Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Stepi a demandé, sous le numéro 1602430, au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le préfet de l'Oise sur sa demande, présentée le 18 mai 2016, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 21 décembre 2000 relatif à la fermeture hebdomadaire des boulangeries et points de vente de pains et produits panifiés frais, d'abroger cet arrêté à compter du 18 mai 2016, ou à défaut à compter du 18 juillet 2016, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La fédération des entreprises de boulangerie a demandé, sous le numéro 1701472, au même tribunal d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le préfet de l'Oise sur sa demande, présentée le 25 janvier 2016, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 21 décembre 2000 relatif à la fermeture hebdomadaire des boulangeries et points de vente de pains et produits panifiés frais, d'enjoindre au préfet de l'Oise, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de procéder à cette abrogation ou, à défaut, de réexaminer la demande tendant à cette fin dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et de mettre à la charge de l'Etat et de la fédération de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de l'Oise les sommes respectives de 3 500 et 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des jugements n° 1602430 et 1701472 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par des arrêts n° 19DA00476 et n° 19DA00485 en date du 26 novembre 2020, la cour a, avant dire droit sur les conclusions des requêtes présentées respectivement par la fédération des entreprises de boulangerie et la société Stepi, ordonné à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion de lui communiquer, dans un délai de trois mois à compter de la notification desdits arrêts, tout élément permettant d'établir l'existence d'une majorité indiscutable favorable à la fermeture hebdomadaire des établissements dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de pain frais et produits panifiés frais dans le département de l'Oise.
Par un mémoire complémentaire, enregistré le 16 mars 2021, la société Stepi, représentée par Me A..., persiste dans ses précédentes conclusions, par les mêmes moyens, et porte à 4 500 euros la somme qu'elle demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des ordonnances du 4 mai 2021, la clôture de l'instruction, dans ces deux affaires, a été fixée au 21 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 21 décembre 2000, intervenu à la suite d'un accord conclu le 26 avril 2000 entre certains syndicats d'employeurs et de travailleurs concernés, le préfet de l'Oise a prescrit la fermeture, un jour par semaine, de tous les établissements ou parties d'établissements implantés dans ce département dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de pain frais et produits panifiés frais. La fédération des entreprises de boulangerie et la société Stepi ont demandé, respectivement les 25 janvier 2016 et 18 mai 2016, l'abrogation de cet arrêté. Elles relèvent appel des jugements du 27 décembre 2018 par lesquels le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions implicites du préfet de l'Oise refusant d'abroger l'arrêté en date du 21 décembre 2000.
2. Les requêtes susvisées n° 19DA00476 et n° 19DA00485 présentées par la fédération des entreprises de boulangerie et la société Stepi présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé des jugements :
3. Aux termes de l'article L. 3132-29 du code du travail : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. / A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois. ".
4. D'une part, il résulte de l'article L. 3132-29 du code du travail que la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée, par arrêté préfectoral, sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés.
5. D'autre part, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation. Lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
6. Enfin, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non contredites par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
7. Lors de l'édiction de l'arrêté du 21 décembre 2000, le préfet de l'Oise s'est fondé sur le fait que l'accord, intervenu le 26 avril 2000 entre la fédération de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de l'Oise, la fédération des commerçants non sédentaires, la fédération des coopératives de consommateurs de Normandie-Picardie, la confédération générale de l'alimentation en détail, la fédération nationale de l'épicerie et les syndicats CGT-FO, CFE-CGC, CFDT et CGT, exprimait alors la volonté de la majorité des professionnels, à titre principal ou accessoire, concernés par la fabrication, la vente ou la distribution de pain et de viennoiserie dans le département de l'Oise.
8. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des données de l'institut national de la statistique et des études économiques et du tableau établi sur la base des chiffres fournis par l'annuaire des entreprises des chambres de commerce et d'industrie de France, que si, pour l'année 2000, les boulangeries artisanales étaient, dans le département de l'Oise, au nombre de 374 sur un total de 1 096 établissements vendant du pain, soit une proportion de 34 %, elles ne sont, pour l'année 2019, plus qu'au nombre de 311 sur un total de 1 740 établissements vendant du pain, soit une proportion de 18 %. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la fédération de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de l'Oise, signataire de l'accord intervenu le 26 avril 2000, ne représente qu'environ la moitié des boulangeries artisanales. Il est constant qu'outre la fédération de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de l'Oise, quatre autres organisations d'employeurs ont signé l'accord intervenu le 26 avril 2000 ainsi qu'il a été dit au point précédent. Mais en l'absence de tout élément produit en réponse au supplément d'instruction ordonné par la cour, par les arrêts avant dire droit n° 19DA00476 et n° 19DA00485 du 26 novembre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'établit pas, à la date du présent arrêt, le nombre d'établissements vendant effectivement du pain frais et des produits panifiés frais à titre principal ou accessoire que ces organisations représenteraient dans le département de l'Oise, alors que les appelants soutiennent sérieusement qu'elles n'en représentent qu'un faible nombre. En outre, il ressort des pièces du dossier que de nombreux établissements susceptibles de vendre du pain ou des produits panifiés à titre accessoire dans le département de l'Oise, tels que les établissements de restauration rapide, les supermarchés et les stations-services, ne sont pas représentés par les signataires de cet accord, de sorte qu'ils ne sauraient être présumés y être favorables. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existe, à la date du présent arrêt, une majorité indiscutable favorable à la fermeture hebdomadaire des établissements dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de pain frais et produits panifiés frais dans le département de l'Oise. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen concernant l'existence d'une telle majorité à la date d'édiction de l'arrêté en litige, la fédération des entreprises de boulangerie et la société Stepi sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions implicites par lesquelles le préfet de l'Oise a refusé d'abroger son arrêté du 21 décembre 2000. Dès lors, ces jugements et ces décisions implicites doivent être annulés.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
9. Le présent arrêt, qui fait droit aux demandes d'annulation des refus d'abroger l'arrêté préfectoral du 21 décembre 2000, implique nécessairement qu'il soit enjoint à la préfète de l'Oise d'abroger cet arrêté. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser respectivement à la fédération des entreprises de boulangerie et à la société Stepi au titre des frais qu'elles ont exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les jugements du 27 décembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens et les décisions implicites par lesquelles le préfet de l'Oise a refusé d'abroger l'arrêté du 21 décembre 2000 prescrivant la fermeture, un jour par semaine, de tous les établissements ou parties d'établissements implantés dans ce département dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de pain frais et produits panifiés frais sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Oise d'abroger cet arrêté du 21 décembre 2000 dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros respectivement à la fédération des entreprises de boulangerie et à la société Stepi au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération des entreprises de boulangerie, à la société Stepi, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la préfète de l'Oise.
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N°19DA00476 et 19DA00485
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