Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 2 septembre 2021 prononçant sa suspension sans traitement à compter
du 6 septembre 2021, jusqu'à production d'un justificatif de vaccination ou
de contre-indication à la vaccination.
Par une ordonnance n° 2200280 du 1er septembre 2022, le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 novembre 2022 et 7 mars 2023, Mme A..., représenté par la SELARL Maud Marian, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du président du tribunal administratif de Limoges
du 1er septembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 septembre 2021, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au centre hospitalier de Brive de rétablir le versement de son traitement ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Brive la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande de première instance était recevable ; c'est à tort que le premier juge a regardé la lettre du 7 octobre 2021 comme un recours gracieux alors que, par ce courrier, elle demandait, non pas le retrait d'une décision, mais le versement de son traitement dans le cadre de son congé de maladie ordinaire ;
- au demeurant, en l'absence d'accusé de réception de ce courrier, le délai de recours contentieux ne peut lui être opposé ;
- la décision de suspension, qui s'analyse comme une sanction disciplinaire puisqu'elle la prive de son traitement, a été prise sans respecter le principe des droits de la défense ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- la décision en litige est dépourvue de base légale, dès lors qu'à la date à laquelle elle a été édictée, la notion de schéma vaccinal complet n'était pas clairement définie et le décret prévu par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 n'avait pas été édicté ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, dès lors que la loi du 5 août 2021 prévoyait une possibilité d'exercer sur justification d'un test de dépistage jusqu'au 15 septembre 2021 ;
- elle est entachée d'une autre erreur de droit en ce que la loi du 5 août 2021 ne soumet à l'obligation de justifier d'un statut vaccinal que les agents en activité, et non les agents en congés ;
- elle est entachée d'une troisième erreur de droit, le seul fait qu'elle soit suspendue ne signifiant pas qu'elle n'est pas en activité ;
- la loi du 5 août 2021 a été prise en méconnaissance de l'article 9 ter de la loi
du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la suspension porte atteinte au principe de non-discrimination en raison de l'état de santé ;
- elle créée une rupture d'égalité entre agents publics et entre assurés sociaux ;
- elle est contraire à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 en ce qu'elle la prive de protection sociale ;
- elle est contraire au principe de protection du consentement du patient en ce qu'elle impose un traitement médical ;
- la sanction est disproportionnée car elle ne saurait être contrainte à suivre une thérapie antigénique en cours d'essai clinique, et l'a tteinte portée à son droit à un travail rémunéré n'est pas nécessaire à la protection de la santé des personnes, dès lors que les agents vaccinés ne sont protégés ni de l'infection, ni de la transmission du virus ;
- elle porte atteinte à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants prévue à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle porte atteinte au droit à la vie, protégé par l'article 2 de la même convention.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 janvier 2023, le centre hospitalier de Brive, représenté par la SELAS Gout Dias avocats associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 4 000 euros sur le fondement
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- ainsi que l'a jugé le tribunal, le courrier du 7 octobre 2021 s'analyse comme un recours gracieux de Mme A... à l'encontre de la décision de suspension dont elle conteste la légalité ; le silence gardé par l'hôpital sur cette demande a fait naître une décision qui aurait dû être contestée au plus tard le 10 février 2022 ;
- Mme A... ne peut se prévaloir du défaut d'accusé de réception de sa demande, dès lors que l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable aux relations entre un agent et son employeur public ;
- la décision en litige n'étant pas une sanction mais une mesure prise dans l'intérêt du service pour des raisons d'ordre public, Mme A... ne peut se prévaloir d'une méconnaissance de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 et des garanties applicables en matière disciplinaire ;
- les vaccins proposés ne sauraient être regardés comme des médicaments expérimentaux ;
- contrairement à ce qui est soutenu, un décret d'application de la loi du 5 août 2021 a été pris le 7 août 2021, sous le numéro 2021-1059 ;
- la décision est suffisamment motivée ;
- contrairement à ce que Mme A... soutient, l'article 13 de la loi du 5 août 2021 était applicable dès son entrée en vigueur, le 6 août ; l'intéressée étant dans l'incapacité de justifier des certificats ou résultats nécessaires à son activité, l'hôpital pouvait légalement la suspendre sans traitement ;
- le moyen tiré de l'incompatibilité de la loi du 5 août 2021 avec l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté comme ne relevant pas de la compétence du juge administratif ;
- il n'appartient pas au juge administratif de contrôler la constitutionnalité d'une loi ; au demeurant, le Conseil constitutionnel a déclaré l'obligation vaccinale conforme à la Constitution par une décision du 5 août 2021 ;
- Mme A... ne peut se prévaloir d'une méconnaissance du principe
de non-discrimination tel que protégé par le règlement communautaire 2021/953 dès lors que ce texte a un objet étranger à l'obligation vaccinale ;
- elle n'est pas fondée à se prévaloir d'une méconnaissance des stipulations des articles 8, 3 et 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ;
- à la date de la décision, le 30 août 2021, Mme A... n'était pas en congés mais
en activité ;
- Mme A... n'a toujours pas justifié d'un schéma vaccinal complet ou
d'un certificat de rétablissement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dias, représentant le centre hospitalier de Brive.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., aide-soignante au sein du service gériatrique du centre hospitalier de Brive, a fait l'objet, le 30 août 2021, d'une interdiction d'exercice à compter du même jour, pour ne pas avoir été en mesure de présenter les justificatifs requis par la loi
du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Par une décision du 2 septembre 2021, le centre hospitalier de Brive, tenant compte de la pose par Mme A... de congés annuels du 30 août au 5 septembre 2021, a prononcé sa suspension sans traitement à compter du 6 septembre 2021, en refusant de tenir compte d'un arrêt de travail pour maladie du 31 août au 19 septembre 2021. Mme A... a sollicité le retrait de la décision de suspension par courrier du 25 octobre 2021, reçu par l'hôpital le 27 octobre suivant. Elle a ensuite saisi le tribunal administratif de Limoges pour obtenir l'annulation de cette décision. Par une ordonnance du 1er septembre 2022 dont Mme A... relève appel, le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 de ce code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. (...) ".
3. Pour retenir cette irrecevabilité, le président du tribunal administratif de Limoges s'est fondé sur ce que Mme A... avait sollicité, par un courrier daté du 7 octobre 2021, reçu le lendemain, le retrait gracieux de la décision du 2 septembre 2021 prononçant sa suspension sans traitement, de sorte qu'en l'absence de réponse, le délai de recours contentieux avait expiré le 10 février 2022, la décision implicite née du silence gardé par le directeur de l'hôpital sur le second recours gracieux formé le 25 octobre 2021 ne constituant qu'une décision confirmative, sans incidence sur l'interruption du délai de recours contentieux. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, par son courrier du 7 octobre 2021, Mme A... ne contestait pas la décision de suspension, mais demandait seulement la prise en compte de son arrêt de travail pour maladie du 31 août au 19 septembre 2021 pour fixer la date d'entrée en vigueur de la suspension, et sollicitait le versement du traitement afférent à cette période de congé. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux à l'encontre de la décision implicite ayant rejeté le recours gracieux reçu le 27 octobre 2021 expirait seulement
le 28 février 2022, et la requête présentée le même jour devant le tribunal administratif de Limoges n'était pas tardive. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Son ordonnance du 1er septembre 2022 doit, dès lors, être annulée.
4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Limoges pour qu'il statue à nouveau sur la demande de Mme A....
5. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance d'appel, la somme que le centre hospitalier de Brive demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Brive une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance du président du tribunal administratif de Limoges
du 1er septembre 2022 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Limoges pour qu'il statue sur la demande de Mme A....
Article 3 : Le centre hospitalier de Brive versera à Mme A... la somme de 1 500 euros
en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Brive sur le fondement
des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au centre hospitalier
de Brive.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mai 2023.
Le rapporteur,
Olivier CotteLa présidente,
Anne MeyerLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22BX02816