l'infection nosocomiale contractée dans cet établissement de santé, et d'ordonner une expertise afin d'évaluer les frais qu'il devra exposer pour adapter son logement à son handicap.

Par une ordonnance n° 2002574 du 1er septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rej

eté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier de Laval à lui verser une provision de 100 000 euros à valoir sur les préjudices qu'il a subis en raison de l'infection nosocomiale contractée dans cet établissement de santé, et d'ordonner une expertise afin d'évaluer les frais qu'il devra exposer pour adapter son logement à son handicap.

Par une ordonnance n° 2002574 du 1er septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 septembre 2020 et 5 janvier 2021 M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Nantes du 1er septembre 2020 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Laval et la SHAM, son assureur, à lui verser une provision de 100 000 euros ;

3°) d'ordonner une expertise afin d'évaluer les frais d'adaptation de son logement ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Laval la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation du centre hospitalier de Laval à son égard est incontestable ;

- sa perte de gains professionnels actuelle, soit du 11 octobre 201 au 9 décembre 2016, date de sa consolidation, est certaine et s'élève à la somme de 20 373,77 euros ; sa perte de gains professionnels futurs est certaine et s'élève à la somme de 82 408,04 euros ; la créance de la caisse à cet égard est connue et déterminée ;

- il a subi un préjudice au titre de l'incidence professionnelle et a perdu des droits à pension de retraite ;

- il a également perdu de manière certaine la somme de 143 500 euros lors de la vente de son restaurant ;

- il a engagé des frais d'expertise pour un montant de 6 096,72 euros ;

- c'est à tort que le juge des référés a rejeté sa demande d'expertise, celle-ci étant indispensable pour lui permettre de chiffrer le montant des dépenses qu'il devra exposer pour adapter son logement.

Par un mémoire enregistré le 24 novembre 2020 l'office nationale d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du tribunal administratif de Nantes du 1er septembre

2020 en tant qu'elle a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit mis hors de cause ;

2°) de le mettre hors de cause.

Il soutient qu'il doit être mis hors de cause puisqu'il s'est acquitté de l'intégralité de son obligation envers M. D....

Par un mémoire enregistré le 11 décembre 2020 le centre hospitalier de Laval, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée aux CPAM de l'Ardèche et du Rhône, qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., né le 21 décembre 1970, a été victime d'un accident de quad le

11 avril 2010. Lors de son hospitalisation, au centre hospitalier de Laval, il a contracté une infection nosocomiale pour le traitement de laquelle il a subi plusieurs hospitalisations avant d'être amputé au niveau de la cuisse droite le 24 juin 2015. M. D... et ses proches ont saisi à plusieurs reprises la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des Pays de la Loire, qui a diligenté des expertises, remises le 5 juin 2012 et le 22 décembre 2016. Dans des avis des 20 février 2013, 1er février 2017 et 3 mai 2017, la commission a estimé que l'infection nosocomiale contractée par M. D... résultait d'une faute du centre hospitalier de Laval. Elle a considéré que la réparation de ses préjudices et de ceux de ses proches devait être prise en charge à hauteur de 20% par l'ONIAM et de 80% par le centre hospitalier de Laval. L'ONIAM, par des protocoles transactionnels signés les 30 mai 2017 et 22 mai 2018, a versé les sommes de 12 179,50 euros et 70 227,42 euros à M. D... au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel, du besoin en assistance par une tierce personne, des frais de véhicule adapté, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice d'agrément et des frais divers. De son côté, en application d'un protocole transactionnel signé le 3 août 2018, la SHAM, assureur du centre hospitalier de Laval, a versé à M. D... la somme totale de 295 552,33 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire, du besoin d'assistance par une tierce personne, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice esthétique définitif, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément et des frais de véhicule adapté. M. D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes la désignation d'un expert afin que soient évalués les frais d'aménagement de son logement et le versement d'une provision de 100 000 euros au titre des préjudices non encore indemnisés par la SHAM, à savoir les frais divers, la perte de gains professionnels, et l'incidence professionnelle. Par une ordonnance du 1er septembre 2020, le juge des référés a rejeté ses demandes. M. D... relève appel de cette ordonnance.

Sur les conclusions de l'ONIAM tendant à ce qu'il soit mis hors de cause :

2. Il ne relève pas de l'office du juge des référés de statuer sur de telles conclusions.

Par suite et en tout état de cause, les conclusions de l'ONIAM doivent être rejetées.

Sur la demande d'expertise :

3. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...). ". Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande d'expertise dans le cadre d'une action en réparation des conséquences dommageables d'un acte médical, d'apprécier son utilité au vu des pièces du dossier, notamment, le cas échéant, du rapport de l'expertise prescrite par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, et au regard des motifs de droit et de fait qui justifient, selon le demandeur, la mesure sollicitée.

4. M. D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'ordonner une expertise, confiée à un architecte, afin que soit évalué le montant des frais d'adaptation de son logement. Toutefois le second expert mandaté par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des Pays de la Loire a estimé, à la rubrique " Frais de logement adapté ", qu'en raison du handicap de M. D... " un logement de plain-pied avec des aménagements de la douche (italienne vraie) et de la salle de bain et des toilettes (barres d'appui) doit être envisagé ". Eu égard à la précision de ces prescriptions, qui ne sont pas infirmées par une autre pièce de l'instruction et ne sont d'ailleurs pas contestées par M. D..., les besoins d'adaptation du logement de l'intéressé à son handicap sont connus. Il appartient donc désormais à celui-ci de justifier, à l'aide de devis ou de factures, des frais qu'il a ou devra exposer à ce titre. L'expertise demandée par M. D... ne présente, ainsi, pas de caractère utile.

Sur la demande de provision :

5. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.

6. Il résulte de l'instruction et est admis par le centre hospitalier de Laval, dont l'assureur a d'ores et déjà accepté de réparer certains des préjudices de M. D..., que celui-ci a été victime en 2010 d'une infection nosocomiale dont la prise en charge a été fautive et qu'il revient à ce centre hospitalier de prendre à sa charge 80% des indemnités qui lui sont dues. L'obligation du centre hospitalier de Laval envers M. D... n'est donc pas sérieusement contestable dans son principe.

7. M. D... a diligenté une expertise comptable afin d'évaluer le montant des revenus professionnels qu'il a perdus en raison de la faute du centre hospitalier de Laval. Cette expertise, qui est utile à la solution du litige, lui a été facturée 6 096,72 euros. Il y a donc lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Laval une provision correspondant à 80% de cette somme, soit 4 877,38 euros.

8. M. D... exploitait un bar-restaurant-civette depuis août 2008. Son état de santé ne lui a pas permis de reprendre cette activité ou de retrouver une activité comparable. Il a d'ailleurs vendu son fonds de commerce en octobre 2014 et n'a retrouvé un emploi que le 1er juin 2019, en qualité de vendeur salarié dans une boucherie. Compte tenu des revenus ressortant de ses avis d'impôt sur le revenu et des éléments contenus dans l'expertise comptable qu'il a diligentée, notamment des diverses prestations assurantielles dont il a bénéficié, M. D... a perçu, pour la période allant du 11 octobre 2010, date à laquelle il aurait pu reprendre son activité en l'absence de faute du centre hospitalier de Laval, jusqu'à la date du présent arrêt, un revenu supérieur à la somme de 248 380 euros qu'il aurait théoriquement perçue pendant la même période sur la base de ses revenus déclarés en 2009. La perte de gains professionnels qu'il allègue apparaît donc, en l'état de l'instruction, sérieusement contestable.

9. Il résulte de l'instruction, en particulier des rapports d'expertise, que M. D... souffre d'un handicap qui a diminué significativement ses capacités de travail, augmenté la pénibilité de l'emploi salarié qu'il occupe depuis 2019 et réduit ses chances d'obtenir une évolution normale de carrière dans ces nouvelles fonctions. Le requérant justifie donc d'une manière non sérieusement contestable d'un préjudice d'incidence professionnelle qui peut être évalué, en l'espèce, à au moins 10 000 euros. Il y a donc lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Laval une provision de 8 000 euros correspondant à 80% de cette somme.

10. M. D... ne produit aucun document permettant d'établir de manière certaine la réalité de la perte de droits à pension de retraite dont il demande à être indemnisé. Il n'est donc pas fondé à demander la condamnation du centre hospitalier de Laval à lui verser une indemnité provisionnelle à ce titre.

11. Enfin, M. D... justifie avoir acheté son fonds de commerce pour la somme de 180 000 euros en 2008 et l'avoir revendu 63 000 euros en 2014 et soutient que cette mévente est exclusivement due à la chute de son chiffre d'affaire à partir de 2010 en raison de l'impossibilité de poursuivre ses activités de gérant. Toutefois, la valeur d'un commerce ne dépend pas seulement de l'évolution de son chiffre d'affaires, mais également de nombreux autres facteurs, dont certains d'ordre conjoncturel. Par suite, M. D... n'établit pas l'existence de son préjudice avec un degré suffisant de certitude permettant à la cour de lui allouer une provision à ce titre.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a rejeté sa demande d'expertise. Il est en revanche fondé à en demander l'annulation en tant que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions aux fins de versement d'une provision, qu'il y a lieu de fixer en application des points 7 et 9 du présent arrêt à la somme de 12 877,38 euros.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Laval la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2002574 du 1er septembre 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulée en tant qu'elle a rejeté les conclusions de M. D... tendant au versement d'une somme à titre provisionnel.

Article 2 : Le centre hospitalier de Laval est condamné à verser à M. D... une indemnité provisionnelle de 12 877,38 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... et les conclusions présentées devant la cour par l'ONIAM sont rejetés.

Article 4 : Le centre hospitalier de Laval versera à M. D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., au centre hospitalier de Laval, à l'ONIAM et aux CPAM de l'Ardèche et du Rhône.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2021.

Le rapporteur

E. C...Le président

I. Perrot

Le greffier

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02934


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02934
Date de la décision : 26/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Eric BERTHON
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : PAPIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-03-26;20nt02934 ?
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