Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... G... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 3 février 2020 par lequel le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit et lui a interdit un retour sur le territoire français pendant une durée de six mois.
Par un jugement n° 2000637 du 6 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'État une somme globale de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 20BX01666 le 14 mai 2020, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 février 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. G... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal a considéré que son arrêté du 3 février 2020 était entaché d'un vice de procédure en ce qu'il aurait méconnu le droit de M. G... d'être entendu préalablement à l'arrêté litigieux.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 20BX01667 le 14 mai 2020, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 février 2020.
Il soutient que les conditions posées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont remplies dès lors que le jugement attaqué est mal-fondé de sorte que la demande présentée par M. G... devant les premiers juges doit être rejetée.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. G..., ressortissant tunisien né le 5 octobre 1993, est entré en France le 18 août 2019 et s'y est maintenu irrégulièrement au-delà de la durée de validité de son visa sans effectuer de démarche en vue d'obtenir un titre de séjour. Par un arrêté du 3 février 2020, le préfet de la Haute-Garonne a obligé M. G... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit et a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée de six mois. Par la requête n° 20BX01666, le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 6 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'État une somme globale de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par sa requête enregistrée sous le n° 20BX01667, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de sursoir à l'exécution du même jugement du tribunal. Ses deux requêtes ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
3. Toutefois, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision portant obligation de quitter le territoire français implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. G... a été entendu, assisté d'un interprète en langue arabe, par un officier de police judiciaire le 3 février 2020 dans le cadre d'une retenue aux fins de vérification du droit de circulation ou de séjour. Des questions lui ont tout d'abord été posées sur son identité, les raisons de son départ de son pays d'origine et son parcours, sa situation familiale, sa situation administrative, ses documents d'identité et ses moyens de subsistance. Le procès-verbal qui a été signé par l'intéressé après lecture faite par l'interprète mentionne ensuite que : " vous m'informez qu'une décision portant éloignement est susceptible d'être prise à mon encontre ; que j'ai la possibilité de présenter spontanément des observations écrites ou orales ". Si à la question " En cas de décision d'éloignement prise à votre encontre par la préfecture de la Haute-Garonne, à destination de votre pays d'origine ou d'un pays où vous êtes légalement admissible, éventuellement assortie d'une assignation à résidence, une interdiction de retour en France ou d'un placement en centre de rétention administrative pour une durée n'excédant pas 90 jours, avez-vous des observations à formuler ' ", l'officier de police judiciaire n'a mentionné aucune réponse, cette seule circonstance ne peut suffire à considérer que M. G... n'aurait pas été mis à même de présenter des observations, de manière effective, sur la perspective de son éloignement, notamment au regard de sa situation personnelle et qu'ainsi le préfet aurait méconnu son droit d'être entendu. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur le motif tiré d'un vice de procédure pour annuler l'arrêté du 3 février 2020.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. G... devant le tribunal administratif de Toulouse.
S'agissant des autres moyens invoqués par M. G... :
6. En premier lieu, par un arrêté du 17 décembre 2019, régulièrement publié le jour même, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation de signature à Mme F..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer les décisions prévues aux articles L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté litigieux doit être écarté.
7. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux vise les conventions internationales et les dispositions légales dont il est fait application, comporte des éléments de faits relatifs à la situation de M. G... et expose les raisons pour lesquelles le préfet l'a obligé à quitter le territoire français et a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée de six mois. Ces indications étaient suffisantes pour permettre à l'intéressé de comprendre et de contester les mesures prises à son encontre. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation doit être écarté.
8. En troisième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté du 3 février 2020, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de M. G....
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que M. G... est entré en France très récemment à l'âge de 26 ans. Il est célibataire sans charge d'enfant en France. S'il soutient vivre en concubinage avec une ressortissante française avec laquelle il a l'intention de se marier, la vie maritale invoquée, à la supposer établie, est particulièrement récente. En outre, l'intéressé ne conteste pas avoir conservé des attaches familiales en Tunisie où il a vécu la majeure partie de sa vie. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels l'arrêté litigieux a été pris et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché d'erreur manifeste son appréciation des conséquences de ses décisions sur la situation personnelle de M. G....
11. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en estimant que M. G... n'apportait pas d'élément susceptible d'établir l'existence du concubinage qu'il invoquait, le préfet aurait entaché son arrêté d'une erreur de fait.
12. En sixième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté litigieux aurait été pris dans le but de faire obstacle au projet de mariage de M. G... alors au demeurant qu'il ne ressort pas de ces mêmes pièces que le rendez-vous obtenu le 26 mars 2020 auprès des services de l'état civil en vue du dépôt d'un dossier de mariage aurait été demandé antérieurement à l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen tiré d'un détournement de pouvoir doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 6 février 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 3 février 2020 et a mis à la charge de l'État la somme globale de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement :
14. Par le présent arrêt, la cour statuant sur les conclusions de la requête du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement deviennent sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20BX01667.
Article 2 : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 6 février 2020 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. G... devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... G..., à Me E..., à Me H..., à Me D... et à Me I....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. C... B..., président,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller,
Mme Charlotte Isoard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2020.
Le président-rapporteur,
Didier B...
Le premier assesseur,
Nathalie Gay-SabourdyLe greffier,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01666, 20BX01667