Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Seac Guiraud Frères a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 22 septembre 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de la 8ème section d'inspection du travail de l'Aude a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... D..., d'autre part, la décision du 7 novembre 2016 rejetant son recours gracieux contre cette décision, enfin la décision du 21 juillet 2017 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision du 22 septembre 2016 de l'inspecteur du travail.
Par un jugement n° 1702385, 1704511 du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a annulé ces trois décisions.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 mars 2019 et le 24 septembre 2019, M. D..., représenté par la SCP Denjean et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 décembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande de la société Seac Guiraud Frères présentée devant le tribunal administratif de Montpellier ;
3°) de mettre à la charge de la société Seac Guiraud Frères la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
- la demande de licenciement présentée par son employeur est en lien avec l'exercice de ses mandats syndicaux.
Par une intervention, enregistrée le 7 mars 2019, le syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT, représenté par la SCP Denjean et associés, demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête par les mêmes moyens que ceux qui sont exposés par M. D... et qu'il soit mis à la charge de la société Seac Guiraud Frères la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une intervention, enregistrée le 7 mars 2019, la fédération construction et bois CFDT, représentée par la SCP Denjean et associés, demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête par les mêmes moyens que ceux qui sont exposés par M. D... et qu'il soit mis à la charge de la société Seac Guiraud Frères la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2019, la société Seac Guiraud Frères, représentée par la SELARL Clément-Malbec-Conquet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et celle de 1 000 euros chacun à la charge du syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et de la fédération construction et bois CFDT au même titre.
Elle soutient que :
- les organisations syndicales ne justifient pas à l'appui de leur intervention d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des professions qu'elles représentent leur donnant qualité pour intervenir ;
- les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la ministre du travail qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant M. D..., le syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et la fédération construction et bois CFDT.
Considérant ce qui suit :
1. En 2006 et 2010, la société Seac Guiraud Frères a sollicité à deux reprises l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. D..., salarié protégé en qualité de délégué syndical central, délégué syndical des sites de Montredon et Baho, conseiller des salariés et conseiller titulaire auprès du conseil d'administration de l'URSSAF du Languedoc Roussillon. Ces demandes ont été rejetées par des décisions de l'inspecteur du travail compétent. Celui-ci a, de nouveau, refusé de faire droit à la demande d'autorisation de licenciement de la société, par une décision du 22 septembre 2016, ce refus étant confirmé, sur recours gracieux, par une décision du 7 novembre 2016. Suite au recours hiérarchique formé par la société, la ministre du travail a, par une décision du 21 juillet 2017, " confirmé " la décision du 22 septembre 2016 de l'inspecteur du travail, après avoir procédé à une substitution de motifs. Par un jugement du 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a, à la demande de la société Seac Guiraud Frère, annulé ces trois décisions de refus d'autorisation. M. D... relève appel de ce jugement.
Sur les interventions :
2. Est recevable à former une intervention toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. En l'espèce, le syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et la fédération construction et bois CFDT justifient, par leur objet statutaire et les questions soulevées par le litige, d'un intérêt de nature à les rendre recevables à intervenir au soutien des conclusions de M. D... qui tendent à l'annulation d'un jugement qui annule des décisions refusant l'autorisation de licenciement d'un salarié ayant la qualité de délégué syndical. Leur intervention doit, par suite, être admise.
Sur la légalité des décisions de l'inspecteur du travail :
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. L'autorité administrative ne peut légalement faire droit à une telle demande d'autorisation de licenciement que si l'ensemble de ces exigences sont remplies. Par suite, lorsqu'il est saisi par l'employeur d'une demande tendant à l'annulation d'une décision de l'inspecteur du travail qui a estimé que l'une de ces exigences au moins n'était pas remplie et qui s'est, en conséquence, fondée sur un ou plusieurs motifs faisant, chacun, légalement obstacle à ce que le licenciement soit autorisé, le juge de l'excès de pouvoir ne peut annuler cette décision que si elle est entachée d'illégalité externe ou si aucun des motifs retenus par l'inspecteur du travail n'est fondé.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le licenciement d'un salarié protégé ne peut être autorisé s'il est en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. A ce titre, l'article R. 2421-7 du code du travail prévoit que, saisis d'une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé, " l'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ". Il appartient ainsi à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, d'opérer un tel contrôle au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de leur décision.
5. La décision du 22 septembre 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. D... relève, sans la caractériser, que l'intéressé a commis une faute dans l'exécution de son contrat de travail en bloquant le camion conduit par un collègue de travail. Pour refuser la demande de licenciement, l'inspecteur du travail a toutefois estimé, qu'en l'espèce, il existait un lien entre les mandats détenus par M. D... et la demande de licenciement.
6. Il ressort des pièces du dossier que plusieurs procédures judiciaires ont été engagées avec succès par M. D... pour que son employeur mette fin à diverses entraves à l'exercice de ses mandats. Ainsi, par un jugement de départage rendu le 21 octobre 2010, le conseil de prud'hommes de Narbonne, après avoir constaté que l'employeur avait illégalement refusé de réintégrer son salarié, a condamné la société Seac Guiraud Frères à reprendre le versement intégral du salaire de M. D... à compter du 14 juin 2010. Un second jugement de la même juridiction daté du 19 janvier 2017 a condamné la société à verser des dommages et intérêts à l'intéressé à raison d'un comportement discriminatoire de l'employeur à raison de différents faits survenus au cours des années 2007 à 2012. Toutefois, il ne ressort pas de ces mêmes pièces que ces pratiques se seraient poursuivies postérieurement à l'année 2012 et jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail du 28 septembre 2016. Notamment, la création par l'employeur d'un poste de coordonnateur logistique à compter du mois de novembre 2014 n'est pas de nature à établir l'existence d'une telle discrimination, comme l'a relevé, au demeurant, le conseil de prud'hommes de Narbonne dans son jugement du 19 janvier 2017. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler le refus d'autorisation de licenciement du 22 septembre 2016, et par voie de conséquence celle rejetant son recours gracieux, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Seac Guiraud Frères était, à cette date, sans rapport avec ses mandats.
7. Comme il a été dit au point 5, pour refuser l'autorisation de licencier M. D..., l'inspecteur du travail ne s'est pas fondé sur la circonstance que les agissements de l'intéressé à l'égard d'un autre salarié de l'entreprise ne caractérisaient pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Par suite, si le requérant soutient que la faute qui lui est reprochée ne présente pas un tel degré de gravité, ce moyen est inopérant à l'encontre des décisions de l'inspecteur du travail.
Sur la légalité de la décision de la ministre du travail :
8. Il ressort des pièces du dossier que pour " confirmer " la décision de l'inspecteur du travail, la ministre du travail a procédé à une substitution de motif et s'est fondée sur la circonstance que les faits reprochés à M. D... ne constituaient pas un comportement suffisamment grave de nature à justifier son licenciement.
9. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir statuant sur la légalité des décisions prises en matière d'autorisation de licenciement des salariés protégés, de tenir compte de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache aux constatations de fait mentionnées dans une décision définitive du juge pénal statuant sur le fond de l'action publique et qui sont le support nécessaire de son dispositif.
10. Il ressort du jugement du juge de proximité de Narbonne du 2 juin 2016 statuant sur le fond de l'action publique et condamnant définitivement M. D... à une amende contraventionnelle de 150 euros pour des violences n'ayant entraîné aucune incapacité de travail, que le 3 août 2015 l'intéressé a bloqué un camion conduit par un collègue de travail avec son chariot élévateur et essayé de tirer celui-ci hors de sa cabine, occasionnant des douleurs à la victime et la plongeant dans un état de choc. L'autorité absolue de la chose jugée s'attache à ces constatations de fait du juge pénal, alors même que le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude a pu estimer dans un jugement du 15 mai 2018, d'ailleurs non définitif, que les faits avaient " un caractère incertain " et que le syndrome anxio-dépressif dont avait été victime M. D... à cette occasion présentait le caractère d'un accident du travail. La circonstance que le collègue de travail de M. D... n'a pas été sanctionné à la suite de cet incident est sans incidence sur la matérialité des faits reprochés au requérant. Si celui-ci soutient que ces faits présentaient un caractère isolé et si la ministre a constaté dans sa décision l'absence d'antécédents disciplinaires de moins de trois ans, il ressort des pièces du dossier qu'ils ont néanmoins été accomplis, devant témoin, dans l'enceinte de l'entreprise, et qu'ils étaient accompagnés d'insultes. Ces faits revêtaient, dans les circonstances de l'espèce, un degré de gravité suffisant pour justifier le licenciement de l'intéressé.
11. Par suite, M. D... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision du 21 juillet 2017 de la ministre du travail.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les décisions des 22 septembre et 7 novembre 2016 de l'inspecteur du travail et du 21 juillet 2017 de la ministre du travail.
Sur les frais liés au litige :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par M. D... soient mises à la charge de la société Seac Guiraud Frères, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la société Seac Guiraud Frères.
16. Le syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et la fédération construction et bois CFDT, intervenants au soutien des conclusions de M. D..., n'étant pas parties à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à leur charge les sommes demandées à ce titre par la société Seac Guiraud Frères.
D É C I D E :
Article 1er : Les interventions du syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et de la fédération construction et bois CFDT sont admises.
Article 2 : La requête M. D... est rejetée.
Article 3 : M. D... versera à la société Seac Guiraud Frères une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Seac Guiraud Frères tendant à ce que soit mise à la charge du syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et de la fédération construction et bois CFDT une somme à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à la société Seac Guiraud Frères, au syndicat interdépartemental Construction et bois de l'Aude et des Pyrénées-Orientales CFDT et à la fédération construction et bois CFDT.
Copie en sera adressée à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2019.
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N° 19MA01038
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