Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Chambéry à lui verser la somme de 13 502 euros en réparation des préjudices résultant de la défectuosité de la prothèse totale du genou mise en place par une intervention du 25 janvier 2000. Par un jugement n° 0300846 du 7 avril 2006, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 06LY01195 du 23 mars 2010, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé contre ce jugement par M.B....
Par une décision n° 339922 du 25 juillet 2013, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon et renvoyé l'affaire à cette cour.
Par un arrêt n° 13LY02337 du 12 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du 7 avril 2006 du tribunal administratif de Grenoble, condamné le centre hospitalier de Chambéry à verser la somme de 7 300 euros à M. B... et diverses sommes à la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie et rejeté les conclusions du centre hospitalier de Chambéry tendant à ce que la société Groupe Lépine le garantisse des condamnations prononcées à son encontre.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 12 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Chambéry demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette son appel en garantie dirigé contre la société Groupe Lépine ;
2°) réglant l'affaire au fond, de condamner la société Groupe Lépine à le garantir des condamnations prononcées à son encontre.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;
- le code civil ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du Centre Hospitalier de Chambéry, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. B... et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat de la société Groupe Lepine ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la luxation d'une prothèse du genou posée le 25 janvier 2000 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Chambéry, M. B...a dû subir, le 27 avril 2000, une intervention chirurgicale de reprise et qu'il a fallu procéder le 8 février 2001 au remplacement de cette prothèse ; qu'invoquant la défectuosité de celle-ci, l'intéressé a exercé un recours indemnitaire contre le CHU de Chambéry ; que, par un arrêt du 12 décembre 2013, la cour administrative d'appel a condamné cet établissement à verser la somme de 7 300 euros à M. B... et la somme de 6 660,37 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie en réparation des préjudices subis et a rejeté ses conclusions tendant à ce que la société Groupe Lépine, producteur de la prothèse défectueuse, le garantisse des condamnations prononcées à son encontre ; que le CHU de Chambéry demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il rejette son appel en garantie ;
2. Considérant que le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient ; qu'après avoir indemnisé sur ce fondement un patient ayant subi des dommages du fait de la défaillance d'un produit ou appareil de santé, le service public hospitalier peut, lorsqu'il est lié au producteur par un contrat administratif, rechercher la responsabilité contractuelle de celui-ci devant le juge administratif au titre des stipulations du contrat ou en raison des vices cachés du produit sur le fondement des articles 1641 à 1649 du code civil ; que par ailleurs, par un arrêt du 21 décembre 2011 Centre hospitalier de Besançon c. Dutrueux e.a., C-495/10, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que lorsque la responsabilité d'un prestataire de soins est engagée à l'égard d'un patient en raison de l'utilisation d'un produit défectueux dans le cadre des soins, ce prestataire doit avoir la possibilité de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement des règles issues de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ; que le régime de responsabilité prévu par cette directive a été transposé en droit français par les dispositions des articles 1386-1 à 1386-18 du code civil ; que le centre hospitalier de Chambéry, qui disposait de ces deux voies de recours alternatives dès lors que la prothèse défectueuse lui avait été fournie par la société Groupe Lépine dans le cadre d'un marché public présentant le caractère d'un contrat administratif, a demandé à la cour de condamner la société Groupe Lépine à le garantir par application des articles 1386-1 à 1386-18 du code civil ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 35 du décret du 27 février 2015 : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence " ;
4. Considérant que le litige né de l'action en garantie du centre hospitalier de Chambéry, tendant à ce qu'une personne morale de droit privé avec laquelle il est lié par un contrat administratif soit condamnée à réparer sur le fondement des articles 1386-1 à 1386-18 du code civil les dommages résultant de la fourniture d'un produit défectueux présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue par l'article 35 du décret du 27 février 2015 ; que, par suite, il y a lieu de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir si l'action introduite par le centre hospitalier de Chambéry relève ou non de la compétence de la juridiction administrative et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi du centre hospitalier de Chambéry jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si le litige né de l'action du centre hospitalier de Chambéry tendant à ce qu'une personne morale de droit privé avec laquelle elle est liée par un contrat administratif soit condamnée à réparer sur le fondement des articles 1386-1 à 1386-18 du code civil les dommages résultant de la fourniture d'un produit défectueux relève ou non de la compétence de la juridiction administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Chambéry, à M. A...B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Savoie et à la société Groupe Lépine.