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19/09/2024 | FRANCE | N°32400494

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 19 septembre 2024, 32400494


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3


JL






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 19 septembre 2024








Cassation partielle




Mme TEILLER, président






Arrêt n° 494 FS-B




Pourvois n°
S 22-18.687
S 22-18.733 JONCTION














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


______________________

___


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024


I- M. [R] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 22-18.687 contre un arrêt rendu le 10 mai 20...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 septembre 2024

Cassation partielle

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 494 FS-B

Pourvois n°
S 22-18.687
S 22-18.733 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 SEPTEMBRE 2024

I- M. [R] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 22-18.687 contre un arrêt rendu le 10 mai 2022 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [S] [F],

2°/ à Mme [L] [F], assistée par sa curatrice Mme [O] [T], épouse [U],

3°/ à Mme [O] [T], épouse [U],

tous trois domiciliés [Adresse 2],

4°/ à la société Gounod, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

II- La société Gounod, société civile immobilière, a formé le pourvoi n° 22-18.733 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [R] [F],

2°/ à M. [S] [F],

3°/ à Mme [L] [F], assistée par sa curatrice Mme [O] [T], épouse [U],

4°/ à Mme [O] [T], épouse [U],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° 22-18.687 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° 22-18.733 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de la société civile immobilière Gounod, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [R] [F], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de M. [S] [F], de Mme [F] et de Mme [T], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, Mme Abgrall, MM. Pety, Brillet, conseillers, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire à la chambre commerciale qui a assisté au délibéré, avis ayant été donné aux parties, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-18.687 et 22-18.733 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société civile immobilière Gounod (la SCI) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [S] [F], Mme [F], assistée de sa curatrice, et Mme [T].

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 mai 2022), la SCI est constituée entre M. [S] [F], titulaire d'une part en pleine propriété et de 3 135 parts en usufruit, de M. [R] [F], titulaire de 4 865 parts en pleine propriété et 3 135 en nue-propriété, de Mme [F], titulaire de 1 999 parts en usufruit et de Mme [T], titulaire de 1 999 parts en nue-propriété.

4. M. [S] [F] est gérant de la SCI depuis 2004 et Mme [T] en est co-gérante depuis le 18 octobre 2017.

5. En vertu d'une délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 18 octobre 2017, la SCI a cédé les biens immobiliers dont elle était propriétaire.

6. Soutenant que cette cession emportait dissolution de la société, M. [R] [F] a assigné la SCI, M. [S] [F], Mme [F] et Mme [T], en dissolution et désignation d'un liquidateur.

7. Il a, en outre, agi en nullité des délibérations des assemblées générales ordinaires du 19 février 2018 relatives à l'affectation du produit de la vente et du 30 avril 2018 relatives à l'approbation des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2017, à la distribution des dividendes et à l'affectation du solde restant. Il a également demandé que soit prononcée l'extinction de l'usufruit de M. [S] [F] et sollicité l'indemnisation de son préjudice ainsi que le paiement de sa part du boni de liquidation.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 22-18.687

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° 22-18.687

Enoncé du moyen

9. M. [R] [F] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes relatives à la dissolution de la SCI et à la désignation d'un liquidateur, alors « que la cour d'appel a constaté que l'article 14 des statuts prévoyait la tenue d'une assemblée générale extraordinaire en cas de « vente d'immeubles dépendant de l'actif social à condition que les décisions de cette nature ne soient prises qu'à titre exceptionnel devant aboutir à la liquidation de la société », qu'au cours de l'AGE du 18 octobre 2017, convoquée sur le fondement de l'article 14 des statuts, les quatre associés avaient approuvé à l'unanimité la vente de l'unique actif de la société et rejeté la résolution relative à « l'affectation du produit de la vente à l'acquisition de biens meubles ou immeubles conformément à l'objet social de la société », et donc la dissolution de la société, conforment aux stipulations de l'article 14 des statuts ; qu'en retenant cependant qu'il ne pouvait y avoir de dissolution de la SCI nonobstant la cession de l'unique actif de la société et le rejet de la résolution relative à la réaffectation du produit de la vente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable, en méconnaissant l'article 14 des statuts. »

Réponse de la Cour

10. Procédant à une interprétation des dispositions de l'article 14 des statuts de la SCI, que leur ambiguïté rendait nécessaire, la cour d'appel a souverainement retenu qu'il ne résultait pas de cette clause, dont l'objet était de prévoir les règles de majorité des décisions collectives, que la décision exceptionnelle de vendre l'actif de la SCI avait entraîné sa dissolution automatique.

11. En outre, elle n'a pas constaté que, lors de l'assemblée générale extraordinaire du 18 octobre 2017, les associés auraient approuvé la dissolution de la SCI, mais a, au contraire, retenu qu'ils n'avaient jamais envisagé la dissolution et la liquidation de la SCI en conséquence de la vente de l'immeuble et que le rejet de la résolution relative à la réaffectation du produit de la vente n'emportait pas par elle-même dissolution de la SCI, le principe de la continuité ayant d'ailleurs été admis par l'ensemble des associés dans un premier temps.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 22-18.687, après avis de la chambre commerciale, pris en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile

Enoncé du moyen

13. M. [R] [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir prononcer l'extinction absolue de l'usufruit de M. [S] [F] et obtenir la condamnation de ce dernier à rembourser à la SCI la somme de 8 997 450 euros, outre les pénalités et intérêts de retard, alors « que l'usufruitier peut être déchu de son droit lorsqu'il commet un abus de jouissance ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande tendant à l'extinction de l'usufruit de M. [S] [F], que « les dividendes distribuant le bénéfice constituent des fruits et sont perçus par l'usufruitier en totalité et en toute propriété » et que les conditions de l'article 618 du code civil pour faire cesser l'usufruit de M. [S] [F] ne sont pas réunies, celui-ci démontrant au contraire avoir toujours oeuvré dans l'intérêt de la SCI Gounod, quand le résultat exceptionnel constitué de la vente de l'actif unique de la SCI Gounod n'était pas un bénéfice lié à l'activité courante de la société et n'avait pas vocation à être distribué aux usufruitiers, la cour d'appel a violé l'article 618 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. Il résulte de la combinaison des articles 578 et 582 du code civil que si l'usufruitier a droit aux fruits générés par la chose objet de l'usufruit, il a l'obligation de conserver la substance de cette chose.

15. Par ailleurs, aux termes de l'article 1832 du code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.

16. La distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière affecte la substance des parts sociales grevées d'usufruit en ce qu'elle compromet la poursuite de l'objet social et l'accomplissement du but poursuivi par les associés.

17. Il en résulte que, dans le cas où l'assemblée générale décide une telle distribution, le dividende revient, sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, au premier, le droit de jouissance du second s'exerçant alors sous la forme d'un quasi-usufruit sur la somme ainsi distribuée.

18. Il s'en déduit que la décision, à laquelle a pris part l'usufruitier, de distribuer les dividendes prélevés sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière, sur lesquels il jouit d'un quasi-usufruit, ne peut être constitutive d'un abus d'usufruit.

19. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le moyen du pourvoi n° 22-18.733, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

20. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à M. [R] [F] la somme de 19 946 500 euros, à titre de provision à valoir sur sa quote-part du résultat exceptionnel 2017, avec intérêts, alors « qu'en condamnant la société Gounod à verser à M. [R] [F] la somme de 19 946 500 euros à titre de provision à valoir sur sa quote-part du résultat exceptionnel 2017, après avoir pourtant retenu, dans ses motifs, que M. [R] [F] avait vocation à percevoir une telle somme, au titre de l'affectation du résultat 2017, sous forme de dividendes, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

21. M. [R] [F] conteste la recevabilité du moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif de l'arrêt se bornant à lui allouer une provision et ne mettant pas fin à l'instance.

22. Cependant, dès lors que la cour d'appel a épuisé sa saisine et mis fin à l'instance pendante devant elle, le moyen dirigé contre le chef de dispositif ayant accordé une provision est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

23. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.

24. Après avoir, dans ses motifs, retenu qu'il y avait lieu de condamner la SCI à payer à M. [R] [F] la somme de 19 946 500 euros à titre de provision à valoir sur la distribution de dividendes décidée par la collectivité, l'arrêt confirme le jugement qui, dans son dispositif, avait condamné la SCI à lui verser cette somme à titre de provision à valoir sur sa quote-part du résultat exceptionnel 2017.

25. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi n° 22-18.733, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement ayant condamné la société civile immobilière Gounot à verser à M. [R] [F] la somme de 19 946 500 euros, à titre de provision à valoir sur sa quote-part du résultat exceptionnel 2017 avec intérêts de droit à compter du 7 juin 2018, et capitalisée dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil, l'arrêt rendu le 10 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. [R] [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 32400494
Date de la décision : 19/09/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

USUFRUIT - Droits de l'usufruitier - Droits de jouissance - Droits sociaux - Distribution d'un dividende - Produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière - Quasi-usufruit - Abus de jouissance (non)

SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE - Associés - Décisions collectives - Distribution d'un dividende par prélèvement sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers - Effets - Quasi-usufruit sur le produit de la distribution revenant aux parts sociales grevées d'usufruit

En l'absence de convention particulière entre le nu-propriétaire et l'usufruitier de parts sociales, le dividende prélevé sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d'une société civile immobilière revient au premier, le droit de jouissance du second s'exerçant sous la forme d'un quasi-usufruit sur la somme distribuée. Dès lors, la décision à laquelle prend part l'usufruitier, de distribuer de tels dividendes, sur lesquels il jouit d'un quasi-usufruit, ne peut être constitutive d'un abus d'usufruit


Références :

Articles 578, 582 et 1832 du code civil.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 10 mai 2022

Com., 24 mai 2016, pourvoi n° 15-17788, Bull. 2016, IV, n° 78 (cassation partielle)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 19 sep. 2024, pourvoi n°32400494


Composition du Tribunal
Président : Mme Teiller
Avocat(s) : Me Laurent Goldman, SCP Piwnica et Molinié, SAS Buk Lament-Robillot

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:32400494
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