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13/11/2024 | FRANCE | N°23PA05260

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 6ème chambre, 13 novembre 2024, 23PA05260


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le département des Pyrénées-Atlantiques a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 311 525,20 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du non-renouvellement par l'Etat des concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau.



Par un jugement n° 1710303 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.



Par une requête et un mémoire, enregi

strés le 2 septembre 2019 et le 9 mars 2021, le département des Pyrénées-Atlantiques, représenté par Me Pachen-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département des Pyrénées-Atlantiques a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 311 525,20 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du non-renouvellement par l'Etat des concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau.

Par un jugement n° 1710303 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 septembre 2019 et le 9 mars 2021, le département des Pyrénées-Atlantiques, représenté par Me Pachen-Lefèvre, a demandé à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 27 juin 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, la somme de 9 311 525,20 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 6 977 744,25 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017, avec capitalisation, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du non-renouvellement par l'Etat des concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait de sa carence à organiser dans un délai raisonnable les procédures de publicité et de mise en concurrence nécessaires au renouvellement des trois concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau et, en conséquence, à faire appliquer l'obligation de versement de la redevance créée par la loi du 30 décembre 2006 ;

- le caractère certain du préjudice ne saurait être contesté ni à raison de la faculté pour l'Etat de renoncer à la procédure de renouvellement des concessions pour un motif d'intérêt général, ni du fait que le niveau de recettes du concessionnaire, ainsi que le taux et le montant de la redevance, ne sont effectivement connus qu'au terme de la procédure ;

- le caractère direct du préjudice est établi puisqu'il résulte de la seule carence fautive de l'Etat à organiser la procédure de publicité et de mise en concurrence ;

- si le troisième alinéa de l'article L. 521-16 du code de l'énergie consacre le dispositif des "délais glissants", l'usage abusif qu'en a fait l'Etat pour éviter de procéder au renouvellement des concessions, constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la responsabilité de l'Etat est en outre engagée en raison de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics et du principe interdisant aux personnes publiques de payer des sommes qu'elles ne doivent pas ;

- les arguments en défense de l'Etat tenant à la complexité et à la longueur des procédures de renouvellement des concessions hydroélectriques ainsi qu'aux évolutions successives du cadre juridique de l'hydroélectricité, pour tenter de justifier sa carence fautive, sont infondés ;

- compte tenu d'un taux estimatif de la redevance de 25 %, son préjudice s'élève à la somme de 9 303 659 euros pour les quatre années 2013, 2014, 2015 et 2016 ; il pourrait être ramené à 9 257 718,53 euros afin de tenir compte des sommes qu'il a perçues au cours de ces quatre années au titre de la redevance proportionnelle à la production, aux bénéfices ou aux dividendes, prévue par l'article L. 523-1 du code de l'énergie ;

- à supposer que le préjudice constitué par la privation de la redevance ne soit pas considéré comme certain, le préjudice serait constitué par la perte d'une chance de percevoir la redevance, qui doit être évaluée, a minima, à la somme de 6 977 744,25 euros, soit les trois quarts de la somme sollicitée à titre principal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le département des Pyrénées-Atlantiques ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 19PA02867 du 17 juin 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le département des Pyrénées-Atlantiques.

Par une décision n° 466746 du 14 décembre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le département des Pyrénées-Atlantiques, a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 17 juin 2022 et renvoyé l'affaire devant la Cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23PA05260.

Procédure devant la Cour après cassation :

Par trois mémoires, enregistrés le 26 mars, le 16 mai et le 30 septembre 2024, le département des Pyrénées-Atlantiques, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.

Il soutient en outre que :

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en estimant que le montant de la redevance ne pouvait être déterminé et pouvait même être nul dans la mesure où il dépend essentiellement des bénéfices retirés par le concessionnaire de l'exploitation des ouvrages, et en s'abstenant de rechercher si, au regard de l'ensemble des faits propres au dossier, le préjudice subi était certain ;

- compte tenu des dispositions de l'article L. 521-23 du code de l'énergie, en vigueur le 1er janvier 2013, aujourd'hui codifiées à l'article L. 523-2 de ce code, de l'actuel article L. 523-3 du même code, et de l'intérêt économique qui s'attache au domaine de l'hydroélectricité, qui aurait pu susciter plusieurs candidatures, et au moins celle de la société Hydroélectrique du Midi (SHEM), si une procédure de publicité et de mise en concurrence avait été initiée, le préjudice qu'il a subi, est certain ;

- le ministre ne produit pas les comptes rendus annuels des concessions transmis par la société SHEM, sur lesquels il se fonde pour affirmer que l'exploitation des concessions de la vallée d'Ossau serait déficitaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le département des Pyrénées-Atlantiques ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 1er octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;

- la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 ;

- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;

- la loi n°2015-1785 du 29 décembre 2015 ;

- la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 ;

- le décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008 ;

- le décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,

- les observations de Me Ollic, pour le département des Pyrénées-Atlantiques,

- et les observations de Me Michellet, pour la société SHEM.

Considérant ce qui suit :

1. Le département des Pyrénées-Atlantiques a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice subi, au titre des années 2013 à 2016, du fait du non-renouvellement au-delà du 31 décembre 2012, de trois concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau, dont les titulaires étaient tenus de verser une redevance, affectée pour partie aux départements. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande. Par un arrêt du 17 juin 2022, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre ce jugement. Par une décision du 14 décembre 2023, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article 13 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, aujourd'hui codifié à l'article L. 521-16 du code de l'énergie, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 : " Onze ans au moins avant l'expiration de la concession, le concessionnaire présente sa demande de renouvellement. / Au plus tard cinq ans avant cette expiration, l'administration prend la décision soit de mettre fin définitivement à cette concession à son expiration normale, soit d'instituer une concession nouvelle à compter de l'expiration (...) / La nouvelle concession doit être instituée au plus tard le jour de l'expiration du titre en cours (...). A défaut, pour assurer la continuité de l'exploitation, ce titre est prorogé aux conditions antérieures jusqu'au moment où est délivrée la nouvelle concession (...) ".

3. La société Hydroélectrique du Midi (SHEM) exploite les trois concessions hydroélectriques de la Haute Vallée d'Ossau, de Geteu et de Castet, situées dans la vallée d'Ossau, sur le territoire du département des Pyrénées-Atlantiques, dans le cadre de trois concessions octroyées par décrets du 22 décembre 1951, du 21 mars 1959 et du 14 octobre 1960, dont le terme a été fixé au 31 décembre 2012. Il résulte de l'instruction qu'en application des dispositions de l'article 13 de la loi du 16 octobre 2019 précitée, le ministre chargé de l'écologie et du développement durable, par des courriers en date du 13 décembre 2007 et du 27 décembre 2007, a informé la société SHEM de ses décisions d'instituer de nouvelles concessions à compter de l'expiration des trois concessions en cours, soit à compter du 1er janvier 2013. Toutefois, alors même que les services de l'Etat ont élaboré, en février 2012, le document de synthèse prévu par le décret du 13 octobre 1994 relatif aux concessions des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique, destiné à informer l'ensemble des candidats au renouvellement de celles-ci sur les enjeux liés à la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dans le périmètre du projet, l'Etat n'a pas mis en œuvre les procédures de publicité et de mise en concurrence permettant ce renouvellement au 1er janvier 2013. Il a ainsi maintenu en vigueur les trois conventions initiales, sans proposer au concessionnaire de modification, sur la base du troisième alinéa de l'article L. 521-16 du code de l'énergie permettant de proroger la concession aux conditions antérieures jusqu'au moment où est délivrée la nouvelle concession, usuellement qualifié de régime " des délais glissants ".

4. Le ministre soutient, en défense, que la complexité des opérations de renouvellement des concessions hydroélectriques, combinée à une réforme profonde de leur cadre juridique, notamment afin de l'adapter aux exigences du droit de l'Union européenne, justifie le retard dans la mise en œuvre du processus de leur renouvellement. Il invoque, en premier lieu, les modifications induites par la suppression du droit de préférence dont pouvait bénéficier le concessionnaire sortant, issue de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, ainsi que celles issues du décret du 26 septembre 2008, modifiant le décret du 13 octobre 1994 précité, organisant les modalités de mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Toutefois, l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, antérieure de plusieurs années à l'échéance prévue des conventions existantes, ne saurait constituer une circonstance dont l'Etat peut se prévaloir pour s'exonérer de son obligation de prendre les mesures nécessaires pour instituer les nouvelles concessions au plus tard le 31 décembre 2012. En second lieu, le ministre invoque les réformes encadrant l'octroi des concessions liées aux contraintes posées par le droit communautaire, notamment celles de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, transposant la directive européenne 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution des contrats de concession, ainsi que le décret d'application de cette loi du 27 avril 2016 qui a défini un nouveau cadre d'octroi et de renouvellement des concessions. Pour autant, ces circonstances sont postérieures de plusieurs années aux échéances des concessions qui étaient fixées, ainsi qu'il a été dit, au 31 décembre 2012, date limite à laquelle l'Etat aurait dû instituer les nouvelles concessions en application de l'article 13 de la loi du 16 octobre 1919 aujourd'hui codifié à l'article L. 521-16 du code de l'énergie. En conséquence, ces circonstances ne permettent pas davantage à l'Etat de s'exonérer de sa responsabilité pour ne pas avoir engagé la procédure de renouvellement des concessions aux dates prévues légalement. Enfin, le ministre invoque les incidences sur l'allongement des délais de renouvellement des concessions des nouvelles obligations imposées aux concessionnaires sortants, notamment la remise d'un dossier de fin de concession, prévue par l'article 28 du décret du 26 septembre 2008 précité, ultérieurement codifié à l'article R. 521-52 du code de l'énergie. Il fait notamment valoir qu'il n'était pas en mesure de lancer les procédures d'attribution des nouvelles concessions dès lors que la société SHEM, exploitante des installations hydroélectriques, n'avait pas remis aux services de la préfecture un dossier complet de fin de concession destiné à fournir, entre autres, des informations sur l'état des ouvrages et sur la maîtrise foncière des terrains sans lesquelles la mise en œuvre de la procédure de renouvellement était impossible. A cet égard, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 19 juin 2009, le ministre chargé de l'écologie et du développement durable a invité la société SHEM à remettre un dossier de fin de concession, en ce qui concerne les installations hydroélectriques de la vallée d'Ossau, avant le 1er octobre 2009. Par deux nouveaux courriers du 12 janvier 2010 et du 20 avril 2010, le ministre a fait savoir à la société SHEM que le dossier de fin de concession remis le 14 octobre 2009 était incomplet. Il n'est pas établi que, depuis ce dernier courrier du 20 avril 2010, l'Etat aurait de nouveau sollicité la société SHEM pour obtenir les compléments d'information sollicités en faisant usage, le cas échéant, des pouvoirs de contrainte et de sanction dont il dispose en tant qu'autorité de police en cas de refus persistant de l'exploitant de se conformer à ses obligations. Il apparait donc que l'Etat n'a pas fait preuve des diligences nécessaires pour obtenir un dossier complet de fin de concession alors que l'exploitation en cours arrivait à échéance le 31 décembre 2012. Le seul fait qu'il ne soit pas établi que la société SHEM se serait acquittée de ses obligations dans un délai plus court si l'Etat avait usé de ses pouvoirs de contrainte ne suffit pas à l'exonérer de sa responsabilité. Dans ces conditions, le ministre n'est pas fondé à invoquer le fait de la société SHEM pour expliquer sa carence à mettre en œuvre la procédure d'attribution des nouvelles concessions de la vallée d'Ossau.

5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que la carence prolongée de l'Etat à faire procéder au renouvellement des concessions en litige dans le délai imparti par la loi, alors que le troisième alinéa de l'article L. 521-16 du code de l'énergie ne permet la prorogation du titre aux conditions antérieures que " pour assurer la continuité de l'exploitation ", constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.

Sur le préjudice :

6. Aux termes de l'article L. 521-23 du code de l'énergie, dans sa rédaction en vigueur du 18 août 2012 au 18 juillet 2013, devenu l'article L. 523-2 du code de l'énergie, dans sa rédaction en vigueur du 18 juillet 2013 au 19 août 2015 : " Pour toute nouvelle concession hydroélectrique, y compris lors d'un renouvellement, il est institué, à la charge du concessionnaire, au profit de l'Etat, une redevance proportionnelle aux recettes résultant des ventes d'électricité issues de l'exploitation des ouvrages hydroélectriques concédés desquelles est déduit, le cas échéant, le montant des achats d'électricité pour les pompages. Pour le calcul du montant de la redevance, les recettes et les achats d'électricité sont calculés comme la valorisation de la production ou de la consommation d'électricité aux prix constatés sur le marché. Le taux de chaque redevance ne peut excéder un taux plafond, déterminé par l'autorité concédante dans le cadre de la procédure de mise en concurrence / Un tiers de la redevance est affecté aux départements sur le territoire desquels coulent les cours d'eau utilisés (...) ". Aux termes de l'article L. 523-2 du code de l'énergie, dans sa rédaction en vigueur à compter du 19 août 2015, issue de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte : " Pour toute nouvelle concession hydroélectrique, y compris lors d'un renouvellement, il est institué, à la charge du concessionnaire, au profit de l'Etat, une redevance proportionnelle aux recettes de la concession. Les recettes résultant de la vente d'électricité sont établies par la valorisation de la production aux prix constatés sur le marché, diminuée, le cas échéant, des achats d'électricité liés aux pompages. Les autres recettes sont déterminées selon des modalités définies par arrêté du ministre chargé de l'énergie / Le taux de cette redevance ne peut excéder un taux plafond, déterminé, pour chaque concession, par l'autorité concédante dans le cadre de la procédure de mise en concurrence. / (...) Un tiers de la redevance est affecté aux départements sur le territoire desquels coulent les cours d'eau utilisés (...) ".

7. En premier lieu, l'appel public à la concurrence qu'il incombait à l'Etat de mettre en œuvre dans le cadre de la procédure de renouvellement des concessions comporte nécessairement des aléas au stade de la sélection des candidats admis à présenter leur offre au vu de leurs capacités techniques et financières, puis au stade de l'analyse des offres par l'autorité compétente. En outre, en fonction des éléments qui lui sont soumis, la personne publique conserve le pouvoir de renoncer à conclure la concession dont elle a engagé la procédure de passation pour un motif d'intérêt général ou lorsqu'aucune offre acceptable ne lui a été soumise. Ainsi, par elle-même, l'organisation d'une procédure de mise en concurrence pour l'attribution d'une concession hydroélectrique, quand bien même elle constitue une obligation légale pour l'Etat, n'est de nature à garantir ni le renouvellement effectif de la concession, ni, par voie de conséquence, l'institution, à la charge du concessionnaire, d'une redevance proportionnelle aux recettes de la concession sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-23 et de l'article L. 523-2 du code de l'énergie. Dans ces conditions, le préjudice invoqué à titre principal par le département des Pyrénées-Atlantiques constitué par la perte d'une part de cette redevance, ne présente pas un caractère certain propre à entraîner la condamnation de l'Etat.

8. En deuxième lieu, pour démontrer qu'il a été privé d'une chance sérieuse de percevoir une part de la redevance prévue par les dispositions citées ci-dessus, le département se réfère notamment aux travaux de la Cour des comptes qui mettent en évidence un manque à gagner pour les finances publiques du fait de l'absence de renouvellement des concessions de la vallée d'Ossau, et fait état de la possibilité pour l'Etat de proroger les anciennes concessions par voie d'avenant, ainsi que de l'intérêt économique qui s'attache au domaine de l'hydroélectricité, qui aurait pu susciter plusieurs candidatures, notamment celle de la société SHEM, et celles de certains groupes français ou étrangers si ces concessions avaient été renouvelées, en produisant des articles de la presse économique qui établissent l'intérêt de ces groupes pour ces concessions. Ces affirmations ne sont pas sérieusement contredites par le ministre.

9. En troisième lieu, pour établir que le montant de la redevance n'aurait pas été nul ainsi que le ministre le soutient en défense, le département se réfère au montant, non contesté par le ministre, des recettes retirées par la société SHEM de la vente d'électricité produite en concession pendant les années 2013 à 2016, et applique à ce montant un pourcentage non contesté de 31,89 %, représentatif de la part de la production des installations exploitées dans le cadre des concessions de la vallée d'Ossau, dans l'ensemble de la production d'électricité de la société SHEM, afin de déterminer les recettes de ces seules installations. Enfin, le département applique aux recettes ainsi déterminées un taux de redevance évalué à 25 %.

10. Le ministre n'est en tout état de cause pas fondé à contester ce taux de 25 % en faisant état du déficit de l'exploitation des concessions de la vallée d'Ossau pendant les années 2016 et 2017, alors que le renouvellement des concessions devait intervenir le 1er janvier 2013. Le ministre n'a d'ailleurs pas donné suite à la mesure d'instruction diligentée par la Cour sur ce point, afin qu'il produise les comptes annuels des concessions pour les années 2016 et 2017, et tous éléments sur les résultats de l'exploitation des concessions pendant les années 2010 à 2015. Si le ministre soutient en outre que le taux de la redevance ne pourrait être évalué par référence au taux de 24 % retenu pour la Compagnie Nationale du Rhône pour d'autres concessions dont la production est beaucoup plus importante et dont la situation n'appelait pas les mêmes investissements que les concessions de la vallée d'Ossau, il ne fournit aucune précision sur les investissements à prévoir dans le cadre de ces dernières concessions. Enfin, le taux de 25 % correspond au taux retenu par ailleurs par la Cour des comptes dans son référé n° 67194 du 21 juin 2013. Or, le montant total de la redevance qui aurait pu être exigée à l'occasion du renouvellement de ces concessions, et la part de cette redevance devant revenir au département, soit un tiers, ne pouvaient, compte tenu de ce taux, être nuls.

11. En quatrième lieu, si le ministre fait état de la procédure de consultation publique dite " démarche d'écoute GEDRE ", qui a été conduite en application du décret du 13 octobre 1994, visé ci-dessus, jusqu'au début de l'année 2011, pour soutenir qu'une procédure de mise en concurrence engagée par la suite n'aurait pu s'achever avant le début de 2015, il ne fournit aucune explication de nature à justifier que cette procédure de consultation publique n'ait pas été menée plus tôt. Il n'est par ailleurs en tout état de cause pas fondé à invoquer le dernier alinéa de l'article L. 523-1 du code de l'énergie, relatif à la redevance proportionnelle à la production, aux bénéfices ou aux dividendes, issu de la loi du 29 décembre 2015, visée ci-dessus, aux termes duquel cette redevance proportionnelle ne s'applique pas aux concessions soumises à la redevance en litige prévue à l'article L. 523-2, pour soutenir que le département aurait perdu le bénéfice d'une fraction de cette même redevance proportionnelle, s'il avait perçu une part de la redevance en litige, pendant les années 2013 à 2015. Le ministre ne précise pas non plus le montant de cette redevance proportionnelle pour l'année 2016, et n'est donc pas fondé à en faire état pour cette dernière année. Enfin, il ne saurait utilement faire état de la redevance proportionnelle aux recettes ou aux bénéfices de la concession, prévue à partir du 31 décembre 2018, soit postérieurement à la période litigieuse, à l'article L. 523-3 du code de l'énergie, issu de la loi du 28 décembre 2018, visée ci-dessus.

12. Il résulte de ce qui précède que le département des Pyrénées-Atlantiques doit être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse de percevoir un tiers de la redevance prévue à l'article L. 521-23, puis à l'article L. 523-2 du code de l'énergie, calculée au taux de 25 % sur les ventes d'électricité issues de l'exploitation des ouvrages hydroélectriques des concessions de la vallée d'Ossau, sous déduction du montant des éventuels achats d'électricité pour les pompages, pendant la période du 1er janvier 2013 au 18 août 2015, et sur les recettes de la concession, diminuées des éventuels achats d'électricité liés aux pompages pour la période du 19 août 2015 au 31 décembre 2016. Il y a lieu de renvoyer le département devant les services du ministre chargé de l'énergie, pour le chiffrage de l'indemnité à laquelle il peut prétendre, dans la limite de la somme qu'il a demandée à titre subsidiaire, soit 6 977 744,25 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le département des Pyrénées-Atlantiques est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice invoqué à titre subsidiaire, constitué par la perte d'une chance sérieuse de percevoir une part de la redevance.

Sur les intérêts :

14. Le département des Pyrénées-Atlantiques a droit aux intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017, date de réception de sa demande préalable par le Premier ministre, avec capitalisation à compter du 23 février 2018, date à laquelle était due une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département des Pyrénées-Atlantiques et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1710303 du tribunal administratif de Paris du 27 juin 2019 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser au département des Pyrénées-Atlantiques la somme fixée au point 12 des motifs du présent arrêt, avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017. Les intérêts échus à la date du 23 février 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera au département des Pyrénées-Atlantiques une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du département des Pyrénées-Atlantiques est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département des Pyrénées-Atlantiques, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à la société Hydroélectrique du Midi.

Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2024.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA05260


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA05260
Date de la décision : 13/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Energie - Énergie hydraulique.

Marchés et contrats administratifs - Formation des contrats et marchés - Formalités de publicité et de mise en concurrence.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : MC DERMOTT WILL & EMERY

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-13;23pa05260 ?
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