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05/07/2022 | FRANCE | N°22VE00517

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 05 juillet 2022, 22VE00517


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 8 février 2022 par laquelle la préfète du Loiret a prononcé son trasnfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'enjoindre à la préfète de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice admin

istrative.

Par un jugement n° 2200628 du 3 mars 2022, la magistrate désignée ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 8 février 2022 par laquelle la préfète du Loiret a prononcé son trasnfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'enjoindre à la préfète de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2200628 du 3 mars 2022, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 8 février 2022, enjoint à la préfète du Loiret de procéder à l'enregistrement de la demande d'asile de M. E... dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale et mis à la charge de l'Etat le versement à M. E... d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 mars 2022, le préfet du Loiret, représenté par Me Cano, avocat, demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- le premier juge a, à tort, annulé la décision de transfert au motif qu'en application de l'article 29.2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, la France était devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de M. E... à compter du 22 juillet 2021, alors que

celui-ci se trouvait en état de fuite faute d'être venu pointer dans le cadre d'une assignation à résidence prise pour l'exécution de la mesure du transfert ; la circonstance que l'intéressé, postérieurement à plusieurs défauts de pointage du 19 février au 1er mars 2021, et au constat de carence relevé par procès-verbal, se serait présenté pour pointer, par la suite, ne peut remettre en cause la situation de fuite ; la preuve du pointage ultérieur au procès-verbal de police ne résulte pas d'éléments solides et ne peut être tenue pour établie ;

- les autres moyens soulevés devant le premier juge ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2022, M. E..., représenté par Me Daurelle, avocate, demande de rejeter la requête du préfet du Loiret, de lui enjoindre de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me Daurelle, avocate de M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant géorgien né le 14 avril 1990 à Keutaissi (Géorgie), est entré irrégulièrement sur le territoire français et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile, le 19 janvier 2021. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait antérieurement déposé une demande d'asile auprès des autorités allemandes. Saisies par le préfet du Loiret le 20 janvier 2021, les autorités allemandes ont explicitement accepté, le 26 janvier suivant, de reprendre en charge M. E... sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par arrêté du 3 février 2021, le préfet du Loiret a décidé du transfert de l'intéressé vers l'Allemagne et a assorti cette décision d'une assignation à résidence. N'ayant pas respecté les obligations de présentation prescrites par ce dernier arrêté, M. E... a été déclaré en fuite le 15 mars 2021. Les autorités allemandes en ont été avisées, le 16 mars suivant, par le préfet du Loiret ainsi que de l'extension du délai de transfert à dix-huit mois, en application du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. L'intéressé a ensuite été écroué le 22 décembre 2021 au centre pénitentiaire d'Orléans-Saran en exécution d'une condamnation à trois mois d'emprisonnement pour des faits de vol, prononcée par le tribunal correctionnel d'Orléans. Par arrêté du 8 février 2022, la préfète du Loiret a abrogé l'arrêté préfectoral du 3 février 2021 et décidé un nouveau transfert de M. E... aux autorités allemandes. Elle fait appel du jugement du 3 mars suivant par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif d'Orléans a annulé ce second arrêté.

2. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27 (...) / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite (...) ". Il résulte clairement de ces dispositions que le transfert vers l'Etat membre responsable peut avoir lieu pendant une période de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge et est susceptible d'être portée à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite ", cette notion devant s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant.

3. Pour estimer qu'en application de l'article 29.2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, la France était devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de M. E... à compter du 22 juillet 2021 et annuler l'arrêté contesté, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif d'Orléans s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé ne pouvait être regardé comme en fuite au sens de ces dispositions, faisant ainsi obstacle à ce que le délai dans lequel le transfert devait être opéré soit porté à dix-huit mois. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, par procès-verbal du 1er mars 2021, la police aux frontières a constaté que l'intéressé ne s'était jamais présenté au service depuis la notification - le 14 février 2021 - de l'arrêté portant assignation à résidence, lequel imposait à M. E... une obligation de " pointage " trois fois par semaine. Si l'intéressé fait valoir, comme devant le premier juge, avoir respecté ses obligations de présentation au commissariat de police, il n'en justifie pas, ni pour la période courant du 19 février 2021 au 1er mars 2021, soit pendant les dix premiers jours de l'assignation à résidence de quarante-cinq jours, ni pour celle restant à courir, soit jusqu'au 5 avril 2021. Si, devant le premier juge, il a soutenu s'être rendu au commissariat aux jours arrêtés par l'arrêté d'assignation à résidence et n'avoir jamais cherché à cacher son hébergement au domicile de la mère de sa compagne, ces allégations, qui auraient été confirmées à l'audience par la mère de sa compagne devant le tribunal, ne peuvent pour autant être regardées comme établies en l'absence des documents attestant d'un tel pointage qu'il était loisible à l'intéressé ou à son conseil de demander aux services de police notamment durant le déroulement de la procédure d'appel. A cet égard, l'attestation sur l'honneur de la mère de la compagne du requérant produite devant la cour, qui ne porte d'ailleurs pas sur la période, ni sur les faits en cause, ne saurait suffire. Si, devant le juge d'appel, il fait encore valoir qu'il n'aurait avoir reçu de convocation à se présenter au commissariat, du fait d'un changement d'adresse non pris en compte par l'administration, il ne conteste pas que l'obligation de " pointage " figurait dans l'arrêté d'assignation à résidence et son ignorance d'une telle obligation est d'ailleurs directement contredite par ses propos tenus devant le premier juge. Par suite, l'intéressé s'étant soustrait pendant une durée significative aux obligations de pointage qui lui avaient été imposées dans le cadre de l'assignation à résidence décidée en vue de son transfert vers l'Allemagne, et ne faisant état d'aucun élément sérieux de nature à justifier d'une telle soustraction, c'est à bon droit, sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de fait, que la préfète du Loiret l'a regardé comme ayant pris " la fuite " au sens et pour l'application de l'article 29 précité. La magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ne pouvait, dès lors, au regard de cet article 29, annuler la décision de transfert de M. E... aux autorités allemandes.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant la cour et le tribunal administratif d'Orléans.

5. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. Christophe Carol, secrétaire général adjoint de la préfecture, qui bénéficiait d'une délégation de la préfète du Loiret du 27 juillet 2021, publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, lui permettant de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Benoît Lemaire, secrétaire général de la préfecture, " tous arrêtés, décisions (...) relevant des attributions de l'Etat dans le département ", à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figure pas celui contesté. Par ailleurs, eu égard au caractère réglementaire de cet acte et au caractère suffisant de la publication, M. E... n'est, en toute hypothèse, pas fondé à soutenir qu'il ne serait pas rapporté la preuve de celle-ci. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

7. M. E... fait valoir l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté en ce qu'il serait rédigé en des termes stéréotypés et ne ferait pas état de son état de santé, de sa situation familiale, de son comportement à la suite d'un arrêté du 30 août 2021, de l'aménagement de peine dont il a bénéficié en novembre 2021, ainsi que de son départ du territoire allemand depuis plus de douze mois. Toutefois, l'arrêté attaqué vise les textes dont il est fait application, mentionne les principaux éléments de fait relatifs à sa situation personnelle et indique avec précision les raisons pour lesquelles la préfète du Loiret a ordonné son transfert aux autorités allemandes. Ces indications, qui ont permis à l'intéressé de comprendre et de contester la mesure prise à son encontre, étaient ainsi suffisantes, alors même que cette décision ne comporte pas d'informations relatives aux raisons qui l'ont amené à quitter l'Allemagne, à sa situation familiale, à son comportement au cours de l'automne 2021 ou encore à son état de santé. Par suite, le moyen tiré de la motivation insuffisante de l'arrêté contesté doit être écarté.

8. En troisième lieu, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. E... aurait informé la préfète du Loiret de sa situation personnelle par des mentions plus précises que celles figurant dans le résumé de l'entretien individuel, ni la motivation de l'arrêté contesté, ni aucune autre pièce du dossier ne permettent de considérer qu'elle n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation. Par suite, le moyen ainsi soulevé doit être écarté.

9. En quatrième lieu, M. E... fait valoir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit en ce que les autorités allemandes ne seraient plus responsables de sa demande d'asile au regard des articles 13 et 19 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

10. Toutefois et d'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ".

11. Il n'est pas contesté que l'Allemagne était, lors de la présentation de sa demande de protection internationale par M. E... devant ces autorités, le 27 janvier 2021, responsable de l'examen de cette demande. M. E... ne peut, pour contester qu'elle le demeurerait, utilement se prévaloir de l'article 13 susmentionné dont les dispositions ne sont susceptibles de s'appliquer qu'au ressortissant d'un pays tiers qui présente une demande d'asile pour la première fois depuis son entrée sur le territoire de l'un ou l'autre des Etats membres, et non à celui qui présente une demande d'asile dans un Etat membre après avoir déposé une première demande d'asile dans un autre Etat membre, alors d'ailleurs que les autorités allemandes l'ont reconnu en donnant explicitement leur accord au transfert de l'intéressé.

12. D'autre part, aux termes de l'article 19 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Si un Etat membre délivre au demandeur un titre de séjour, les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, lui sont transférées. / 2. Les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, cessent si l'Etat membre responsable peut établir, lorsqu'il lui est demandé de prendre ou reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des Etats membres pendant une durée d'au moins trois mois, à moins qu'elle ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité délivré par l'Etat membre responsable. Toute demande introduite après la période d'absence visée au premier alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'Etat membre responsable. / 3. Les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l'État membre responsable peut établir, lorsqu'il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d'une décision de retour ou d'une mesure d'éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande. / Toute demande introduite après qu'un éloignement effectif a eu lieu est considérée comme une nouvelle demande et donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'Etat membre responsable ".

13. M. E..., qui ne produit aucun élément à l'appui de ses allégations, n'établit pas entrer dans l'une des hypothèses prévues à l'article 19 précité, qu'il ne précise d'ailleurs pas explicitement, et n'est donc pas fondé à soutenir que les obligations de l'Allemagne à son égard auraient pris fin. S'il semblerait plus particulièrement vouloir se prévaloir du dernier alinéa de cet article, il est constant que l'arrêté pris à son encontre est fondé sur le b) du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et non sur son c) ou son d). Enfin, la circonstance que l'arrêté ne prend pas en compte l'évolution de sa vie privée et familiale, notamment le fait qu'il soit père depuis le 29 décembre 2021 et son état de santé, est sans incidence dès lors que la légalité de cet arrêté s'apprécie à la date à laquelle il a été pris.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " et aux termes des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, de autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

15. M. E... fait valoir qu'il réside sur le territoire français depuis près de trois ans, qu'il est le concubin de Mme A... D... depuis le 12 octobre 2019, qu'ils vivent au domicile de sa belle-mère, titulaire d'une carte de résident longue durée, et que leur fils est né le 29 décembre 2021. Toutefois, à l'exception de ses propres déclarations, de l'acte de naissance de l'enfant et d'une attestation de sa belle-mère dépourvue de valeur probante, l'intéressé, pas plus en appel qu'en première instance, ne justifie, par aucune pièce utile, émanant en particulier de Mme A... D... - dont la situation au regard du droit au séjour n'est d'ailleurs pas précisée -, de l'existence d'une communauté de vie stable ni même de relations entre cette dernière, son fils, et lui-même. En outre, il ne justifie pas de l'ancienneté de sa présence en France à la date de la décision en litige. Enfin, le requérant a fait l'objet d'une condamnation pénale à trois mois de prison pour vol. Dès lors, cette décision n'a pas porté au droit au respect de la vie familiale et privée de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni en tout état de cause les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle.

16. En sixième lieu, en l'absence de démonstration de liens effectifs avec l'enfant qu'il a reconnu, M. E... ne peut utilement soutenir que cette décision méconnaîtrait l'intérêt supérieur de cet enfant mineur, au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

17. En septième lieu, la décision portant transfert de M. E... aux autorités allemandes dans le cadre de sa demande d'asile n'a pas été prise pour l'application d'une décision par laquelle la préfère du Loiret se serait prononcée sur une demande de l'intéressé tendant à être admis au séjour en raison de son état de santé sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen invoquant la méconnaissance de ces dispositions ne peut être utilement invoqué à l'appui du recours dirigé contre la décision de transfert aux autorités allemandes et ne peut ainsi qu'être écarté, alors qu'au surplus, M. E... n'établit pas qu'il ne pourrait pas être convenablement pris en charge au plan sanitaire dans son pays d'origine, la Géorgie.

18. Par ailleurs, M. E... se prévaut, devant le juge d'appel, de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 selon lequel " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Toutefois, il ne produit aucun document permettant d'établir qu'il ne pourrait pas être pris en charge dans des conditions adaptées à son état de santé en Allemagne et que son état de santé le placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France.

19. En huitième lieu, M. E... ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, motif pris de ce que les faits à l'origine de de sa condamnation pénale ne sauraient être regardés comme constitutifs d'une atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, dès lors qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que celui-ci n'a pas pour objet de l'expulser mais uniquement de prononcer son transfert aux autorités allemandes. Il ne saurait davantage utilement faire valoir que son comportement ne constituerait pas une menace pour l'ordre public dès lors que cette circonstance, à la supposée établie, est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision contestée.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Loiret est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté attaqué, lui a enjoint de procéder à l'enregistrement de la demande d'asile de M. E... dans un délai d'un mois et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées par M. E... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, ne peuvent également qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200628 du 3 mars 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif d'Orléans ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... E.... Copie en sera adressée à la préfète du Loiret.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Bresse, président de chambre,

Mme Bonfils, première conseillère,

Mme Deroc, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juillet 2022.

La rapporteure,

M. DerocLe président,

P. BresseLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

2

N° 22VE00517


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00517
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : CABINET ZADOURIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-07-05;22ve00517 ?
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