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06/05/2019 | FRANCE | N°16DA00898

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 06 mai 2019, 16DA00898


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Généton a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à lui verser, au titre du marché conclu avec celle-ci le 22 juin 2007, la somme de 651 264,59 euros, augmentée des intérêts de retard à compter du 8 avril 2010.

Par un jugement n° 1106101 du 29 mars 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à verser à la société Généton la somme de 55 152,74 eur

os, assortie des intérêts au taux légal augmentés de deux points à compter du 3 août 2011.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Généton a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à lui verser, au titre du marché conclu avec celle-ci le 22 juin 2007, la somme de 651 264,59 euros, augmentée des intérêts de retard à compter du 8 avril 2010.

Par un jugement n° 1106101 du 29 mars 2016, le tribunal administratif de Lille a condamné la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à verser à la société Généton la somme de 55 152,74 euros, assortie des intérêts au taux légal augmentés de deux points à compter du 3 août 2011.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 mai 2016, la société Généton, représentée par Me I... F..., demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Lille du 29 mars 2016 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande ;

2°) de condamner la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à lui verser la somme de 651 264,59 euros, augmentée des intérêts de retard au taux conventionnel, ou subsidiairement au taux légal, à compter du 8 avril 2010, avec capitalisation ;

3°) subsidiairement, de condamner la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à lui verser une provision, ou de désigner un nouvel expert ;

4°) de condamner la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à lui verser la somme de 65 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2016, en réparation des préjudices causés par le retard de paiement depuis la saisine du tribunal administratif ;

5°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu:

- le code des marchés publics ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- les observations de Me I...F..., représentant la société Généton,

- et les observations de Me H...E..., représentant la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut.

Une note en délibéré, présentée pour la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut par MeA..., a été enregistrée le 16 avril 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement notifié le 22 juin 2007, la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut a confié à la société Généton le lot n° 1 " Gros oeuvre, charpente, couverture et étanchéité, VRD et réseaux organiques " du marché de construction de la médiathèque communale. La maîtrise d'oeuvre de ces travaux a été confiée au groupement composé de M. C... D..., mandataire, de la société Hexa Ingénierie, de la société XU-Acoustique et de Mme B...G.... La communauté d'agglomération a établi le décompte général de ce marché le 29 avril 2011 et l'a notifié le 5 mai suivant à la société Généton. Estimant que des sommes complémentaires lui étaient dues, la société Généton a ensuite saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille, qui a désigné un expert. L'expert a déposé son rapport le 19 octobre 2011. La société Généton a alors saisi le tribunal administratif en lui demandant de déclarer ce rapport irrégulier, de désigner un nouvel expert et de condamner la communauté d'agglomération à lui verser la somme totale de 651 264,59 euros. Par un jugement du 29 mars 2016, le tribunal administratif a fait partiellement droit à cette demande et a condamné la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à verser à la société Généton la somme de 55 152,74 euros, assortie des intérêts au taux légal augmenté de deux points à compter du 3 août 2011. Il a estimé que la société Généton n'établissait pas avoir, préalablement à la saisine du juge, contesté le décompte général selon les modalités prévues par le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux, que ce décompte était ainsi devenu définitif, et que la société était seulement fondée à demander la condamnation de la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut à lui verser le solde créditeur de celui-ci. Le tribunal administratif a, par ailleurs, rejeté des conclusions d'appel en garantie présentées par la communauté d'agglomération à l'encontre des membres du groupement de maîtrise d'oeuvre. La société Généton relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la totalité de ses conclusions de première instance. La communauté d'agglomération présente des conclusions d'appel provoqué par lesquelles elle demande, en cas de condamnation complémentaire, à être garantie par les membres de la maîtrise d'oeuvre.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des écritures de première instance, que la communauté d'agglomération n'avait opposé aucune fin de non-recevoir aux conclusions indemnitaires présentées par la société Généton. Le tribunal administratif a relevé d'office, pour rejeter ces conclusions en tant que leur montant excédait le solde créditeur du décompte général, " que la société Généton n'établit pas avoir contesté préalablement le décompte général selon les modalités prévues par l'article 13.44 du CCAG ". Il a, ce faisant, soulevé d'office et sans en informer de surcroît les parties, un moyen qui n'était pas d'ordre public. Le jugement est, par suite, irrégulier, et doit, en conséquence, être annulé.

3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Généton devant le tribunal administratif.

Sur la recevabilité des conclusions tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut :

4. La communauté d'agglomération soutient que la société Généton a saisi le tribunal administratif d'une contestation du décompte général sans s'être préalablement conformée à la procédure prévue pour le règlement des différends par l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux.

5. Aux termes de l'article 13.44 du CCAG, version 1976, applicable en l'espèce au marché : " L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de trente jours, si le marché a un délai d'exécution inférieur ou égal à six mois. Il est de quarante-cinq jours dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. ". Même si la contestation du décompte général relève des litiges opposant la personne responsable du marché (PRM) à l'entreprise, et non de ceux opposant ce dernier au maître d'oeuvre, le mémoire de réclamation sur le décompte général doit toujours être adressé directement au maître d'oeuvre, qui est réputé le transmettre ensuite au maître d'ouvrage.

6. La société Généton établit, en appel, avoir adressé au mandataire du groupement de maîtrise d'oeuvre un mémoire en réclamation, daté du 27 mai 2011, reçu par celui-ci le 30 mai suivant, contestant le décompte général qui lui avait été notifié le 5 mai 2011. Ainsi, elle justifie avoir adressé au maître d'oeuvre, dans le délai qui lui était imparti, le mémoire exigé par l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux.

7. Il résulte toutefois de l'instruction que les pénalités de retard retenues par le décompte général, pour un montant total de 108 916 euros toutes taxes comprises, n'ont pas été contestées par la société Généton dans son mémoire en réclamation du 27 mai 2011. Par suite, ces pénalités de retard ne peuvent être contestées, pour la première fois, devant le juge du contrat.

Sur la rémunération complémentaire réclamée par la société Généton au titre de travaux supplémentaires et de sujétions imprévues :

En ce qui concerne le rapport d'expertise :

8. Les insuffisances du rapport d'expertise alléguées par la société Généton, qui a, au demeurant, pu présenter des observations au cours des opérations d'expertise, ne font pas obstacle, en tout état de cause, à ce que la cour de céans prenne ce rapport en considération à titre d'élément d'information, en tenant compte des observations présentées par les parties sur ses conclusions.

En ce qui concerne les travaux supplémentaires et les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché :

9. L'entrepreneur peut demander à être indemnisé à hauteur des travaux supplémentaires qu'il a réalisés sans ordre de service du maître de l'ouvrage dès lors que ces travaux sont indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Par ailleurs, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

10. Il résulte de l'instruction que la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut a déjà tenu compte, dans le décompte général, lequel retient un solde créditeur en sa faveur de 55 152,74 euros, de travaux supplémentaires correspondant à " une plus-value isolation M1 à M10 ", une " rehausse édicule ascenseur ", une " création courette anglaise pour amenée d'air frais ", une " modification voile pour franchir vestige " et une " réalisation courette anglaise ".

11. La société Généton ne conteste pas sérieusement que la réalisation d'un vide sanitaire, dans le sous-sol du bâtiment, résulte d'une erreur commise par son sous-traitant chargé des missions de terrassement. Elle n'est, dès lors, pas fondée à demander l'indemnisation des travaux rendus nécessaires par la création de ce vide sanitaire.

12. La société requérante soutient qu'elle a été tenue de " déporter " le bâtiment, dont l'implantation avait été prévue de manière erronée par la maîtrise d'oeuvre au regard des limites parcellaires et qu'elle a été confrontée à la présence de réseaux enterrés d'électricité et d'eau usées, qui ne lui ont été signalés qu'après le début du chantier, à la présence de vestiges et à la nécessité d'éviter la culée d'un pont franchissant l'Escaut. Selon elle, cette modification d'implantation a engendré des différences d'altimétrie dans les ouvrages de charpente et de toiture, a entraîné un retard de chantier et a aussi impliqué des travaux supplémentaires, notamment la démolition de deux linteaux dans l'espace multimedia et parthothèque, la création ou la modification de murs de soutènement, la démolition d'un poteau prévu en béton, pour le remplacer par un poteau métallique et l'augmentation de quarante centimètres de la hauteur du voile de béton, sur un linéaire de trente mètres, pour franchir les vestiges. Elle fait également valoir qu'elle a été tenue, en vertu d'ordres de service ou afin que l'ouvrage soit réalisé dans les règles de l'art, de déposer certains contreventements, d'élargir la largeur d'une coursive ainsi qu'un escalier, de réaliser certains habillages complémentaires de façades, d'installer une pompe de relevage pour satisfaire aux obligations en matière d'assainissement et de réaliser des travaux indispensables pour le respect des règles de sécurité incendie.

13. L'expert a toutefois estimé que les seuls travaux susceptibles d'être regardés comme supplémentaires avaient été inclus dans le décompte général notifié à la société le 5 mai 2011. La société requérante n'a d'ailleurs produit ses plans d'exécution ni devant l'expert, ni devant le tribunal administratif, ni même, en cause d'appel, devant la cour. Elle ne justifie pas, dès lors, par les seuls documents versés au dossier, que la réalisation de ces travaux lui aurait été imposée en cours de chantier ou qu'elle aurait été rendue nécessaire par l'exigence des règles de l'art. La circonstance qu'un permis de construire modificatif a été déposé par la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut le 14 octobre 2013 indique seulement que le bâtiment finalement construit comporte des différences par rapport au bâtiment projeté lors du dépôt du permis de construire initial, et non que l'entreprise a réalisé des travaux supplémentaires non pris en compte par le maître d'ouvrage. S'il résulte de l'instruction, et notamment du permis de construire modificatif, que l'implantation de l'ouvrage a dû effectivement être modifiée du fait des contraintes rencontrées en cours de chantier, les sujétions imprévues invoquées par la requérante ne peuvent être regardées, compte tenu de leur nature, comme ayant bouleversé l'économie du contrat. L'augmentation de la hauteur du voile de béton a, de surcroît, été prise en compte par le décompte général. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que ces difficultés seraient imputables à des fautes commises par la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du chantier, notamment à l'occasion de la notification des ordres de service.

14. Si la société Généton invoque aussi des erreurs commises par la maîtrise d'oeuvre, elle n'a pas présenté de conclusions tendant à la mise en cause de la responsabilité quasi-délictuelle de celle-ci.

15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de ce que le mémoire en réplique de la requérante n'a pas été présenté par le biais de l'application Télérecours, en méconnaissance de l'article R. 414-1 du code de justice administrative, et sans qu'il soit utile de désigner un nouvel expert, que la société Généton n'est pas fondée à soutenir que la communauté d'agglomération devrait lui verser, à titre de rémunération complémentaire, la somme de 651 264,59 euros toutes taxes comprises. La communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut doit seulement verser à la société Généton, si ce versement n'a pas encore été effectué, le montant du solde du marché retenu par le décompte général, soit la somme de 55 752,74 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux contractuel, soit le taux légal augmenté de deux points, à compter du 20 juin 2011 et jusqu'au paiement du principal. La société Généton a droit à la capitalisation de ces intérêts à la date du 20 juin 2012 ainsi que, le cas échéant, à chaque échéance annuelle successive.

Sur les autres conclusions indemnitaires de la société Généton :

16. La société Généton ne justifie pas que le retard de paiement du solde du marché lui aurait causé un préjudice distinct du préjudice financier déjà réparé par les intérêts moratoires mentionnés au point 15 ci-dessus.

Sur les conclusions de la société Généton tendant à ce que la cour lui accorde une provision :

17. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur le fond du litige, les conclusions de la société requérante tendant à ce qu'elle lui accorde une provision sont sans objet.

Sur les conclusions par lesquelles la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut appelle en garantie les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre :

18. La communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut étant seulement condamnée, par le présent arrêt, à verser à la société Généton le solde créditeur fixé par le décompte général qu'elle a notifié à celle-ci, ses conclusions tendant à être garantie, en cas de condamnation au paiement de sommes complémentaires, par les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre, sont sans objet.

Sur les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1106101 du tribunal administratif de Lille du 29 mars 2016 est annulé.

Article 2 : La communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut est condamnée à payer à la société Généton la somme de 55 752,74 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal augmentés de deux points, à compter du 20 juin 2011 et jusqu'au paiement du principal. Les intérêts seront capitalisés à la date du 20 juin 2012 ainsi que, le cas échéant, à chaque échéance annuelle successive.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Généton et la communauté d'agglomération de la Porte du Hainaut.

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N°16DA00898


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA00898
Date de la décision : 06/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-07-01-04-01 Procédure. Pouvoirs et devoirs du juge. Questions générales. Moyens. Moyens d'ordre public à soulever d'office.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: Mme Valérie Petit
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABINET CHRISTIAN CLAUDE GUILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-05-06;16da00898 ?
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