Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier de Brioude à lui verser la somme de 28 065,85 euros en réparation de préjudices consécutifs à une prise en charge par cet établissement ainsi qu'une somme de 450 euros au titre de frais de médiation.
Par un jugement n° 1901351 du 12 avril 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 juin 2022, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 20 octobre 2022, M. B... C..., représenté par Me Hussar, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1901351 du 12 avril 2022 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Brioude à lui verser la somme de 28 065,85 euros en réparation de préjudices consécutifs à une prise en charge par cet établissement ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Brioude les dépens ainsi que les frais de médiation ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Brioude une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- le centre hospitalier a commis une faute en l'absence de verrouillage proximal du clou ;
- même si l'expert a évoqué une perte de chance de 50 %, son entier préjudice doit être réparé ;
- il a été atteint d'un déficit fonctionnel temporaire, puis permanent, enduré des souffrances, engagé des frais divers de déplacement, subi un préjudice tenant au besoin d'assistance par une tierce personne., subi un préjudice esthétique ainsi qu'un préjudice d'agrément et enfin été victime de l'incidence professionnelle des séquelles ;
- outre les dépens et les frais non compris dans les dépens, le centre hospitalier doit lui rembourser la moitié des honoraires de médiation ;
- le centre hospitalier ne l'a pas informé du risque accru de rotation postérieurement à l'intervention, en méconnaissance de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, et il a ainsi perdu une chance de 50 % d'éviter la complication par une prise en charge spécifique.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 août 2022, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 13 décembre 2022, le centre hospitalier de Brioude, représenté par la SELARL Mante Saroli et Coulombeau, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que les dépens et les frais de médiation soient mis à la charge de M. C... ;
3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le centre hospitalier de Brioude soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- il n'a pas commis de faute ;
- le dommage est lié à la négligence du patient à venir consulter ;
- subsidiairement, seule une perte de chance d'éviter, à hauteur de 50 %, le déficit fonctionnel et le préjudice esthétique, pourrait être retenue, les autres préjudices invoqués n'étant pas en lien ;
- les prétentions portant sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et sur les frais de médiation ne sont pas justifiées ;
- le patient s'est vu délivrer les informations requises et il n'a pas manqué à son devoir d'information postérieurement à l'intervention, le patient ayant refusé de venir aux consultations qui lui ont été proposées.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Loire et la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, régulièrement mises en cause, n'ont pas produit.
Par ordonnance du 20 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2022 à 16h30. Par ordonnance du 13 décembre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 13 janvier 2023 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bernetière, représentant le centre hospitalier de Brioude.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 21 septembre 1986, a été victime d'un accident de quad le 27 décembre 2012, qui a occasionné une fracture très déplacée du tiers supérieur du tibia et du péroné droits. Il a été pris en charge en urgence par le centre hospitalier de Brioude et opéré le jour même pour ostéosynthèse tibiale droite par enclouage centromédullaire. Par le jugement attaqué du 12 avril 2022, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de M. C... tendant à ce que le centre hospitalier soit condamné à l'indemniser de séquelles apparues dans les suites de l'intervention.
Sur le principe et l'étendue de la responsabilité :
En ce qui concerne la faute et la perte de chance :
2. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise diligentée par le juge des référés du tribunal que l'indication opératoire était adaptée et que la prise en charge du patient en urgence a été conforme aux bonnes pratiques. L'expert relève toutefois que l'enclouage centromédullaire tibial n'a pas été verrouillé. S'il précise qu'un verrouillage n'est pas obligatoire pour toutes les fractures, il souligne qu'en l'espèce il aurait été " judicieux " d'y recourir, l'absence de verrouillage ayant permis une rotation interne du foyer proximal. Il indique que, compte tenu de la situation proximale du clou, un verrouillage aurait été adapté pour stabiliser le clou et éviter un risque de trouble rotatoire. Ainsi, si la prise en charge a été globalement correcte, sur ce point très précis il résulte de l'instruction que le centre hospitalier a commis une faute, en raison d'un choix ayant induit un risque qui pouvait être évité. Cette faute est de nature à engager sa responsabilité.
3. L'expert souligne que le risque de trouble rotatoire est un risque connu, compte tenu de la gravité de la fracture et de la nature de l'intervention. Alors même que le clou aurait été verrouillé, ce risque n'aurait pour autant pas été entièrement exclu, mais serait demeuré, dans des proportions cependant moindres. L'expert précise qu'un verrouillage aurait en l'espèce permis de réduire de moitié le risque. M. C... doit, ainsi, être regardé comme ayant perdu, du fait de la faute commise, une chance de 50 % d'éviter une aggravation de son état en raison du trouble rotatoire dont les suites de l'intervention se sont compliquées.
4. Si l'hôpital entend par ailleurs faire valoir que le patient aurait commis une faute exonératoire en ne se rendant pas immédiatement à un rendez-vous pour ablation du clou, qui aurait pu minimiser son préjudice, toutefois, d'une part il appartenait au patient d'apprécier s'il entendait subir une nouvelle intervention, d'autre part, son choix n'est en tout état de cause pas la cause adéquate de son préjudice, qui résulte de la faute précitée.
En ce qui concerne l'information post-opératoire :
5. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver ".
6. Si M. C... soutient que l'hôpital aurait commis une faute en n'attirant pas son attention, postérieurement à l'intervention, sur le risque de trouble rotatoire, ce risque est toutefois un risque connu inhérent à l'intervention. Il ne constitue dès lors pas un risque nouveau identifié postérieurement au sens de ces dispositions.
Sur les préjudices :
7. L'expert souligne qu'eu égard à la gravité de la fracture, il était inévitable qu'elle laisse des séquelles. La faute précitée a uniquement réduit la chance d'éviter un trouble rotatoire, qui ne correspond qu'à une partie des séquelles. La consolidation est intervenue au 27 décembre 2013.
8. En premier lieu, s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, l'expert précise que sont seules imputables au trouble rotatoire des périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel, au taux de 50 % du 1er janvier au 12 mars 2013, au taux de 25 % du 13 mars au 12 avril 2013, au taux de 10 % du 13 avril au 26 décembre 2013, au taux de 50 % du 9 au 25 décembre 2016, et enfin, au taux de 25 % du 25 décembre 2016 au 10 janvier 2017. Il en sera fait une juste appréciation, sur la base d'un ordre de grandeur de 500 euros par mois pour 100 % de déficit, en évaluant ce chef de préjudice à hauteur d'une somme de 1 500 euros.
9. En deuxième lieu, l'expert précise que le déficit fonctionnel permanent de M. C... n'est en lien avec le trouble rotatoire que dans la limite de 3 %. S'il évoque également un taux de 1,5 %, il le fait en appliquant le taux de perte de chance précité de 50 %, qui est toutefois sans incidence sur le préjudice corporel en lui-même. M. C... était âgé de 27 ans à la date de la consolidation. Il sera fait une juste évaluation du préjudice correspondant en retenant une somme de 5 000 euros.
10. En troisième lieu, l'expert retient des souffrances endurées de 3/7. Il précise toutefois, en réponse à un dire, que ces souffrances ne sont pas imputables au trouble rotatoire en lui-même.
11. En quatrième lieu, l'expert a retenu un préjudice esthétique imputable de 0,5/7. Il en sera fait une juste appréciation, compte tenu du jeune âge de la victime, en retenant un montant de 1 000 euros.
12. En cinquième lieu, l'expert a exclu tout préjudice d'agrément en lien, la seule gravité de la fracture induisant des séquelles qui expliquent les difficultés rencontrées par le requérant pour continuer ses activités de quad et de jardinage, sans qu'il résulte de l'instruction que le trouble rotatoire jouerait en lui-même un rôle déterminant.
13. En sixième lieu, l'expert a relevé que le trouble rotatoire a entrainé un besoin d'assistance par une tierce personne, d'une heure par jour du 1er janvier au 12 mars 2013, soit 70 jours, de 4 heures par semaine du 13 mars 2013 au 12 avril 2013, soit 4 semaines, d'une heure par jour du 9 au 25 décembre 2016, soit 16 jours, et enfin de 4 heures par semaine du 26 décembre 2016 au 10 janvier 2017, soit 2 semaines. Le volume horaire total correspondant est ainsi de 110 heures, pour une assistance non spécialisée d'aide à la vie quotidienne. Lorsque le juge administratif indemnise la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, il détermine d'abord l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. En l'espèce, afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par les dispositions d'ordre public de l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu de calculer l'indemnisation du besoin d'assistance par une tierce personne, par référence au coût d'une aide salariée, sur la base d'une année de 412 jours. Eu égard à la nature de l'aide nécessaire et aux périodes anciennes en cause, il sera fait en l'espèce une juste appréciation du préjudice subi en l'indemnisant, compte tenu des cotisations dues par l'employeur et des majorations de rémunération pour travail du dimanche, sur la base d'un taux horaire moyen de 14 euros, correspondant à un taux horaire de 15,80 euros pour une année de 365 jours. Le préjudice lié au besoin d'assistance par une tierce personne est, en conséquence, de 1 738 euros.
14. En septième lieu, il résulte de l'instruction que M. C... exerçait l'activité d'artisan métallier-serrurier. En 2014, il s'est reconverti dans un emploi d'opérateur de production et de conduite de machines automatiques et a été recruté à contrat à durée indéterminée en 2015. L'expert indique que les difficultés à maintenir son activité antérieure sont entièrement imputables à la gravité de la fracture. En revanche, il constate une certaine pénibilité en lien avec le trouble rotatoire, du fait notamment de difficultés dans les escaliers. Compte tenu de la nature de l'activité exercée et du jeune âge de la victime, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice d'incidence professionnelle en l'évaluant à hauteur d'une somme de 2 500 euros.
15. En huitième lieu, eu égard au taux précité de perte de chance de 50 %, l'ensemble des postes de préjudices qui viennent d'être exposés ne donnent lieu à indemnisation que dans la limite de cette perte de chance. M. C... peut donc prétendre, à ce titre, à une somme totale de 5 869 euros.
16. En dernier lieu, M. C... expose avoir dû engager des frais de déplacements pour se rendre aux opérations d'expertise, pour le montant, suffisamment explicité et non sérieusement contesté, de 302,72 euros. Ce poste de frais divers, sans lien avec le préjudice corporel mais lié aux procédures rendues nécessaires pour qu'il puisse faire valoir ses droits, doit être indemnisé intégralement, sans abattement lié à la perte de chance.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Le centre hospitalier de Brioude doit être condamné à lui verser la somme totale de 6 171,72 euros.
Sur les frais de médiation :
18. Aux termes de l'article L. 213-8 du code de justice administrative : " Lorsque la mission de médiation est confiée à une personne extérieure à la juridiction, le juge détermine s'il y a lieu d'en prévoir la rémunération et fixe le montant de celle-ci. / Lorsque les frais de la médiation sont à la charge des parties, celles-ci déterminent librement entre elles leur répartition. / A défaut d'accord, ces frais sont répartis à parts égales, à moins que le juge n'estime qu'une telle répartition est inéquitable au regard de la situation économique des parties (...) ". En l'espèce, alors qu'aucun accord sur le partage des frais de médiation n'est intervenu entre les parties, il n'y a pas lieu de déroger à la répartition à parts égales entre elles des frais de la médiation qu'elles ont acceptée.
Sur les dépens :
19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les dépens, correspondant à l'expertise diligentée par le juge des référés du tribunal, à la charge du centre hospitalier de Brioude.
Sur les frais de l'instance :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Brioude, tenu aux dépens, une somme de 1 000 euros à verser à M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par le centre hospitalier sur le même fondement doivent en revanche être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901351 du 12 avril 2022 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Brioude est condamné à verser à M. C... la somme de 6 171,72 euros.
Article 3 : Les frais de la médiation engagée en première instance demeurent répartis à part égale entre M. C... et le centre hospitalier de Brioude.
Article 4 : Les dépens sont mis à la charge du centre hospitalier de Brioude.
Article 5 : La somme de 1 000 euros, à verser à M. C..., est mise à la charge du centre hospitalier de Brioude sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au centre hospitalier de Brioude, à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Loire et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme. Copie en sera adressée à M. A..., expert.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01768