Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2023 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2300918 du 5 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 juin 2024 sous le n° 24TL01515, Mme A..., représentée par Me Jay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 décembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Tarn du 18 janvier 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Tarn, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique contre renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- il a été rendu en méconnaissance des droits de la défense.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- l'arrêté est entaché d'un vice d'incompétence ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2024, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 4 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 20 novembre 2024 à 12h00.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 17 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Faïck, président-rapporteur,
- et les observations de Me Jay, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante sénégalaise née le 28 juin 1979, déclare être entrée sur le territoire français en septembre 2018 munie d'un visa de long séjour. Le 27 septembre 2022, elle a demandé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Elle relève appel du jugement du 5 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 janvier 2023 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.
Sur la légalité de l'arrêté en litige :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a noué, en 2018, une relation avec un ressortissant marocain, séjournant en France depuis 1973 et bénéficiant d'une carte de résident valable jusqu'au 24 juin 2029. Ce dernier, qui exerce une activité professionnelle d'aide-soignant, est propriétaire d'une maison en France. Ils sont devenus parents d'une enfant née le 23 mai 2020 à Albi (Tarn). Mme A... verse au dossier de nombreuses pièces, dont certaines comportent à la fois son nom et celui de son conjoint, ainsi que des attestations précises et concordantes, permettant d'établir la réalité de la vie commune du couple avec leur enfant. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que sont également présentes en France les quatre sœurs de Mme A..., dont trois sont de nationalité française, tandis que la quatrième est titulaire d'une carte de résidente. Ainsi, Mme A... justifie de fortes attaches familiales sur le territoire français. S'il est vrai que Mme A... est également mère de trois enfants, nés en 2006, 2010 et 2012 de son union avec un ressortissant français, et qui résident au Sénégal, elle produit une déclaration de main courante du 27 juillet 2017 qu'elle avait déposée en raison d'un conflit avec le père de ses enfants portant sur leur garde et sur ses difficultés à entrer en contact avec ces derniers. Mme A... produit également le jugement de divorce du tribunal d'instance de Dakar du 14 mars 2018 constatant la séparation de fait du couple depuis novembre 2014 et confiant la garde des enfants à l'ex-époux. Ces éléments doivent être regardés comme établissant l'allégation selon laquelle l'appelante n'entretient plus de liens réguliers avec ses enfants résidant dans son pays d'origine. Dans ces conditions, eu égard à la réalité et à la stabilité des liens personnels et familiaux que l'appelante a établis en France depuis son arrivée en 2018, le préfet du Tarn a, dans les circonstances propres au cas d'espèce, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en prenant la décision attaquée.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en litige. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens d'annulation ni sur la régularité du jugement attaqué, celui-ci et l'arrêté du 18 janvier 2023 du préfet du Tarn doivent être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Compte tenu du motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Tarn de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais d'instance :
6. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Jay, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Jay de la somme de 1 200 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 5 décembre 2023 et l'arrêté du préfet du Tarn du 18 janvier 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Tarn de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Jay une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Jay renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Jay et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Tarn.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2025, où siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2025.
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président-rapporteur,
F. FaïckLa greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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N°24TL01515